La notion « d'exclus » est « difficile à définir tant elle englobe des réalités différentes. Elle est souvent critiquée par les chercheurs en sciences sociales (Marie Benzaglou, in les exclus, régulateurs de l'action publique/Thèse - Ecole nationale des ponts et chaussés) car, « au fur et à mesure qu'elle se généralise, (elle) devient, en effet, de plus en plus floue et équivoque comme catégorie de pensée scientifique (Paugam, 1996, p. 17). Serge Paugam et Robert Castel ont développé les concepts de « disqualification sociale » (Paugam, 1993) et de « désaffiliation sociale » (Castel, 1995) pour dépasser la notion critique de l'exclusion. L'exclusion du logement peut prendre différentes formes. Pour Benzaglou, les exclus du logement sont ceux qui habitent des logements « hors normes » (notamment insalubres et illégaux), ceux qui sont hébergés chez autrui, les sans-abri, les SDF (sans domicile fixe). En France, le problème du logement hors normes est apparu dès la révolution industrielle, avec la croissance rapide des villes, lorsque les ouvriers étaient contraints de se loger dans des logements exiguës et insalubres, voire dans des caves. La question du logement insalubre est présente dans les discours et la littérature aux XIXe et XXe siècles. M. Benzaglou rappelle le roman populaire « les Mystères de Paris», d'Eugène Sue, qui décrit les conditions de vie des plus démunis, ainsi que le Phalanstère imaginé par Charles Fourier (1772-1837), qui est un regroupement rationalisé de logements visant à favoriser la vie en communauté ». Il introduit « la rationalisation et le classement systématique des lieux et des activités. C'est la naissance du fonctionnalisme. Il prône une « cité normalisée et rationnelle en lieu et place de l'habitat existant, jugé désordonné ». « Ordre, salubrité et confort sont les valeurs émergentes pour lutter contre le logement « hors normes ». S'interrogeant sur les normes imposées ou recherchées par l'ordre public Benzaglou en vient à constater à la suite de nombreux auteurs (Emile Durkheim) que, « sans normes, il n'existerait pas de protection de l'individu contre l'arbitraire, et pas de notion d'intérêt général. La ville n'échappe pas au besoin d'une normalisation pour se réguler dans l'intérêt de tous. Sa normalisation s'effectue notamment par la planification et les règles de construction ». Les normes jouent un « second rôle qui est un rôle d'intégration via des valeurs communément partagées et respectées au travers de ces normes » (Pillon, 2003). La cohésion sociale du groupe est rendue possible grâce au partage de valeurs communes. Ainsi, en matière de lutte contre l'exclusion, en particulier dans le domaine du logement, l'action publique va « tendre à réintroduire les normes absentes ». Pauvreté et habitat insalubre Constatant que la notion d'exclusion sociale a « considérablement évolué au cours des trente dernières années » pour s'étendre à la disqualification, à la relégation ou à désaffiliation, le HCP (Haut Commissariat au Plan), considère que celle-ci élargit le concept de pauvreté relative, adopté par cette institution, à la population qui n'est pas systématiquement pauvre mais qui accumule des risques de pauvreté (Douidich Mohamed, in Exclusion, inégalité pauvreté Prospective Maroc 2030/HCP, avril 2006). Selon M. Douidich la pauvreté est, sur le plan universel, appréhendée par une « condition de privations humaines, sociales et économiques et une perte d'identité, due notamment à l'insuffisance des opportunités et des ressources nécessaires à l'insertion sociale et à la couverture des besoins de base. Le concept de la pauvreté relative adopté par le HCP « colle à cette approche. Il mesure la pauvreté par le biais de ses seuils supérieurs, rendant compte de ses formes alimentaire, absolue et relative. Font systématiquement partie des populations pauvres identifiées par ce concept les personnes affectées par l'extrême pauvreté et la précarité sociale dont notamment les sans abri. L'exclusion sociale est approchée par la vulnérabilité à la pauvreté et cette vulnérabilité « est à la fois sociale et économique » car résultant « d'une série de facteurs de diverses natures ». M . Drouidich cite « l'insuffisance des aptitudes humaines et du capital social, le chômage chronique, le sous-emploi de longue durée, la fécondité délibérée, l'inégalité des chances, les chocs exogènes et familiaux, la dégradation de l'environnement, les conditions sommaires d'habitat et les incapacités physique et mentale ». L'auteur précise que le concept d'égalité met à contribution la « justice sociale, inscrite dans les politiques publiques et dans les revendications sociales ». L'inégalité se mesure par référence aux indices (Gini et rapport inter-décile) de la répartition sociale des revenus, intimement associée à l'équilibre social et spatial de l'investissement, dans les aptitudes humaines et dans les capacités territoriales de développement et de croissance ». Notant que l'interaction entre la pauvreté, l'exclusion sociale et l'inégalité ainsi mesurée est manifeste, Diouidich avance que « l'inégale répartition spatiale et sociale de l'investissement dans les aptitudes humaines (éducation et santé) et dans les infrastructures sociales et économiques conduit à l'exclusion sociale. Il note que « cette interaction montre que les inégalités sociales sont, à la fois, cause et effet de l'exclusion sociale qui conduit, à son tour à la pauvreté sous ses diverses formes (humaine et monétaire). La pauvreté relative est négativement corrélée aux inégalités sociales et positivement associée à l'exclusion sociale approchée par la vulnérabilité et ces deux dernières s'inscrivent, à côté du développement humain et de la croissance économique et sociale parmi les déterminants clés de la pauvreté. S'agissant des coûts sociaux de la pauvreté, ceux-ci s'expriment dans le domaine économique (5,5% du PIB pour un objectif de pauvreté zéro, et « majoré par les subventions alimentaires, ce coût est de 6,4% du PIB. Sur le plan du manque à gagner et en l'absence de pauvreté monétaire, la demande des ménages aurait été révisée à la hausse de 8,5% »). M. Douidich ajoute que les coûts sociaux de la pauvreté sont « beaucoup plus profonds » et « s'expriment à travers l'incapacité d'une large frange de la population à se prendre en charge dans le domaine du logement, à s'insérer dans le marché du travail et (…) à tirer les avantages espérés des investissement publics dans la santé, l'éducation formation et les infrastructures sociales et économiques». Analysant les facteurs de la pauvreté, cet auteur précise que la réduction de la pauvreté dépendra de ses facteurs traditionnels (inégalité et croissance économique et des changements que pourrait engendrer la politique de développement -dont l'Initiative nationale pour développement humain) sur le reste des facteurs. S'agissant plus particulièrement des facteurs relatifs au développement humain, développement social et habitat, l'auteur précise que les indices développement humain et de développement social sont respectivement supérieurs de 40% et 50% dans les communes où le taux de pauvreté est inférieur à 10%, en comparaison avec les communes où le taux de pauvreté est supérieur à 40%. Au niveau national, l'élasticité de la pauvreté par rapport aux indices de développement humain (-1,34) et de développement social (-0,046) en fait les 3e et 5e facteurs de la formation des risques de pauvreté communale, les 4e et 6e positions étant occupées par les facteurs « emploi » (0.068) et « habitat » (0,014). Ceci signifie que, compte tenu de la consistance de ces indices, la généralisation des réseaux d'eau, d'électricité et des routes devra être doublée d'une éradication de l'habitat sommaire, source de précarité et d'exclusion sociale, la propriété d'un logement décent étant un patrimoine à la fois social et économique ».