Le réalisateur Ahmed Bouanani est décédé dimanche dernier. Il a rendu l'âme à Demnate à l'âge de 73 ans. Considéré comme l'une des valeurs sûres du champ cinématographique marocain, ce cinéaste d'envergue a légué aux cinéphiles une œuvre importante pour l'histoire du cinéma marocain. Poète, nouvelliste, romancier, cinéaste et scénariste, Ahmed Bouanani fut un artiste à multiples facettes ayant plusieurs cordes dans son arc. Après une formation cinématographique dans les années soixante à l'Institut des Hautes Etudes cinématographiques de Paris (IDHEC), il regagne en 1965 le Maroc pour entamer sa carrière au Centre cinématographique marocain. Ce fut à cette époque qu'il pose le premier jalon de son expérience professionnelle à travers son premier tour de manivelle « Tarfaya ou la marche d'un poète » en 1966. Cet opus sera suivi par d'autres qui marqueront à tout jamais la mémoire filmique marocaine. «C'est l'un des grands emblèmes du cinéma marocain. Bouanani fut l'un des grands réalisateurs marocains qui ont marqué de leurs empreintes la scène cinématographique nationale. Il a vécu comme il est mort, dans la discrétion. Le défunt mérite d'être salué pour l'importance du travail qu'il a réalisé, surtout à l'aube de l'indépendance alors que le cinéma au Maroc fait ses premiers pas», tient à souligner Khalil Damoun, président de l'association des critiques du cinéma. Imprégné jusqu'à l'os de patriotisme, Bouanani a choisi le cinéma pour contribuer à l'édification d'un Maroc indépendant et restituer la mémoire marocaine de lutte contre la colonisation. Il s'y implique corps et âme. Parmi ses œuvres indélébiles, demeure son court métrage « Mémoire 14 » dont lequel le cinéaste reconstitue, à travers des pièces d'archives, la vie des Marocains à l'époque du protectorat. Ahmed Bouanani est reconnu surtout pour sa dextérité et ses qualités professionnelles de monteur et son application dans les travaux de laboratoire. « Il a participé à la réalisation technique de grands films dont sa contribution au chef d'œuvre « Wachma » de Hamid Bennani », indique le critique du cinéma. A l'image de sa perspicacité cinématographique, Ahmed Bouanani s'est distingué dans d'autres domaines de la création. Il s'est consacré à l'écriture littéraire. Il est l'auteur de deux recueils de poèmes et d'un roman. Il a également publié des nouvelles dans la célèbre revue « Souffles » aux côtés de plusieurs intellectuels marocains du calibre d'Abdellatif Laâbi, Tahar Benjelloun, Mohamed Khair-Eddine et autres. Cette pluralité artistique et littéraire a influencé son œuvre filmique qui combine à la fois sa verve poétique et sa grande culture cinématographique, précise Khalil Damoun : « Il allie à merveille écriture littéraire et cinématographique ». Ahmed Bouanani est l'auteur d'une dizaine de courts métrages. Il a réalisé également un long métrage sur la désillusion intitulé « Le Mirage ». Ahmed Bouanani n'a pas eu tout au long de sa vie l'intérêt qu'il mérite tel que beaucoup d'artistes de leur vivant. L'histoire n'est jamais ingrate. Tôt ou tard, elle finit par lui rendre juste. A.Darkaoui : «Eviter l'ingratitude de la profession» Le cinéaste Abdelkrim Darkaoui a connu le défunt Ahmed Bouanani en 1963, Nous l'avons contacté pour nous parler du défunt. Il garde de grands souvenirs avec celui qui a marqué de son empreinte le cinéma marocain. Pour ce réalisateur et grand directeur de la photographie, la corporation et les hommes du métier ont «commis l'erreur de ne pas avoir pris soin du défunt. Lui qui n'était pas avare en matière de partage, d'entraide et d'encouragement des jeunes talents». Ahmed Bouanani «a été, pendant plus de dix années, ignoré», ajoute Abdelkrim Darkaoui tout en insistant qu'il «ne méritait pas cette ingratitude, lui, qui avait tant écrit pour les autres, aidé». C'est «frustrant de n'avoir produit qu'un seul long métrage, de la part d'un homme de son acabit», poursuit-il. Pour A. Darkaoui, « sa disparition nous incite à tirer les enseignements de sa vie et de son expérience ainsi de son œuvre qui reste immortelle, même après sa mort ». C'est pourquoi, «sa disparition doit nous donner à penser à ceux qui sont encore vivants, afin qu'ils ne vivent pas de la même manière», estime-t-il. «Pour ma part, j'ai continué à avoir des liens avec lui, en essayant de l'encourager, comme il le faisait avec tant d'autres», nous déclare Si Abdelkrim. «Je l'ai rencontré dernièrement, au Festival de la femme de Salé, qui a rendu un hommage à sa femme, la grande costumière Naïma Saoudi, aujourd'hui malade», dit-il avant d'affirmer que «le meilleur enseignement de sa vie sera de s'occuper des autres avant qu'ils crèvent».