Le Maroc, est-il une nation moderniste ? En voie de la modernité, rectifieraient d'aucuns. Ni l'un ni l'autre, rétorqueraient d'autres ! Le dilemme est d'autant plus accentué qu'il s'affronte à de cuisants revers, dans le vécu quotidien. On a beau brandir l'étendard de la liberté pour tous, notamment au lendemain de la mise en place de la loi suprême, notre pays continue à sombrer dans les hiatus saillants de la pratique. Le contraste entre le slogan et le tangible est criard, en dépit de la solennité du texte et du contexte. Et pourtant, la plus haute Autorité de la patrie ne cesse de faire prévaloir les valeurs de ce qu'elle a, habituellement, avancé en détenteur indéfectible des préceptes du modernisme. Depuis son intronisation, le monarque tonifie la voix de la dignité et revigore la voie de l'épanouissement. Son épouse est désormais connue de tous ses compatriotes et s'implique ardemment dans l'action sociale. Sa famille s'exhibe en public et ravive l'apport de l'institution royale. Une attitude monarchique sans appel, témoignant, en force, l'attachement aux exigences de la contemporanéité d'une nation/arbre aux racines africaines et aux branches européennes, comme disait feu Hassan II. Dans la foulée, le Maroc a adopté, après cumulations de rudes ébauches, la plus étoffée des constitutions de son histoire. Certes, nombre de zones d'ombre constituent constamment des fausses notes dans un document résolument tourné vers l'instauration des principes des libertés, à l'image du non-entérinement du concept de l'Etat civil, farouchement avorté par les forces conservatrices qui menaçaient, à l'époque, de « descendre » dans la rue, en cas de contrariété. Malgré alors cette éminence constitutionnelle, préconisée et protégée par les hautes sphères de l'Etat, des archaïsmes aigus continuent à sévir dans une société effervescente, en particulier ce fameux article 490 du code pénal, relatif à «l'incitation à la débauche», vivement contesté par les forces progressistes. En fait, la mise en application de cette disposition surannée relève d'une schizophrénie soutenue. On confondra sans scrupule les manies malsaines des pervers au sujet desquels la loi est répressive et les libertés individuelles, bafouées au grand jour, au nom de ladite «loi». On ne comprendra jamais pourquoi, au 21e siècle on mène toujours une chasse sans merci aux jeunes (hommes et femmes), se trouvant seuls, sans liaison conjugale, dans un lieu quelconque. Dans ce sens, si jamais la police surprend un jeune homme en compagnie d'une jeune fille, après une pluie d'interrogatoires, ce serait, enfin, la plus belle aubaine qu'on puisse avoir, ponctuée à coups de pots-de-vin (sic !). A ce propos, on ne peut non plus se permettre de partager une même chambre à l'hôtel, alors que deux gens du même sexe peuvent le faire, même si, éventuellement, ils pourraient être des homosexuels. Abdelilah Benkirane, leader du parti islamiste PJD, lui-même, avait tonné un jour dans l'hémicycle :«Je ne pourrai jamais me substituer en gendarme de la société, passant mon temps à poursuivre les jeunes dans leur vie privée». En fait, ces jeunes qui, de nos jours, s'attardent dans la poursuite de leurs études et ne peuvent, en conséquence, se permettre un lien légal, comment peuvent-ils satisfaire un besoin des plus naturels, la trentaine passée, sans être «traumatisés» par de mauvaises surprises ? De quelles libertés individuelles parle-t-on alors ? Pis encore, on notera non sans indignation, que sur des façades de lotissements, les syndics ont le culot de transcrire «réservé aux familles !», tout en chargeant le concierge d'interdire à quiconque d'y accéder, sous quelque prétexte que ce soit, au lieu de vaquer à des tâches domestiques (gardiennage, jardinage, stationnement...). De quel droit se permet-on de se comporter de la sorte ? Inutile de rappeler que ces unités de logements sont, pour la plupart, «infestés» par des barbus qu'ils transforment en ghettos générateurs de voix électorales. Il y a lieu, en revanche, de constater que le projet «d'habitat réservé aux jeunes», initié par Nabil Benabdallah, dans le cadre de la politique de la ville, conforterait le calvaire des célibataires, même si la conduite des enclos pour familles est blâmable. Le principe des libertés est alors quotidiennement piétiné, sans que les partis politiques, particulièrement ceux de la modernité et du progrès, ne pipent mot, face à ces transgressions. Du pain sur la planche pour préserver ces libertés, dans une nation qui se proclame, du moins sur papier, adepte du modernisme.