L'attaque meurtrière commise samedi dans une gare du sud-ouest de la Chine, imputée officiellement à des séparatistes islamistes, illustre le risque d'une contagion hors du Xinjiang des violences qui secouent régulièrement cette région peuplée par la minorité musulmane ouïghour. Jusqu'à présent, les actes de violence perpétrés par des Ouïghours --des musulmans turcophones se disant victimes d'une politique répressive de la part de Pékin-- restaient largement cantonnés à la «région autonome» du Xinjiang (est), dont ils constituent l'ethnie majoritaire. Ces attaques visaient habituellement les autorités chinoises, notamment à travers des commissariats de police, et ne s'en prenaient que rarement à des civils. Mais la tuerie de samedi marque un net changement d'échelle et de nature: 29 personnes ont été mortellement poignardées et près de 150 blessées dans la gare de Kunming, métropole du Yunnan située à 1.600 km du Xinjiang. «On ne peut pas faire autrement que la qualifier d'acte terroriste» clairement destiné à «instiller la peur dans la population chinoise», a observé Michael Clarke, analyste de l'institut de recherche Griffith Asia, basé en Australie. Le Xinjiang est depuis 2009 le théâtre de nombreuses émeutes et violences, sur fond de tensions extrêmement vives entre les Chinois Han (ethnie ultra-majoritaire du pays) et les Ouïghours -- qui entretiennent des liens culturels étroits avec les Etats riverains d'Asie centrale. Les Ouïghours accusent les autorités de les tenir à l'écart de l'essor économique du Xinjiang, de réprimer leur langue et leur religion, et d'adopter des mesures vexatoires -- telles des interdictions pour les femmes musulmanes de porter le voile. «De longs préparatifs» Cependant, l'attaque de Kunming «avec un tel bilan, dans la gare d'une très grande ville est quelque chose d'exceptionnel», a souligné Gardner Bovingdon, expert du Xinjiang à l'université de l'Indiana aux Etats-Unis. «Cela nécessitait de longs préparatifs et l'implication d'un nombre important d'assaillants conscients qu'ils mourraient probablement eux-même», a-t-il observé. Le gouvernement local a été prompt à attribuer l'attaque à des «séparatistes du Xinjiang», mais les analystes hors de Chine se montraient bien plus circonspects sur l'identité exacte des assaillants. Si l'implication d'activistes ouïghours organisés était prouvée, cela «marquerait une nouvelle étape (...), une extension de leur lutte dans le reste de la Chine», a indiqué M. Clarke. Pékin accuse régulièrement le Mouvement islamique du Turkestan oriental (Etim), un groupuscule radical séparatiste, d'être à l'origine des troubles au Xinjiang, et l'avait également tenu responsable d'une attaque-suicide perpétrée en octobre dernier à Pékin. Trois Ouïghours d'une même famille avaient péri en précipitant leur voiture contre l'entrée de la Cité interdite, faisant deux morts et 40 blessés. L'attentat avait ensuite été qualifié d'»opération jihadiste» oeuvre de «moudjahiddins» par le dirigeant d'une organisation islamiste militante, dans un enregistrement repéré par le réseau américain spécialisé SITE. «La tuerie de Kunming est soit orchestrée par l'Etim, soit inspirée par l'Etim», seul groupe ayant les capacités opérationnelles et l'idéologie pour conduire ou initier une telle opération, a abondé Rohan Gunaratna, expert sur la sécurité à l'Université Nanyang de Singapour. «Une évolution logique» D'autres experts occidentaux, cependant, se montrent beaucoup plus prudents: ils mettent en doute la solidité des connexions avec des organisations terroristes transfrontalières et relèvent le manque de détails connus sur ces mouvements nébuleux. «Je continue à douter que l'Etim puisse avoir perduré comme une organisation influente à travers les années. Pékin en parle constamment, précisément parce que les Etats-Unis l'ont classé comme mouvement terroriste», a insisté M. Bovingdon, pointant l'absence d'»éléments tangibles» autres que des vidéos. De l'avis général, il est de toute façon trop tôt pour déterminer les responsabilités exactes derrière l'attaque de Kunming. Celle-ci pourrait avoir été commise «par désespoir ou frustration», comme un «acte choc» peu avant l'ouverture d'une session du Parlement chinois, a indiqué Chung Chien-peng, professeur de science politique à l'université Lingnan de Hong Kong. Et de tels actes devraient se reproduire ailleurs en Chine, a-t-il estimé: «C'est une évolution logique dans l'escalade de violences à laquelle on assiste au Xinjiang. Ce genre d'attaque ne coûte pas grand chose et l'impact est très important», tout en envoyant «un message très clair à la Chine».