Suite aux inculpations du juge Bruguière, qui met en cause le président Kagame, Kigali porte plainte pour violation de sa souveraineté à La Haye. C'est la première réponse judiciaire rwandaise à l'enquête du juge Bruguière, qui incrimine plusieurs hauts responsables rwandais et le président en exercice Paul Kagame : Kigali a déposé hier une requête contre la France devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye en estimant que sa souveraineté avait été violée. «Le gouvernement rwandais estime qu'en lançant des mandats d'arrêt internationaux contre des officiels d'un Etat souverain, un autre Etat souverain soulève des questions internationales dont doit se saisir un tribunal international impartial et compétent», indique le texte de la requête diffusé par les autorités rwandaises à La Haye. Tharcisse Karugarama, le ministre rwandais de la Justice, joint par Libération à La Haye, ajoute une autre raison à la requête de Kigali : «Ces mandats d'arrêt empêchent nos officiels de voyager à l'étranger et entravent la capacité du gouvernement rwandais à fonctionner librement.» Embarras. En novembre, le juge Bruguière avait émis neuf mandats d'arrêt visant des proches du président rwandais Paul Kagame. Dans son ordonnance, le juge antiterroriste désigne le président rwandais comme le cerveau et le commanditaire de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion de son prédécesseur Juvénal Habyarimana, entraînant le déclenchement du génocide qui a coûté la vie à 800 000 Tutsis et opposants hutus. Les mandats d'arrêt ont automatiquement été communiqués à tous les pays membres d'Interpol. Mais ils sont source d'un considérable embarras, même en France. En décembre, le chef d'état-major rwandais, James Kabarebe, visé par l'un des mandats, s'est retrouvé au Cameroun pour superviser des manoeuvres conjointes impliquant la France. Peu avant d'aller assister à une cérémonie sur un navire français, considéré comme territoire de la République, on lui avait discrètement conseillé de ne pas venir plutôt que de risquer une arrestation. Devant son refus, l'état-major avait fini par annuler le raout. Début. Il y a peu de chances que la démarche du Rwanda auprès de la CIJ aboutisse. Paris doit en effet accepter que la cour de La Haye soit compétente, et c'est peu probable. Cette première démarche n'est qu'un début : le Rwanda n'exclut pas de poursuivre la France pour «complicité de génocide» dans les prochains mois, en fonction des résultats de la commission d'enquête sur le rôle de la France dans le génocide, mise sur pied par les autorités de Kigali qui reprochent à Paris son soutien au régime Habyarimana. La commission doit rendre ses conclusions dans six mois, d'après Karugarama. A la suite des conclusions du juge Bruguière, Kigali avait rompu toutes relations diplomatiques avec Paris. Depuis, le président Kagame a posé, dans divers entretiens accordés à la presse, deux conditions à un retour à la normale : un «geste» de Paris et le transfert du dossier à un tribunal international ad hoc.