PARIS (AP) -- La découverte de l'oeuvre de James Ellroy, maître américain du roman noir, passe invariablement par la lecture d'un livre, "Le Dahlia Noir", inspiré d'une histoire vraie, le meurtre jamais élucidé d'une belle starlette dans la Cité des Anges... De ce polar à l'ambiance ambiguë, lourde de secrets et de sensualité, le réalisateur Brian De Palma a tiré son dernier film, "Le Dahlia Noir" (sortie mercredi dans les salles en France). Los Angeles, à la fin des années 1940. Surnommés "feu" et "glace", les inspecteurs Lee Blanchard (Aaron Eckhart) et Bucky Bleichert (Josh Hartnett) sont des héros à la section criminelle du LAPD, la police de la ville. Amis et rivaux, ils travaillent en duo, et vivent un ménage à trois platonique avec la jeune et jolie Kay Lake (Scarlett Johansson), une journaliste au passé trouble. Entre matchs de boxe truqués, tuyaux des indics, affaires de drogue et traque d'un criminel notoire, les deux hommes mènent une routine de flic jusqu'à ce qu'un meurtre ignoble s'étale à la "une" des journaux... Le corps atrocement mutilé d'une jeune actrice, Betty Ann Short (Mia Kirshner), est découvert sur un terrain vague. La victime est aussitôt surnommée "Le Dahlia Noir": sa jeunesse, sa beauté et son destin tragique confèrent une véritable aura de mystère à ce crime qui tient Hollywood en haleine. Contre l'avis de son partenaire, Lee Blanchard demande expressément à ce qu'ils soient saisis de l'affaire. "Le Dahlia Noir" semble l'obséder, à tel point qu'il s'éloigne de plus en plus de Kay. Plus en retrait, Bleichert mène sa propre enquête sur le meurtre, ce qui le met en contact avec Madeleine Linscott (Hilary Swank), la sulfureuse fille d'un magnat de l'immobilier. Entre secrets de famille, vies dissolues et amours clandestines, Bleichert tente de concilier sa passion pour Kay, sa loyauté envers Lee, son attirance pour Madeleine et son désir de découvrir le mystère du Dahlia Noir. A première vue, cette adaptation du chef d'oeuvre d'Ellroy par le maître du polar De Palma tient tout à fait ses promesses. Racontée par une voix off, ici celle de Bucky Bleichert, réminiscence de Bogart et des polars en noir et blanc des années 1950, le film happe le spectateur et le transporte dans le Los Angeles de l'après-guerre, la ville de tous les excès. Costumes, décors et direction photo: tout est à la mesure de l'atmosphère de trouble instaurée par Ellroy. Le casting masculin, pourtant risqué, se révèle solide. Bosse gosse a priori fade et sans intérêt ("Pearl Harbor"), Josh Hartnett parvient curieusement à porter le film sur ses larges épaules. Avec son physique de boxeur bon enfant, il colle à l'icône mâle de l'Amérique des années 1940 et déploie un jeu en nuances qui rappelle ses prestations dans "Virgin suicides" ou "La chute du faucon noir". A ses côtés, Aaron Eckhart campe avec conviction son alter ego dissipé voire dépravé, même si aucun des deux hommes ne dégage tout à fait l'ambiguïté latente des flics d'Ellroy. La distribution féminine, elle, est indiscutable. Actrice caméléon, Scarlett Johansson semble tout droit sortie d'un poster des années 1940. Malgré un physique peu adapté à cette époque tout en sensualité et rondeurs, Hilary Swank tire tout de même son épingle du jeu, aux côtés de la grande Fiona Shaw, inquiétante à souhait dans le rôle de Ramona Linscott. Quant à Mia Kirshner, quasi inconnue du grand public à l'exception de ses rôles dans les séries "The L Word" et "24 heures chrono", elle est LA révélation du film, incarnation parfaite de la starlette, entre innocence et perversion, victime de notre propre voyeurisme. Mais toute cette débauche de moyens et de talents ne parvient pas à sauver "Le Dahlia Noir" du fiasco final, faute d'un scénario digne d'Ellroy. Après avoir perdu un temps précieux à camper le labyrinthe de personnages et à installer la trame et les tensions, le film s'achève mal. C'est en deux longues séquences de flashbacks, presque bout à bout, que le scénariste Josh Friedman donne enfin au spectateur l'explication des crimes irrésolus du film, le tout avec un style et une maladresse indigestes. Cinéaste du suspense, Brian De Palma est aussi habitué de coups de génie ("Scarface", "Les incorruptibles", "L'impasse") que de ratés ("Femme fatale"). Cette fois, malgré une adaptation soignée et une mise en scène séduisante, il ne parvient pas à convaincre sur cette oeuvre si complexe qu'elle méritait davantage de tomber entre les mains d'un David Lynch. AP