La célébration du cinquantenaire de la revue «Souffles» est l'occasion de revenir à son numéro 2 entré dans l'histoire du jeune cinéma marocain car présentant la première synthèse politique et professionnelle des doléances du secteur du cinéma. Comment se présente le paysage cinématographique au moment de la publication du dossier «cinéma marocain» par la revue Souffles? Certes, le public va beaucoup au cinéma. En 1966, il y avait 229 salles en activité et qui ont drainé plus de 18 millions d'entrées, mais la production nationale des longs métrages est inexistante. Le court métrage connaît un certain engouement du fait du système des commandes émanant de différents secteurs de l'Etat qui ont besoin de transmettre une image et un message et comme la télévision n'est pas encore très opérationnelle, ce sont les films réalisés par le CCM qui répondent en partie à cette commande institutionnelle. C'est ainsi qu'en 1966, Mohamed Tazi signe trois films inscrits dans cette catégorie: «Les Forces armées royales», «La réforme agraire» et «La mosquée de Tinmel». Abdelaziz Ramdani aborde «La naissance d'un village»; Latif Lahlou traite de l'élevage dans son film «Fourrage» et Ahmed Mesnaoui de la délinquance juvénile avec «Chemin de la rééducation». Un film se démarque, mi-fiction, mi-documentaire sur l'errance poétique, et fera date dans ce sens, c'est «Tarfaya ou la marche d'un poète» de Ahmed Bouanani, lui-même par ailleurs collaborateur actif de la jeune revue «Souffles». Il participe d'ailleurs doublement à ce numéro 2 de l'année 1966 en tant que poète, avec un texte fort éloquent et en tant que cinéaste à la table ronde organisée à cette occasion. Le dossier comprend le texte du mémorandum adressé au Souverain (le Roi Hassan 2 à l'époque), le rapport signé par un certain nombre de cinéastes et adressé au ministre de l'information, le compte rendu d'une table ronde animée par Abdellatif Laabi et réunissant Abdellah Zerouali, Mohamed A. Tazi, Ahmed Bouanani, Driss Karim, Mohamed Sekkat et un index des cinéastes marocains de l'époque où nous avons dénombré 38 cinéastes. Dans son texte d'introduction au dossier, la revue, tout en précisant qu'il ne s'agit ni «d'un bilan, ni d'un essai d'analyse aboutie», rappelle que «quelques années d'expériences concrètes et souvent douloureuses ont suffi pour que ces cinéastes démontent les mécanismes qui ont abouti, dans le domaine du cinéma au Maroc, à une impasse». Cette impasse qui du point de vue de la revue retarde le démarrage de ce qu'il appelle «un cinéma national authentique». Les différents documents publiés offrent un panorama des difficultés rencontrées par les cinéastes mais aussi un aperçu sur leurs aspirations. Si ces dernières sont très larges et reflètent des divergences, naturelles et légitimes entre les différentes approches (faut-il un cinéma centré uniquement sur le message ou un cinéma qui s'ouvre également sur le divertissement via l'inspiration de la culture populaire. Cette dernière thèse est défendue par Ahmed Bouanani notamment). Les difficultés et les blocages par contre sont explicites, de nature structurelle et institutionnelle et peuvent rejoindre l'une des préoccupations majeures des cinéastes d'aujourd'hui, notamment autour de la tutelle du ministère de l'information hier, de la communication aujourd'hui. Les cinéastes dans leurs doléances de 1966 réclamaient un Office national du cinéma. Une manière de dire, avec les mots de l'époque, qu'il faut assurer à la gestion du cinéma un espace libéré des pesanteurs administratives, aggravées aujourd'hui par les différentes transitions politiques.