« LES MENSONGES DE LA REPUBLIQUE » Par Selem MOQRAN. Dossier sur les expulsés d'Algérie. ARTISANTS DE LA RUINE. DECEMBRE 1975. Des milliers de familles, installées en toute légalité en Algérie depuis plus de quarante ans, sont brutalement arrachées à leur foyers et jetées à la frontière de leurs pays, par le régime de l'ancien président algérien Houari Boumédienne . NOVEMBRE 1975. Juste après la Marche Verte, le quotidien La République, pour mieux berner le peuple algérien et préparer son adhésion au projet criminel, tirait à la Une « Hassan II déclare la guerre » Un mois plus tard. Dépité par le succés éclatant de la Marche Verte, frappé de Démesure, le régime algérien, dans une réaction émotionnelle, s'acharna sur des femmes enceintes, des femmes en couches,des enfants, des vieillards, chargea des milliers d'innocents dans des fourgons, des camions, des autocars et les déversa à la frontière de leur pays le jour de l'Aid El Adha, sans égard pour les considérations humaines et les convictions religieuses. « Les célibataires entrés clandestinement en Algérie » Alors que les dépêches pleuvaient de partout pour condamner le crime abject, mettre à nu la véritable nature du régime et son incapacité à s'élever au niveau des responsabilités et des valeurs universelles, La République, sans crainte de faire rire, écrivait en substance « l'Algérie n'a rien contre le peuple marocain frère, elle a procédé à l'expulsion de quelques célibataires entrés clandestinement en Algérie après 1962. » MOHAMED LEBJAOUI, une figure de proue de la révolution algérienne. Les déclarations qui suivent sont extraites de son livre AU NOM DE L'ALGERIE CONTRE LA GUERRE FRATRICIDE POUR LA FRATERNITE MAGHREBINE POUR LA PAIX AU MAGHREB. UNE DEPECHE DE L' AFP DU 6 NOVEMBRE 1975 « Je décide de rejoindre immédiatement le Maroc pour participer à la lutte multiforme contre le colonialisme franquiste et partager entièrement le sort de mes frères marocains. » LA SUISSE DU 3 JANVIER 1976. Dans une interview parue le 3 janvier 1976 dans le journal La Suisse, M. LEBJAOUI disait « Les informations qui me parviennent d Algérie ne permettent plus aucun doute : le colonel Boumédiene prépare la guerre contre le peuple marocain frère....sous le prétexte de faire le bonheur de 75 000 sahraouis dont l'immense majorité le condamne, Boumediene est prêt à sacrifier des centaines de Marocains, de Mauritaniens et d'Algériens dans une guerre fratricide. Il poursuit son escalade de la haine et de la provocation en expulsant des dizaines de milliers de frères marocains résidant en Algérie. Pourquoi pas une étoile jaune sur la poitrine des frères marocains encore en sursis en Algérie Ce sont là des mesures d'inspiration nazie qui disqualifie Boumediene et les membres de son gouvernement. DECLARATION PARUE DANS LE MATIN DU 30 JANVIER 1976. Après les dizaines de milliers d'expulsions qui ont engendré le malheur dans les familles aussi bien marocaines qu'algériennes, le colonel Boumediene envoie au combat fratricide des soldats et des officiers algériens...Ce sont là des crimes monstrueux. C'est une véritable trahison envers l'Algérie , le Maghreb et la Nation arabe. DECLARATION PARUE DANS LE MATIN DU 9 FEVRIER 1976 La décision de sa majesté HASSAN II de considérer les prisonniers algériens non pas comme des prisonniers mais comme des hôtes a été interprétée comme un geste de très grande fraternité, comme la manifestation d'une sincère volonté de paix. Cette décision révélée par un éditorial de Moulay Ahmed Alaoui ,est parvenue à Alger et elle se propage déjà à travers certaines régions du pays. Dans ce domaine, je souhaite que le Roi aille encore plus loin dans la voix de la fraternité maghrébine. Devant cette colère grandissante, Boumediene amorce déjà un certain repli. Il a notamment été contraint d'abandonner son monstrueux projet de 60 000 nouvelles expulsions de frères marocains résidant en Algerie. De nombreux patriotes algériens exigent avec moi le libre retour en Algérie des frères marocains déjà expulsés, la restitution de tous leurs biens, une indemnisation réelle pour tous les biens pillés, volés, définitivement disparus. Des dédommagements devront être prévus. Notre doctrine est claire. Tout ce qui est favorable à l'Algérie, au Maroc, au peuple marocain, au peuple algérien devra être accepté et appliqué. MOHAMED BOUDIAF. L'un des principaux dirigeants de la révolution algérienne. DECLARATION PARUE DANS LE MATIN DU 31 DECEMBRE 1975. Les dirigeants Algériens sont responsables de la détérioration grave des rapports algéro-marocains ...J'en arrive aux responsabilités dans la détérioration grave des rapports algéro-marocains .Tout homme saint, tout militant sincère,tout observateur impartial est en droit de se poser des questions sur la signification d'u ensemble de mesures et d'initiatives prises par les autorités algérienne et je me limite à ne citer que les plus criantes. A) .......... B) ......... C) Mais fait plus grave et combien plus révoltant —-rompant avec les règles élémentaires de l'hospitalité —- l'expulsion depuis la veille de l'Aid El Adha , de nationaux marocains résidant en Algérie ( 25 000). Le drame humain par son ampleur, parce qu'il touche des victimes innocentes, doit susciter l'indignation et le désaveu qu'il mérite de la part de l'opinion ( en premier algérienne) arabe et internationale. Du côté marocain jusqu'à ce jour, aucun Algérien résidant au Maroc n'été Inquiété. Les organes de presse et d'information qu'ils soient d'opposition ou officiels s'en tiennent au compte rendu de ces expulsions en évitant d'aggraver le climat et observent devant ce drame une attitude faite de calme et de dignité. A ce sujet, j'adresse un appel solennel à Sa Majesté et aux autorités marocaines afin d'épargner les ressortissants algériens résidant au Maroc qui s'inquiètent et qui ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables des pratiques que j'ai qualifiées plus haut. ........Etre avec le peuple algérien aujourd'hui, c'est également être avec le peuple marocain. C'est cela la vérité et seule la vérité est révolutionnaire. 30 000 MAROCAINS EXPULSES D'ALGERIE SECOURS DE LA CROIX ROUGE ARTICLE PARU DANS LA TRIBUNE DE GENEVE DU 14 JANVIER 1976 Genève. – Depuis le 11 décembre jusqu'au début de cette année, quelque 30 000 Marocains avaient été expulsés d'Algérie, soit prés de 10 pour cent de la communauté marocaine de ce pays. Ces expulsions ont été confirmées par les autorités d'Algér, lesquelles affirment qu'elles visaient ” des personnes en situation illégale “. A la demande du Croissant-rouge marocain, M. Jean-Pierre Robert-Tissot, directeur du Bureau des opérations de secours de ligue des sociétés de la Croix-Rouge, s'est récemment rendu au Maroc, notamment dans la région frontalière d'Oujda où il a visité deux camps de toile regroupant 11 000 expulsés. On en compte également 10 000, respectivement à Nador et à Figuig. Partout ; ils ont été pris en charge par le gouvernement et le Croissant-Rouge chérifiens qui leur assurent le logement et des soins médicaux et leur fournissent des couvertures et de la nourriture à raison de 4000 tonnes par mois. Mais pour couvrir tous ces besoins, il faudrait, en particulier, 30 000 lits de camps, un nombre égal de couvertures et 20 tonnes de lait par mois pour les enfants qui représentent la moitié de cette population. Les Croix-Rouges suisse et néerlandaise se chargent actuellement de fournir ce lait, tandis que la ligue va préciser et compléter l'appel qu'elle avait lancé, la semaine dernière, à une trentaine de sociétés nationales pour venir en aide à toutes les victimes du conflit du Sahara occidental, notamment les 40 000 Sahraouis réfugiés en Algérie ou dispersés dans le désert. Selon des témoignages recueillis auprès de sources indépendantes, une partie de ces Marocains habitaient des villes comme Oran ou Tlemcen où ils menaient une existence relativement prospère en tant que commerçants, chauffeurs, mécaniciens, étudiants, etc. Beaucoup de familles vivaient en Algérie depuis plusieurs générations et n'avaient jamais mis les pieds au Maroc. Certains avaient même combattu dans les gangs du FLN pendant la guerre d'Indépendance. Tous ont dû partir quasiment sur-le-champ, en n'emportant qu'une ou deux valises par famille. On cite ainsi le cas d'une fillette de onze ans « raflée » en pleine classe, d'un père franchissant la frontière avec son nouveau-né, la mère étant morte en couches du choc de l'arrestation de son mari ; d'une femme renvoyée d'un hôpital où elle venait de subir une césarienne. Beaucoup de familles et de couples dont l'un des conjoints était marocains ont été aussi soudainement séparés. Il semblerait toutefois que ces expulsions ont cessé depuis quelques jours. André Naef ARTICLE PARU DANS LE Nouvel Observateur du 26 janvier 1976, sous le titre : « Choses vues à Oujda » Encore des tentes. Des tentes militaires en toile bise. Cette fois rangées les unes à côté des autres, en théories interminables. Encore des réfugiés. Des petits enfants, le derrière à l'air ; des vieux accroupis ; des femmes qui essaient inlassablement, à partir de rien, de reconstruire la vie quotidienne. Mais ce n'est plus le désert comme il y'a quinze jours. Ni les héroïques clochards du nationalisme sahraoui. Ce camp-là est à Oujda, prés de la Méditerranée et de la frontière algérienne. Il abrite des Marocains pas tout à fait comme les autres : ceux que le président algérien a cru devoir mettre à la porte, compromettant ainsi une cause défendable. Mon témoignage paraîtra-t-il dans cette Algérie socialiste que nous aimons ? (.......) Cette affaire des Marocains expulsés n'est pas la clef de la crise du Maghreb, dont le Sahara occidental n'est lui-même qu'un détonateur. Pourtant, la pièce mérite d'être versée au dossier. Ne serait-ce qu'en témoignage de l'acharnement mis par les « frères » à s'entre-déchirer de puissance à puissance. Ailleurs, les Marocains prennent des initiatives avec l'habileté formelle qui caractérise leur souverain. Ici, à Oujda, j'ai vu les résultats d'une initiative algérienne. Pas très habile, celle-là. L'exode forcé a commencé il y'a un mois. Selon les Marocains, qui ont des listes détaillées, trente mille de leurs ressortissants ont été jetés dehors, sur les trois cent mille qui vivent en Algérie depuis, parfois, plusieurs générations. Au début, les passages de frontière ont été massifs : jusqu'à cinq mille par jour. Et puis le flot a diminué. Aujourd'hui, il est presque tari. Certains expulsés ont été accueillis par leurs familles. D'autres sont çà et là, dans des camps, selon le poste-frontière où ils ont été dirigés par la police algérienne. A Oujda nous avons visité deux camps à la périphérie de la ville. Au total, plus de neuf mille transplantés. Ils sont correctement nourris, et traités aussi bien que possible, en attendant leur réinsertion normale dans le pays. Après tout, ces gens sont chassés vers un pays qui est le leur, tout au moins, théoriquement. Et, actuellement, le Maroc a tout intérêt à montrer comment il reçoit les victimes de la mauvaise humeur algérienne. Le principe et les circonstances de l'expulsion n'en sont pas moins étranges. Désoeuvrement, attente, stupéfaction morne après l'incompréhensible choc... Comme dans tous les camps du monde, des groupes oisifs se forment et viennent entourer le visiteur. « Pourquoi ils ont fait ça, les Algériens ? - On ne sait pas. - Ah si : c'est à cause du Sahara... » Les policiers patrouillent lentement dans le camp. J'ai eu un peu de mal à m'en débarrasser avant de pouvoir parler avec les gens, sans témoins, de tente en tente. Dans celle-là, il y'a surtout des jeunes, accroupis ou allongés sur des nattes. Un étudiant en électronique parle le premier. « Ils m'ont pris dans la rue. Carte de séjour déchiré. Et une cellule au commissariat. Sans avoir le droit de passer chez moi. Quand on a été une cinquantaine, ils nous ont embarqués dans un car. Et hop ! A la frontière ! Juste comme ça. Avec la chemise qu'on avait sur nous. Ceux qui rouspétaient étaient battus. » Ce garçon, comme la plupart des autres, n'avait jamais mis les pieds au Maroc. Son père, venu tout jeune en Algérie, est mort au combat dans les rangs du F.L.N. Les témoignages s'accumulent. Tous directs. Indiscutables. Les expulsés ont été cueillis au travail, au café, dans la rue, chez eux, comme au petit bonheur. Sauf exception, ils n'ont rien pu emporter. A la frontière, la police a confisqué les économies de ceux qu'on avait raflés chez eux. Quinze mille, Vingt cinq mille dinars. Souvent le seul capital d'une vie de travail. J'ai vu les dérisoires reçus signés par un fonctionnaire algérien. La petite maison du vieil ouvrier ou du vieux paysan, la boutique, la voiture des plus favorisés : c'est fini, c'est perdu. D'autres histoires dans la pénombre. D'autres tentes. Ce jeune homme n'a pas pu voir sa femme, en train d'accoucher à l'hôpital. Beaucoup de ces Marocains ont épousé des femmes algériennes. Elles restent là-bas, avec les enfants. Pas de rouspétance. Des dizaines de cas. Ici, il y'a surtout des vieux .Celui-là, assis au fond, à la place d'honneur, a au moins soixante-dix ans. Aveugle. Chassé sans avoir pu dire adieu à sa femme. Inutile de multiplier les exemples. C'est monotone, la misère et la terreur policière. A Oujda, le brave consul d'Algérie, pour qui la vie n'est pas drôle en ce moment, m'a paru un peu embarrassé : « Il y'a eu des excès de zèle peut-être, des erreurs... » Non. Une erreur. Une lamentable et totale erreur de l'Algérie socialiste qui parle volontiers du Maghreb des peuples. Jean-Francis Held Le nouvel Observateur (26 janvier 1976) Aujourd'hui 34 ans après, les veuves, les orphelins, les malades mentaux, les rêves brisés, les espoirs déçus, les larmes et les souffrances quotidiennes invitent les responsables de cette tragédie à se regarder dans la glace.