Khatibi, écrivain extraverti, est l'un des rares écrivains marocains polygraphes qui ont marqué la deuxième moitié du XX siècle et la première décennie du XXI siècle. Poète (Le Lutteur de classe à la manière taoïste, Dédicace à l'année qui vient, Aimance, Romancier (Le Livre du sang, La Mémoire tatouée, Amour bilingue, Un été à Stockholm, Triptyque de Rabat, Pèlerinage d'un artiste amoureux, Essayiste (La Blessure du nom propre, Vomito blanco,Le Roman maghrébin, De la mille et troisième nuit, Maghreb pluriel, Figures de l'étranger (dans la littérature française), Par-dessus l'épaule, Paradoxes du sionisme, Penser le Maghreb, L'Art calligraphique de l'islam, Civilisation marocaine, L'Alternance et les Partis politiques, La Langue de l'autre,, Vœu de silence, L'Art contemporain arabe, Le Corps oriental. Dramaturge (Le Prophète voilé, Sémiologue. Sociologue de formation. Psychologue. Penseur. Khatibi est une véritable industrie de la pensée qui sème l'aimance entre toutes ces disciplines, et après entre le Moi et l'Autre. Cette hospitalité disciplinaire et humaine, due à son industrie, fait de son Œuvre un tout philosophiquement solide qu'il faut être armé pour le lire. Inaccessible parfois, pour ne pas dire souvent, la lecture de son Œuvre exige, en effet, l'établissement de lectures parallèles avec d'autres textes. Sa pensée constitue une sorte de danse de mots pluridisciplinaires nécessitant des intermédiaires occidentaux ou maghrébins, en l'occurrence Hegel, Derrida, Nietzsche et bien d'autres. L'œuvre khatibienne nécessite donc une « lecture exigeante », au dire de Acia Belhabib, dont la retombée est la réduction du nombre de ses lecteurs. Khatibi n'écrit pas subséquemment pour tout le monde. Son écriture est destinée à l'élite Intellectuelle. Elitiste qu'il est, Khatibi est lu par l'intelligentsia. Un livre comme Amour Bilingue est complexe par son caractère polygraphe ou «polychrome». C'est à la fois un essai théorique et un essai sur l'art. Le lecteur non averti craint cette complexité en ce que le texte constitue, comme le dit Mustapha Bencheikh, une «forme de poésie exigeante» et interdisciplinaire. D'où l'importance de découvrir d'autres chemins intermédiaires ; car l'auteur n'est pas responsable de son Oeuvre. Une fois achevée, l'Oeuvre s'ouvre et crée son propre retour par voisinage à d'autres textes. Certes la complexité est nécessaire parce qu'elle est là, mais la proximité solidifie davantage l'aimance et l'hospitalité tant verbale qu'humaine. L'Ouvre de Khatibi est le fruit d'une passion divisée entre deux activités complémentaires : la lecture et l'écriture. C'est à ce niveau que la forme exigeante de la lecture nécessite de mettre l'Oeuvre en dialogue avec d'autres disciplines et auteurs. L'écriture khatibienne se veut, dit Khatibi, «une littérature générale qui s'internationalise». Il se présente comme étant un auteur, dit-il, qui « ne veut pas une littérature sous-développée ». Ayant vécu et travaillé au Maroc, il veille à ce que son travail, sa pensée, doive atteindre une destinée. D'où « le grand investissement du langage », dont parle-t-il, partant de deux principes : 1- obscurcir l'obscurité et 2- le désir de transparence. La cohabitation de ces deux principes tisse la trame de l'œuvre khatibienne qui vacille entre la non lisibilité et la non identification de l'auteur. Par ailleurs, Khatibi est aussi un homme qui est capable dans son domaine pour garantir sa crédibilité. «Je t'ai montré ton portrait pour corriger l'image de moi», dit-il. Khatibi reconnaît que l'appartenance est en devenir. Il se veut un «intellectuel qui doit analyser sa société pour la faire avancer», pour accomplir son rôle de penseur. Mais ceci ne peut être atteint qu'en disant les choses avec style et avec autonomie. Ce qui prime chez Khatibi c'est le social et le culturel. Les deux constituent deux bases solides pour lancer l'engagement. Il y a d'une part la culture de l'individu celle qu'on hérite et, d'autre part, il y a «la culture qui s'invente devant nous». Après, peuvent venir le politique et l'économique.