Une actrice controversée qui fait croire à son agression sur le net, une photo ordinaire d'un petit enfant devenue virale et critiquée d'inauthentique, une image «relookée» par la magie de Photoshop, un célèbre journalise épinglé pour ses reportages et enquêtes manipulées... Les scénarios de manipulation de l'opinion publique aujourd'hui en ligne et sur les réseaux sociaux sont multiformes et surtout loin d'être exhaustifs. Et pourtant, il y'a encore quelques années, tous croyaient mordicus au contenu répandu en ligne. On assistait alors à une mêlée pour s'emparer de la renommée, du prestige voire de l'influence sur les réseaux sociaux. Entreprises, membres du gouvernement ont ainsi investi facebook, Twitter, Instagram... pour améliorer leur image et parfois celle de tout un pays. Aujourd'hui, la manipulation des internautes est mise à nue par certains experts du digital. Une prise de conscience des internautes s'enracine au fil des jours. L'heure du retour aux sources traditionnelles d'information, de publicité a-t-elle sonné? Il y'a encore quelques semaines, Mohamed Hassad, ministre de l'intérieur, tirait à boulets rouges sur la manipulation de l'opinion publique sur le net à la chambre des conseillers. Eu égard au «dérapage sécuritaire» dans le Royaume, constamment pointé du doigt, le chef de l'intérieur s'en est pris sans ambages aux «photos et vidéos sur le net relatives aux crimes» au Maroc. «Un grand nombre de photos et séquences vidéos sur des actes criminels publiés sur les réseaux sociaux sont fabriquées et n'ont aucun rapport avec le Maroc», lâchait-il. Et le chef de la sécurité nationale est allé en profondeur, décryptant le mécanisme de manipulation dont fait l'objet tout un pays. Les photos et séquences vidéos délinéant une recrudescence de l'insécurité au Maroc seraient l'œuvre du «pouvoir» des logiciels et n'auraient aucun rapport avec le Maroc. Pour tout dire, elles seraient même «filmées dans d'autres pays». Aujourd'hui, le gouvernement, objet d'une manipulation en ligne, a ainsi introduit au menu des débats, les solutions à envisager pour sanctionner les manipulateurs en ligne. «Les poursuites judiciaires sont en cours contre des personnes impliquées dans la diffusion des photos fabriquées», laissait entendre Hassad. Sera ce possible de contenir cette délinquance omniprésente sur le web ? En tout état de cause, aujourd'hui, au niveau international, les outils juridiques sur le digital sont à l'état embryonnaire et parfois quasi inexistants dans certains pays. La communication digitale s'est érigée en maillon incontournable des entreprises marocaines. Les grandes marques ont investi facebook, twitter, whatsapp, linkedin, et interagissent avec les internautes. D'ailleurs, des sociétés se sont spécialisées dans ce brand marketing digital. Ainsi, selon une enquête du groupe des annonceurs du Maroc (GAM) et l'Agence des mots en 2015, 85% des entreprises africaines interrogées auraient une page facebook. Mais cette présence buterait à la prise de conscience des internautes quant aux manipulations en ligne. Le rapport 2013 des médias sociaux arabes indiquait que seulement 44% des 7000 utilisateurs interrogés dans la région MENA croyaient aux réseaux sociaux. Le rapport renchérissait que «l'inexactitude de l'information sur les médias sociaux aurait un impact négatif pour la planification des stratégies des entreprises sur certains marchés de l'Afrique du nord ». Est- ce à conclure que toutes les entreprises retourneront aux panneaux publicitaires, aux tracts, sms, banderoles et autres utilisés jadis? Pas si sûr puisque 98% des entreprises marocaines comptent être présents sur les réseaux sociaux en 2016, selon le groupe des annonceurs au Maroc. La manipulation en ligne s'intensifie. Les entreprises continuent d'investir le digital. Le bras de fer entre les 2 se poursuit, en attendant probablement un cadre juridique approprié. Al Bayane : L'agence des mots œuvre dans la communication digitale, en quoi consiste concrètement votre travail auprès des entreprises ? Anne-Sophie Colly : Il s'agit d'un accompagnement global qui va de la conception des messages- texte, image, son... à leur diffusion à la fois régulière et continue auprès des communautés digitales (fans, followers....) pour les animer. Il s'agit aussi de campagnes digitales. Tout dépend de la problématique de communication. Quelles sont vos stratégies dans la production des contenus sur les réseaux sociaux pour vos entreprises clientes ? Chaque stratégie répond à une ambition client ou marque. Pour bien fonctionner, une stratégie de contenu doit être cohérente avec l'ADN de la marque. Nous travaillons donc sur la marque et son identité. Nous nous adaptons également aux spécificités de chaque réseau social : LinkedIn, Twitter, Instagram... Comme en presse, une charte est souvent utile pour cadrer la ligne éditoriale. Quels chiffres pouvez-vous nous donner en termes de communication digitale des entreprises marocaines aujourd'hui? 2016 est l'année de la communication digitale pour les annonceurs au Maroc. C'est une année clé. Fin 2015, le Groupement des annonceurs du Maroc a renouvelé son baromètre auprès des annonceurs marocains sur leurs intentions pour l'année à venir. L'étude, menée par Kurt Salomon révèle une vraie volonté de communiquer encore plus sur le digital. Les réseaux sociaux sont en pointe de cette tendance. Menée auprès de 600 annonceurs marocains, elle dévoile par exemple que 98% des annonceurs comptent être présents sur les réseaux sociaux en 2016. Parmi les données structurelles, 92% des entreprises interrogées disposent d'un site web et 54% ont une version mobile de leur site web (responsive design). Le basculement vers le responsive design, indispensable pour disposer d'une lecture de qualité sur tablettes est donc en cours. Il est fondamental car c'est un critère pris en considération par Google dans le classement des pages web. L'essentiel des annonceurs a franchi le pas des réseaux sociaux. 86% y sont présents ; avec une préférence pour Facebook. Ils déclarent une intention de présence de 12% sur le réseau social de Mark Zukerberg. Nous savons par ailleurs que près de 85% des internautes préfèrent être abordés par une marque via les réseaux sociaux. Y être de manière durable et stratégique est donc essentiel. Enfin, comme ailleurs dans le monde, la bataille est au contenu. 60% des annonceurs ont une stratégie éditoriale basée sur un plan de présence continu ; ce qui se traduit par une nécessité de production de contenu régulière. A L'agence des mots, c'est notre cœur de métier depuis plus de 5 ans. On assiste de plus en plus à de la manipulation du contenu en ligne (photos, vidéos, contenu). Qui se cache derrière de telles actions? Il est vrai que cette dérive existe et que le risque de propagation est plus fort et plus rapide sur le web. Il faut effectivement être attentif. Cela n'a-t-il pas d'impact sur votre secteur ? Non, pas particulièrement. Ces techniques de manipulation n'entraineront –elles pas dans le long terme un retour aux outils traditionnels de communication puisque le web est aujourd'hui incontrôlable et que le cadre juridique en matière de digital au Maroc est déficient à l'heure actuelle? Non, je ne pense pas, il s'agit de nouveaux canaux de communication comme il en naît régulièrement. Dans l'histoire, le téléphone, la télévision... ont apporté de nouvelles possibilités mais aussi des risques, c'est ainsi. Il se régule progressivement. C'est le cas par exemple du traitement des données personnelles par exemple, nous disposons au Maroc d'un cadre juridique. Pour le reste, c'est probablement une question de temps. Il s'agit d'arriver à trouver le bon modèle de régulation. Pour le moment, il n'existe encore dans aucun pays. Nous sommes au début de la révolution numérique. Par ailleurs, tout ne pourra pas être régulé sur le web, il y a malheureusement toujours des dérives, probablement comme dans de nombreux domaines. L'éducation en général et la culture numérique, en particulier, constituent aussi des remparts importants face à ce type de risques.