Siham Tahri fait partie de ces singulières artistes autodidactes à la volonté de fer et /de faire ! Depuis quelques années, elle a trouvé le moyen d'expression qui correspondait parfaitement à ses aspirations et elle est arrivée à les sortir de la puissance en acte. La peinture, elle en a fait sa vocation suprême. Ainsi, elle n'a ménagé ni son temps, ni son énergie, ni son talent pour vénérer la monumentalité de l'acte artistique. Certes, elle ne se réclame ni d'une école artistique, ni d'une voie normative qui retrace les parapets d'un chemin, souvent, coercitifs pour l'artiste...Elle est artiste, tout court. Sa tonalité picturale oscille entre une sensibilité aiguisée voire pensée et une préciosité mallarméenne. D'où sa préoccupation d'asseoir un style qui évolue dans le sens d'une abstraction poétique. En effet, beaucoup d'éléments le témoignent dans ses travaux : les matériaux, les formats, les formes, la composition de la substance chromatique... Par ailleurs, même le thème choisi prête à ce jeu, à la fois, poétique et compliqué : il s'agit de la pluie. Cette dernière comme thématique récurrente dans son exposition , est à saisir comme une station qui marquera le passage de l'artiste à un style non figuratif au sein duquel elle restera inscrite. Dans cette optique, Siham Tahri ne rejette pas la réalité. Elle garde une vision sensitive de certains éléments de la nature et notamment l'eau. Cet élément considéré par Bachelard comme «l'œil véritable de la terre» en avançant que dans nos yeux, c'est l'eau qui rêve. Paul Claudel ajoute dans ce sens que nos yeux ne sont-ils pas «cette flaque inexplorée de lumière liquide que Dieu a mise au fond de nous-mêmes» ? (Claudel, L'Oiseau noir dans le Soleil levant). Le style protéiforme de Siham Tahri, où l'abstrait prend le dessus est une démonstration de la sensibilité qui fait triompher la vie à travers son symbole qui est l'eau. S'inscrivant dans cette perspective, elle tente de réinventer le réel en allant contre la simplicité de l'évidence pour créer une beauté poétique, une sorte d' «univers en émanation,un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire d'un rêveur », selon les propos de Bachelard (L'eau et les rêves, 1942). Ses formes où se dissoudront toutes les références à l'objet ou au paysage, ne sont rien sans la couleur/les couleurs qui vient(nent) pour les magnétiser. En conséquence, la géométrie abstraite chez notre artiste ne prend vie qu'avec sa palette de couleurs (surtout le bleu et ses variantes) dont l'intensité du ton se transforme en vibration lorsqu'elle trouve la nuance juste, choisie avec délicatesse par l'artiste. Ainsi, les mixtures laissent vibrer les surfaces des toiles comme celles des surfaces aquatiques ou des lacs mythiques pour créer une sorte d'extase ou de vertige de l'évanescence. Le surcroit de la lumière et des reflets dans certaines toiles crée des effets qui participent à la dynamique de ces dernières et mènent à une certaine catharsis visuelle ou du moins à son seuil. De surcroit, et à travers l'élément aquatique, Siham Tahri saisit la nature dans l'une de ses grandes abstractions, en élaborant une sorte d' «architecture de l'eau» qui se traduit par la mise en place d'une géométrie rigoureuse de cet élément en l'intégrant dans un système pictural régi par des formes finement abstraites et en célébrant la variété de ses spectacles, car comme disait l'autre «l'eau est une réalité poétique complète». Et pour mieux maitriser cette réalité, l'artiste tente de l'intérioriser. Elle déclare dans ce sens que certains spectacles se rapportant à la pluie, elle les a admirés, entre autres, derrière une vitre. Bachelard disait «devant l'eau (...) tu choisis ta vision ; tu peux voir à ton gré le fond immobile ou le courant, la rive ou l'infini... » (L'eau et les rêves, 1942) et notre artiste a choisi de voir l'infini. Elle procède par une composition maitrisée en intégrant des motifs stylistiquement apparents, en jouant sur des formes subtilement descriptives de la chute de la pluie, des «déformations» qui nous font miroiter des formes poétiques liées à la force onirique de la goutte d'eau en spectacle. Cela va de pair également avec l'exploration artistique des paysages urbains de Fès où elle joue sur un certain hyperréalisme poétique mais avec une teinte abstraite. Le bleu (avec ses variantes) domine et est presque sa couleur de base ; au point que son œuvre s'identifiera à cette couleur. C'est un bleu particulier même s'il varie selon les toiles. Un bleu qui traduit un sentiment de profondeur et d'espérance réunies. Ainsi, cette couleur dépasse le stade chromatique pour devenir un langage et un code. Son éclat se voile parfois de quelque brume. Un bleu qui résonne et gagne en densité et même en opacité en faisant corps avec la surface de la toile. La qualité spécifique de ces bleus est qu'ils sont à la fois du dehors et du dedans. Le bleu dans ses interprétations peut être lié, entre autres, au sacré et l'on pourrait se demander s'il n'y a pas une dimension mystique dans l'adoption du bleu.