Un mois après l'anniversaire des manifestations de Tiananmen, la répression brutale des émeutes dans la province du Xinjiang rappelle la face sombre du régime de Pékin. Décryptage. Le président chinois Hu Jintao a dû quitter l'Italie prématurément, tôt mercredi matin 8 juillet, où il devait participer au sommet du G-8 qui se tient de mercredi à vendredi, en raison des émeutes meurtrières qui ont éclaté dans la province de Xinjiang, dans l'ouest de la Chine. Signe que le pouvoir à Pékin commence à prendre au sérieux les émeutes interethniques dans la province occidentale du Xinjiang qui ont déjà fait plus de 150 morts. L'ampleur des violences qui secouent la capitale locale Urumqi depuis le dimanche 5 juillet a surpris les observateurs. C'est le pire épisode de tension ethnique en Chine depuis les manifestations de moines au Tibet et les émeutes antichinoises du printemps dernier : 156 morts, au moins 828 blessés, 261 bus et voitures brûlées, et 203 commerces et 14 maisons incendiés. Selon la version officielle relayée par les médias chinois, c'est Rebiya Kadeer, chef de file des exilés ouïgours aux Etats-Unis depuis 2005, qui tire les ficelles des dernières émeutes. Pourtant, des récits recueillis sur place permettent de remonter l'engrenage de la violence. Tout aurait commencé par un banal fait divers. Le 25 juin dernier, une bagarre éclate dans une usine de jouets de la province de Canton entre des Ouïgours et des Hans. Des ouvriers, membres de la première ethnie avaient été accusés d'avoir essayé de violer une Chinoise han. Les représailles ont fait deux morts parmi les Ouïgours, provoquant la colère de membres de leur ethnie, à Urumqi. Des centaines de Han, munis de couperets de boucherie, de barres métalliques et de bâtons, auraient alors saccagé des boutiques appartenant à des Ouïgours. Une minorité harcelée Ces derniers sont des musulmans turcophones, majoritaires au Xinjiang et entretiennent des liens linguistiques et culturels avec des communautés d'Asie centrale. Historiquement, le Xinjiang, peuplé d'ethnies turcophones et musulmanes, est intégré à la République Populaire de Chine depuis le 18ème siècle. Depuis, plusieurs tendances contestent le gouvernement central, c'est le cas de certains cercles soufis jusqu'au début du XXème siècle. Un courant nationaliste moderniste voit même le jour, alors que les années 1930 et 1940 sont marquées par l'influence des réseaux soviétiques qui soutiennent des groupes d'obédience anticoloniale et socialiste. Durant toute la période, la minorité est maintenue sous tutelle. Pourtant, au début des années 2000, Pékin met en place une nouvelle politique scolaire, qui instaure l'instruction obligatoire du mandarin, afin d'améliorer l'insertion professionnelle des Ouïgours. Or, ces derniers voient dans cette mesure une tentative d'acculturation. L'ensemble de ces facteurs socio-économiques poussent aujourd'hui les Ouïghours à demander une plus grande autonomie, un préalable à une intégration politique de l'ancien Turkestan oriental, hantise de la République populaire. Un malheur n'arrivant jamais seul, depuis le 11 septembre 2001, Pékin considère les Ouïgours comme des terroristes et a intensifié ses opérations de contrôle auprès de la population. Le pouvoir a profité de la guerre contre le terrorisme pour régler ses comptes avec cette minorité gênante. Ainsi, en 2005, un porte-parole du ministère de la sécurité publique avait accusé les séparatistes d'entretenir des liens directs avec Al-Qaïda. Une pratique éprouvée, puisque le pouvoir chinois accuse le Mouvement islamique du Turkestan oriental d'alimenter le séparatisme Ouïgour tandis que les défenseurs des droits de l'homme accusent Pékin de donner à ce mouvement plus d'importance qu'il n'en a pour justifier la répression. En juin dernier, la police chinoise a annoncé y avoir démantelé sept cellules terroristes. Un pouvoir central fragile Une situation explosive, qui n'attendait qu'une détonation, dont le prétexte a été donné par la récente tension intercommunautaire dans le Xinjiang. Déjà en mars dernier, le président du gouvernement régional, Nur Bekri, avait prévenu que cette année, alors que la Chine s'apprête à célébrer le 60ème anniversaire de la République populaire, la situation au Xinjiang sera plus délicate sur le plan de la sécurité. Aujourd'hui, les images de violence diffusées rappellent celles des manifestations de Tian'anmen qui ont eu lieu entre en 1989 à la place Tian'anmen. Vingt ans après, l'histoire semble malheureusement se répéter. Le retour précipité de Hu Jintao, qui devait être remplacé par un officiel de second rang lors du sommet du G8, donne la mesure de la gravité de la situation. De fait, l'ONG Human Rights Watch a avancé que ces violences ethniques sont les plus meurtrières en Chine en plus de trente ans, en fait depuis la fin de la Révolution culturelle en 1976. Ce sont les événements les plus meurtriers en Chine depuis des décennies, et la fébrilité du pouvoir de Pékin est palpable, dans la dureté de la répression qui s'annonçait. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a d'ailleurs appelé à la retenue et au respect des droits démocratiques. “Pékin donne surtout l'impression d'avoir été débordé par les événements dans cette région autonome d'Asie centrale, au cœur de la route de la soie”, estime Fabrice Rousselot du quotidien Libération. Un des enjeux de la crise actuelle est donc la maîtrise par le pouvoir central de l'immense territoire chinois, enjeu rendu plus complexe par les poussées séparatistes dans plusieurs régions de la République populaire. À l'heure, où le régime semble peu enclin à jouer l'ouverture démocratique, les tensions croissantes au Xinjiang, au Tibet ou en Mongolie semblent mener à un blocage tristement prévisible : une répression par Pékin ne peut que renforcer la volonté d'indépendance de dizaines de nations, opprimées depuis des décennies. La proximité de zones de tension (aux Pakistan et Afghanistan voisins, mais aussi au Tadjikistan) rajoute de l'huile sur le feu. Pékin a tout intérêt à normaliser ses relations avec ses minorités. Houda Boudlali