Deux semaines après l'agression d'une infirmière, en plein exercice de ses fonctions, par un élu local de la Commune Rurale de Oued Ifrane (région de Bakrit ), l'affaire continue à défrayer la chronique régionale. Et suscite encore et toujours émotions, soutiens, mais aussi une forte indignation devant «l'indifférence» des pouvoirs publics . Une "indifférence" qui ulcère les organisations représentatives ainsi que de nombreuses associations dont le cercle s'élargit. Pas moins de dix associations locales se sont, en effet, réunies récemment à Azrou pour la création d'un Comité de soutien à l'infirmière dont l'objectif est, selon ses initiateurs, est la mobilisation de toutes les forces pour réclamer que « justice soit faite » et pour dire non à l'impunité et que personne n'est au-dessus de la loi. Les faits de cette affaire remontent au matin du vendredi 18 mars dernier au dispensaire rural Zad d'Agdal, isolé et niché à plus de 2500 m au cœur de la forêt de Bakrit (60 KM d'Azrou). Ce jour-là, alors que Salma Aababou, une jeune infirmière polyvalente de 23 ans, effectuait une consultation ordinaire à des patientes, «un élu local (H.O) accompagné de deux autres personnes firent irruption dans la salle de consultation et commencèrent à filmer les patientes, arguant que c'est un reportage pour un média étranger», relate Salma dans sa version des faits. Condescendance «Je me suis alors vivement interposée car les personnes en question ne disposent d'aucune autorisation», insiste-t-elle à dire. S'en est suivie alors une réaction violente de la part de l'élu, qui, imbu de sa personne et de son statut, n'aurait sans nul doute pas apprécié le refus catégorique qui lui est opposé. «Il m'a violemment saisi par le bras et tordu le poignet gauche», raconte cette jeune infirmière qui ne comprend toujours pas la violence de son élu-agresseur. Transie par la peur et la douleur, l'infirmière n'avait que ses yeux pour pleurer. Bilan : dix jours d'ITT (incapacité totale de travail) pour un traumatisme du poignet gauche et d'inévitables séquelles psychologiques alors que son agresseur court toujours les rues sans peur d'être inquiété. Et pourtant, l'infirmière a déposé plainte auprès du procureur de la TPI d'Azrou (Tribunal de Première Instance), écrit aux autorités, au ministère de la Santé. Mais ces multiples interpellations « sont restées lettres mortes », s'indigne celle qui entend faire tout ce qu'il est possible pour que « ses collègues à venir et celles qui sont en service ne soient plus exposées à de telles supplices ». Une lueur d'indignation dans le regard, Salma qui, dit-elle, a fait le choix «citoyen», de quitter la ville pour les fins fonds de la montagne, avoue être sortie «très traumatisée», et « déçue » par cette agression sauvage qui l'affecte profondément : «je me sens seule» nous confie-t-elle, frustrée. Sa famille, ses collègues, ses patients... sont aussi sous le choc. « On ne fait pas ce métier pour se faire frapper et insulter», s'insurge une des collègues de la victime exerçant à Azrou et qui tire la sonnette d'alarme sur la situation des violences en milieu de santé qui «va en s'aggravant», dit-elle tout en appelant à davantage de « considérations et de reconnaissances aux infirmières et aux infirmiers qui travaillent dans des conditions pénibles, parfois inhumaines. » En milieu montagnard et rural comme dans le cas de Bakrit, la dose est inquiétante. « L'affaire Salma », qui commence aujourd'hui à mobiliser les associations locales, éclaire bien les complaisances et la complicité des pouvoirs en place. La société civile qui affiche une certaine dynamique dans le suivi de cette affaire saura-t-elle aller jusqu'au bout pour briser le silence des cas de violences et d'abus dont sont auteurs des hommes influents qui souvent bénéficient de parapluie leur permettant d'échapper ou contourner la loi ? La justice sera-t-elle au rendez-vous ? Va-t-elle entendre le cri étouffé de cette jeune infirmière ?