La date du 29 novembre 2011 restera certainement dans les annales politiques nationales. Ce jour là, le roi Mohamed VI a reçu M. Abdelilah Benkirane et l'a nommé chef du nouveau gouvernement. Un tel évènement pouvait sembler ordinaire car le Maroc a souvent connu de pareilles cérémonies. Mais ce qui particularise celle tenue le 29 novembre 2011 est bien le fait qu'elle se soit déroulée dans un nouveau climat politique et un nouveau cadre institutionnel, engendrés par le nouveau texte constitutionnel. Celui-ci, et dans l'objectif affiché de renforcer le caractère démocratique du pays, a procédé à une revalorisation, et en même temps, à une responsabilisation du chef du gouvernement, statut nouvellement accordé à l'ancien premier ministre. Une des premières conséquences de ce changement de statut est sans aucun doute la révision de la manière dont le premier responsable du gouvernement doit être nommé. A cet égard, la nouvelle Constitution s'est mise au diapason de ses homologues démocratiques et modernes. Désormais, le roi est doté d'un pouvoir de nomination lié, puisque le chef du gouvernement, selon les dispositions de l'article 47 de la nouvelle Constitution, est choisi au sein du parti arrivé en tête des élections législatives, en termes de nombre de sièges obtenus. La nomination de M. Abdelilah Benkirane au poste de chef du gouvernement est ainsi en parfaite conformité avec la lettre et l'esprit de la nouvelle Constitution. Son parti, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), est arrivé largement en tête du peloton avec 107 sièges obtenus au sein de la Chambre des représentants, à l'issue des élections législatives du 25 novembre 2011. Le PJD était assuré de remplir, pour la première fois de son histoire, des fonctions gouvernementales. Néanmoins, le choix de la personnalité du chef du gouvernement permet de faire quelques remarques. (Suite en P.4) «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Premièrement, et même avant la mise en place de la nouvelle Constitution et de son article 47, le roi avait déjà nommé au poste de premier ministre le chef du parti politique arrivé en tête des élections législatives. En effet, en 2007, M. Abbas El Fassi a été nommé par le souverain à la tête du gouvernement, suite à la victoire de son parti, l'Istiqlal, aux élections législatives du 7 septembre 2007, avec 52 sièges obtenus. Cette nomination a été interprétée à l'époque comme synonyme de la volonté du roi de tenir compte des résultats des scrutins populaires dans la conduite de l'action gouvernementale. Mais ce qui était en 2007 l'expression d'une volonté royale, est désormais expressément et sans équivoque intégré au sein de la Loi fondamentale du pays. C'est dire que celle-ci n'a fait que consacrer juridiquement le tropisme démocratique du roi. Deuxièmement, la Constitution reconnaît au parti arrivé en tête des élections législatives le droit de présider et de former le gouvernement. Toutefois, rien n'oblige le roi à nommer automatiquement le chef dudit parti à la tête du gouvernement. En effet, l'article 47 de la nouvelle Constitution dispose que « Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats ». En substance, Il n'est pas spécifié que le futur chef du gouvernement soit forcément le secrétaire général du parti en question. Le roi a l'obligation de choisir le chef du gouvernement parmi les membres du parti qui a eu le plus de sièges au parlement. Dans le cas du PJD, tout militant du parti pouvait être pressenti à la désignation royale. Par sa formulation, cette disposition constitutionnelle a donné lieu à un débat ouvert et a fait l'objet de plusieurs interprétations. D'aucuns ont avancé que le PJD serait invité par le Cabinet royal à présenter sa liste de candidats au poste de chef du gouvernement. D'autres ont estimé qu'aucune disposition juridique ne prévoit une telle liste, et que par conséquent le roi garde toute la latitude pour désigner toute personnalité du parti, qu'il considère la mieux placée pour assumer une telle responsabilité. Au sein de ce débat, des noms ont émergé. Plusieurs voix ont misé sur un choix portant sur l'ex-secrétaire général du PJD, M. Saâdeddine El Othmani. Toutefois, le roi a coupé court à toutes ces spéculations en recevant et en nommant M. Benkirane, secrétaire général du PJD, premier chef du gouvernement au Maroc de la nouvelle ère constitutionnelle. D'ailleurs, il est significatif que ce choix n'ait pas tardé et qu'il ait été rendu public deux jours après la proclamation des résultats définitifs et officiels des élections. En effet, en agissant de la sorte, le roi a non seulement donné corps aux dispositions constitutionnelles, mais il est allé plus loin encore, par le choix pur et simple du chef du parti vainqueur. Une telle décision met le Maroc en conformité avec les pratiques en vigueur dans les Etats démocratiques avancés, où le choix du chef du gouvernement est une question de forme, comme c'est le cas en Espagne, en France ou en Angleterre. La décision royale devrait ainsi constituer un engagement pour le futur et qui s'inscrit dans la durée. Troisièmement, la nomination du chef du parti vainqueur comme chef du gouvernement est la concrétisation juridique d'un vœu longtemps formulé par les acteurs politiques et sociaux, à savoir le fait d'avoir un gouvernement issu des urnes. Si le Maroc a déjà vécu avec le gouvernement Youssoufi ce qu'il était convenu d'appeler « l'alternance consensuelle », aujourd'hui, c'est une alternance politique réelle provenant des résultats des élections qui est concrétisée. Enfin, une quatrième et dernière remarque, liée au fait que l'obligation de nommer le chef du gouvernement parmi les rangs du parti vainqueur aux élections législatives, est de nature à redonner sens à toute l'opération électorale et au jeu de la concurrence partisane. Le vote des citoyens est l'expression d'un choix pour un programme politique précis. Mais cela est, d'un autre côté, porteur d'un engagement de la part du parti vainqueur et de sa coalition, puisqu'il est désormais responsable devant le parlement. *Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, «Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009)» (décembre 2009), «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile» (janvier 2011) et «Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Professeur à la faculté de droit de Meknès Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales*