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Coronavirus : pourquoi la flamme déclenchée au Maroc doit perdurer
Publié dans Albayane le 23 - 04 - 2020

La crise du Coronavirus sera très forte, systémique, et ses effets d'une ampleur sans précédent. S'il est à peu près établi que l'homme y survivra, il n'est pas sûr que l'ordre mondial y résiste, tant le virus bouleverse les systèmes économiques et commerciaux, voire l'organisation même des sociétés. Dans ce contexte, les pays les plus agiles – et parfois les plus inattendus peuvent sortir de cette crise par le haut. Le Maroc semble être dans cette perspective.
Face à la crise sanitaire, les réactions humaines de survie semblent privilégier la détresse. En attestent les réactions extrêmes adoptées : frontières hermétiquement fermées, échanges et chaînes d'approvisionnement bloqués, actes de piraterie sur masques sanitaires et autres produits et équipements d'hygiène et de survie, entraide et solidarité avec les couches sociales et pays fragiles oubliées, explosion des achats d'armes, ainsi que stockage de nourriture et de … papier hygiénique en sont quelques avatars emblématiques.
Privilégiant le risque du pire, les pays ont négligé la coopération synergique autour d'une stratégie sanitaire commune efficiente, préférant des tactiques individuelles. De surcroit, des nations parmi les plus riches du monde ont clairement privilégié, dès le départ, l'option de « l'économie avant les vies humaines », arguant que la récession risque de tuer plus que coronavirus. Aussi, les plans de lutte d'urgence contre la crise ont-ils été jusqu'alors de simples hologrammes de ceux appliqués aux deux précédents grands chocs du 21e siècle (2001 et 2008). Tout en reconnaissant que la crise actuelle est hautement plus globale, mondiale, touchant l'Homme en ce qu'il a d'essentiel, son existence même, beaucoup restent prisonniers de réflexes passés. C'est dire que l'exercice de prévision de la voie à suivre reste douteux, étant donné que les multiples dimensions de la crise sont sans précédent et restent insaisissables.
Des groupements décisionnels mondiaux pris au dépourvu
Les groupements décisionnels mondiaux, G7, G20, les organismes multilatéraux, ONU, OMS, FMI, les groupements régionaux (UE, UA…), mais aussi les Think-Tanks les plus influents (Forum économique mondial …), semblent tous sous le choc, et leurs prises de position et propositions, restent au mieux, consensuelles, et au pire, anachroniques.
Nos modes de pensée, nos croyances, nos attitudes, nos façons de produire, travailler, consommer, se sécuriser et coopérer avec les autres doivent pourtant changer. A l'échelle des individus, des Etats et des organismes de gouvernance internationale.
Pour l'heure, la contagion virale et économique se propage toujours. Avec force en Afrique, victime collatérale et touchée en dernier. La récession générale s'installe. Déjà 160 pays sur les 189 que compte le FMI, et plus de 100 ont demandé ses financements. Quant aux questions pressantes post-crise de dé-confinement des populations et de relance des économies et, celles, plus générales et demandant plus de temps et de pondération, de refonte de l'ordre mondial et du mode de fonctionnement des relations internationales, elles garnissent pour le moment l'agenda de travail mondial, surchargé.
Le monde reste en attente que les chercheurs et décideurs prennent des postures innovantes afin de poser les bons scénarii pour appréhender correctement la taille et l'ampleur du choc économique et social mondial et les voies de son dépassement. Le monde cherche la flamme qui éclairera son avenir.
En attendant, chaque pays se démène selon ses moyens et structures et mobilise son intelligence collective. Les actions des pays qui se remettent les premiers, comme la Chine, Corée et Singapore, sont encore hésitantes, empruntes de pratiques habituelles, et les risques de redémarrage de nouvelles flambées de l'épidémie sont à craindre. Ayant, néanmoins, des mois d'avance sur les autres pays dans leur gestion de la crise et de la reprise, l'analyse de leurs expériences est nécessaire pour des pays, comme ceux d'Afrique, pour mieux imaginer des changements et des coopérations régionales novatrices, devant être entreprises dans des contextes locaux difficiles.
Au Maroc, dès les premières alertes mondiales, sur ce qui allait très vite devenir la pandémie et la crise Covid-19, le Royaume a réagi vite, globalement, et méthodiquement. Un cas, grandeur nature, de prompte gestion de crise. Le Roi Mohammed VI aux commandes, dès le départ, a mis le Pays dans une posture et un engagement d'ampleur tels que tout analyste au fait des affaires marocaines peut aisément comprendre. Un Etat séculaire, bien enraciné dans son histoire, ne pouvait que prendre la mesure du moment.
Les premiers signaux tôt envoyés ont donné le la. En recevant des personnalités, le 12mars dernier, le Roi s'est gardé de serrer les mains, faisant sentir, d'ores et déjà, la gravité de la situation et le sérieux de sa prise en main. Au moment où d'autres responsables mondiaux, dont les pays étaient pourtant touchés, sous-estimaient encore le virus et la gravité des ravages. Cette négligence a coûté cher à beaucoup de pays.
Analysant correctement les enjeux en place et les déroulés des expériences asiatiques et européennes, le Maroc a aussitôt lancé sa stratégie, multidimensionnelle, d'une ampleur appropriée, mobilisant tous les moyens disponibles, et a entamé son application avec engagement, méthode et calme. Stratégie intégrée est le qualificatif qui sied, tant elle est sanitaire, sociale, humaine, économique, communicationnelle et sécuritaire.
La réaction à temps est la première force à mettre à l'actif de l'expérience marocaine en cours. Le fait que la stratégie soit intégrée en est le deuxième point caractéristique. Sa mise en application coordonnée et en progressive montée en charge en est le troisième trait distinctif.
D'ordre stratégique, la réaction est dessinée au plus haut sommet de l'Etat
Appréciant à leur juste valeur les caractéristiques inédites de cette crise et pesant les forces et faiblesses du pays, ses capacités hospitalières, les structures de ses divers marchés, de ses filets sociaux, le Maroc a privilégié action radicale de confinement de la population : lignes aériennes bloquées, frontières contrôlées, puis fermées, lieux d'enseignement clos, avant que l'isolement sanitaire ne concerne aussi les lieux de consommation et de travail. Des exceptions pour garder opérationnels l'approvisionnement du pays, ainsi que la production et l'administration sont prises et scrupuleusement suivies. Le confinement est quasi-général sans blocage du Pays. Sur-réagir, à la limite aura moins de conséquences que de sous-réagir. Le choix entre le peuple et l'économie a dès le départ penché du côté de l'Homme.
Le choix stratégique, qui semblait extrême, ne pouvait réussir sans tout son soubassement social immédiatement mis en œuvre. L'objectif est de soutenir tous ceux qui seront dans le besoin, parce qu'ils ont perdu leurs sources de revenus ou parce qu'ils sont fragiles ou nécessiteux. L'enseignement à distance s'organise et le télétravail là où il est possible est activé. Le digital s'est mis en branle ; un bureau d'ordre national est créé, comme les appels d'offres nationaux qui passent au numérique…
Ainsi installée dès le départ, la confiance a facilité l'exécution du confinement, autant que la tranquillisation des consommateurs à propos de l'état d'approvisionnement des marchés en denrées de base. Le déploiement des forces de sécurité l'était plus pour rappeler la présence de l'Etat en ce temps difficile, un Etat protecteur surtout, que pour réprimer, quand c'était nécessaire, les récalcitrants au confinement, notamment dans quelques quartiers populaires et périphériques de certaines villes.
Il va sans dire que c'est le volet sanitaire qui était le plus observé. Là aussi, la mobilisation est totale et les réglages rapides. CHU, Stands dédiés, Laboratoires d'analyse, équipements, corps soignant et aide-soignant, protocoles de traitement, consommables, conditions de travail… tout, a fait l'objet d'un réglage progressif, pragmatique et en montée en puissance soutenue.
Production nationale d'équipements
Des hôpitaux de campagne ont été installés dès le départ, des cliniques mobilisées, des importations de produits nécessaires ordonnancées, un stockage suffisant de médicaments y compris la chloroquine, fabriquée localement, malgré qu'un débat scientifico-éthico-financier enflammait, à son sujet, les salons et les réseaux sociaux français et marocains…Un comité scientifique supervise le volet et le ministère de la santé est totalement mobilisé. Sans oublier que les malades souffrant d'autres pathologies doivent continuer à être pris en charge normalement même si les cas non urgents sont renvoyés à plus tard. Les produits « anxiogènes » comme les solutions hydroalcooliques, les masques sanitaires et les respirateurs ont fait l'objet d'une mobilisation exceptionnelle de l'industrie marocaine, appuyés par des chercheurs et ingénieurs pour éviter le manque qui pourrait être lourd de conséquences. « Nécessité est mère de création », jamais ce dicton n'a été si parlant!
L'économie, nerf de guerre, est au centre de la stratégie. Un comité de veille est activé. Un policy-mix à leviers multiples et complémentaires alliant une gestion budgétaire tant des dépenses, que des ressources, ainsi que le financement, est mis en oeuvre. Un fonds spécial est créé en plein weekend par le Roi et doté de 30 milliards de dhs soit près de 3 milliards d'euros. Des contributions importantes viendront aussitôt le renforcer. Des soutiens aux entreprises sont présentés par le secteur bancaire. Concernant la politique d'endettement extérieur, un débat est possible. La mobilisation de la ligne LPL du FMI peut être interprétée comme une décision de sagesse, tant les réserves de change ne devraient aucunement venir à se détériorer. Mais, on pourrait aussi y voir une prise de risque autant financière que de mise en selle inutile du FMI sur les décisions souveraines nationales. Et ce d'autant que cet organisme reste agrippé à ses pratiques classiques de prêteur sous conditions malgré la gravité de la crise mondiale. A un moment aussi où les financements privés extérieurs sont disponibles à coût réduit, et que le rating marocain reste favorable, n'est-il pas plus opportun d'y recourir en priorité, surtout pour lancer les projets de relance contra-cyclique le plus rapidement possible. La politique monétaire et du crédit devrait renforcer la politique budgétaire et le secteur bancaire mobilisé en investisseur et co-gestionnaire de crise.
Ceci ne veut pas dire que la récession ne sera pas là. Il faut juste en adoucir l'ampleur, les effets et la durée. Le déficit commercial sera important et le déficit budgétaire également. Le plafond des emprunts autorisé par la LDF de 31 milliards dhs sera dépassé, le parlement ayant donné son autorisation au Gouvernement. Des secteurs économiques seront sévèrement malmenés comme l'automobile, les transports, le commerce, entre autres. Les sources de rentrées de devises seront réduites comme les IDE et les transferts des MRE. Les PMEI seront particulièrement exposées. L'année agricole et d'élevage, très mal servie par les pluies d'hiver, est heureusement en passe d'être sauvée par le printemps. Le chômage et la pauvreté et le fonctionnement des marchés seront dans le viseur.
Renforcement du programme et transparence
Le programme de court terme étant enclenché, il va falloir le poursuivre, le renforcer et en assurer la totale transparence. Mais le génie national est attendu sur le plan de relance à moyen terme. Il faut en dessiner rapidement les contours, préparer les scénarios de financement ainsi que la mise en application urgente…
Le sécuritaire n'est pas en reste. Un Haut Conseil de crise a été réuni sous la présidence du Roi dès l'entame du plan stratégique, comprenant le Chef du gouvernement, le ministre de l'intérieur, le ministre de la santé et les trois hauts responsables sécuritaires (Armée, Gendarmerie et police). Le dispositif mis en œuvre veille au grain sur la sécurité intérieure, extérieure et sanitaire de la population. Comme il veille avec vigilance sur la cybersécurité du pays.
L'humain, autre volet de la stratégie, prend plusieurs formes, allant du suivi des structures d'accueil des personnes âgées et handicapées, l'organisation de l'accueil des sans domicile fixe, des migrants subsahariens, l'accompagnement des touristes bloqués au Maroc et des Marocains bloqués à l'étranger, le rapatriement d'étudiants de Chine, et la veille sur les prisonniers dont le Roi a libéré plus de 5 000.
La communication de crise accompagne en force et délicatesse la stratégie, la fait connaitre, la met en valeur, et la défend contre le flux impressionnant de fake news et d'attaques qu'elle subit. Un renforcement des sanctions a été décidé et appliqué aussitôt aux contrevenants. Aucune faiblesse n'est admise en matière de communication de crise.
La mise en œuvre ordonnée et méthodique sur tout le territoire constitue une qualité qui doit être soulignée. Les lourdeurs bureaucratiques et les recoupements de compétences ont disparu. Comme par magie, une avancée quantique est enregistrée en matière de digitalisation de services publics les plus divers. Une mobilisation administrative nationale et locale synchrone déploie l'action publique sans heurts et avec célérité.
Il va sans dire que le sanitaire restera sur la brèche jusqu'au déclin de l'épidémie. Trois semaines après le début du confinement, le nombre des contaminés reste, sous contrôle, autour de 1500, avec une centaine de décès malheureusement et 150 cas de guérison. La vigilante poursuite de la stratégie sanitaire et de son exécution sans heurts est impérative. Comme doit être préparée l'étape suivante de retour à la norme, du dé-confinement, de la remise au travail normal des hôpitaux, des modalités de non-rechute et des comportements post-crise.
Une flamme s'est allumée
En somme, deux traits sociologiques majeurs caractérisent la réaction marocaine à cette crise atypique d'envergure. D'abord, l'osmose forte Etat-société que la lutte contre l'épidémie a scellée. Elle est certainement le reflet de la force d'une nation dont les fondements sont solides. Ensuite, l'émergence de l'âme profonde des Marocains, leur discipline, créativité, agilité et esprit de solidarité. Les sciences humaines ont beaucoup à analyser de ces comportements nouveaux et du renforcement du lien social entre Marocains.
C'est dire qu'une flamme s'est allumée. Le tout est d'en faire une lumière pérenne qui éclaire le chemin d'un Maroc engagé dans une nouvelle étape de son développement intégral.
Au début de chaque double décennie, notre pays semble avoir besoin d'un rebond populaire générationnel qui lui donne une forte poussée et un départ sur des bases renouvelées. Il y a eu l'indépendance en 1956, la Marche Verte en 1975, l'Intronisation de Mohammed VI en 1999. A travers la stratégie anti-crise Covid 19 et le nouveau modèle de développement qui en naitra, l'actuelle génération tient l'occasion d'une mobilisation nationale prometteuse.


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