La sociologie du travail est en deuil Robert Castel, l'une des figures notoires de la sociologie en France, est décédé le 13 mars 2013, à l'âge de 80 ans, suite à une longue maladie. Le parcours du chercheur est atypique. Outre ses travaux réalisés en philosophie, il a mené de profondes analyses en psychiatrie sociale. Il a eu le mérite d'approcher l'un des sujets épineux, à savoir la question du travail et du salariat. Dans ce sens, il a publié en 1995, aux éditions Fayard, un livre qui a fait date. Il s'agit de «Les métamorphoses de la question sociale». C'est un ouvrage qui apporte un large et nouvel éclairage sur les inégalités sociales. Cette profonde production est suivie par d'autres textes, non moins importants, comme une chronique du salariat (Gallimard, 1995); L'insécurité sociale, qu'est-ce qu'être protégé ?, (Seuil, 2003); La discrimination négative, citoyens ou indigènes ? (Seuil, 2007). Les fines analyses de l'auteur sur le travail et le salariat sont reprises par nombre de critiques et spécialistes du monde du travail. Selon Castel, les phénomènes de l'exclusion et de la désaffiliation sont imputables aux modalités de l'organisation du travail dans la société occidentale. En outre, la précarité qui s'abat sur le salarié trouve, selon l'auteur, ses vraies origines dans les défaillances, sinon l'absence, du statut au travail. Dans l'optique du sociologue, tout changement social demeure velléitaire tant qu'une remise en question foncière des garanties et protections résultant du travail, à proprement parler, n'est pas entreprise. Faiblesse économique, vulnérabilité, exclusion, privation : les termes foisonnent pour contourner les catégories les plus pauvres d'une population. Toutefois, Robert Castel, lui, préfère parler de désaffiliation. Terme trop prisé jusqu'à frôler la fétichisation, mais qui, à l'origine, s'assignait comme objectif de dégager le caractère processuel de la précarisation. Le lien social perd crescendo sa cohésion et génère, in fine, un autre type de rapport à la société. Il en résulte aussi ce que Castel nomme désaffiliation. Celle-ci advient par cheminement graduel de la situation d'intégration à celle de l'exclusion. C'est le cas de la crise de la famille, de l'école, de la religion favorisant l'isolement de l'individu. Dans le même sens, le chômage ou la perte d'un emploi stable mène inéluctablement à l'isolement et à l'exclusion. L'exclu éprouve son «inutilité au monde». Sentiment qui a ses propres retombées aussi bien sur l'être que sur la société. Précarisation du salariat et sa fragilisation prennent des proportions accentuées dans le monde moderne. En témoigne la propension à la flexibilisation du lien salarial, gage par excellence de la cohésion sociale. Une véritable épée de Damoclès pèse sérieusement, depuis quelques décennies, sur les garanties liées au travail. De nouvelles formes de celui-ci ont émergé dans la société et n'ont que fragilisé davantage le salariat. Parmi ces formes figurent les stages, les CDD, et les intérims. C'est l'une des idées focales dans la pensée de Robert Castel, approchée de façon déconstructionniste. L'influence de Michel Foucault et de Bourdieu se laisse lire en filigrane dans la pensée castélienne.