Le 17 mars, la haine de l'autre a brutalement fait irruption dans la campagne présidentielle française. Mohamed Merah, après avoir assassiné trois militaires de l'armée française en pleine rue, s'en prend aux enfants d'une école juive de Toulouse. Il y a dans les actes de ce jeune homme comme un condensé de toute les intolérances de ce début du XXIème siècle: la xénophobie nationaliste qui hante les discours politiques français et européens, la xénophobie politico-religieuse engendrée par le conflit israélo-palestinien et enfin la violence générée par le 11 septembre et les deux guerres d'Irak et d'Afghanistan. Ces émotions nous traversent tous, portées par un flot médiatique continu et global. Par le jeu de synergies obscures, elles ont fait basculer Merah dans une folie meurtrière. Les commentateurs se sont surtout intéressés aux parcours de l'auteur : son parcours dans les camps d'entrainement du Waziristân, la façon dont il a déjoué la surveillance des services de renseignement, le calcul froid et déterminé avec lesquels il a fait ce qu'il a fait. Mais, en définitive, peu a été dit sur la réaction par l'opinion publique de ces événements et de leurs conséquences politiques. Car force est de constater, en ces temps de campagne présidentielle, l'étincelle Merah n'a pas mis le feu aux poudres. Dans la période qui a suivi les crimes et avant que son auteur ne soit identifié, c'est l'hypothèse d'un acte raciste, une version hexagonale d'Anders Berhing, qui a retenu l'attention des médias et de la police. Il existe, en France, la conviction ancrée qu'une large partie de la population est profondément xénophobe. Cette croyance en une France raciste s'est installée dans le sérail politique français, de l'extrême droite à la gauche bien pensante, conforté par une batterie de rapports et sondages qui confirment l'augmentation des pratiques discriminatoires dans le pays (cf. les rapports de la HALDE et du CNCD pour ne prendre que ces exemples). L'UMP en fait une stratégie politique. Les cadres du parti socialiste ne dénoncent que du bout des lèvres les sorties tendancieuses des élus de droite, de peur de faire fuir une base que eux aussi pensent perclus de xénophobie. Aussi, lorsque, le surlendemain de l'attentat, le nom du criminel fut prononcé par les médias, la France a retenu son souffle. Marine Le Pen n'a guère tardée pour exprimer tout le mal qu'elle pensait des islamistes. Nicolas Sarkozy s'empressa d'endosser les atours de protecteur de l'ordre national en assénant face à des collégiens: «cela aurait pu vous arriver». En contre-point, dans les rues de Toulouse et sur la toile, des islamistes réels ou supposés affichent un soutien obscène à Mohamed Merah. Le pays aurait dû alors être au bord de la rupture, à deux doigts, si l'on en croit les tenants de la thèse du pays xénophobe, de sombrer dans une spirale fascisante. En 2002, le passage a tabac d'un vieil homme par une troupe de brigands la veille du premier tour des présidentielles aurait permis a Jean-Marie Le Pen de passer devant Lionel Jospin. Qu'allait-il se passait en 2012 ? Rien. Contre toute attente, la côte de popularité de Nicolas Sarkozy n'a pas connu d'envolée, celle de Marine Le Pen poursuivit sa baisse dans les sondages tandis que Jean-Luc Mélenchon grignotait des points et devint le troisième homme de la course présidentielle. Bien sûr, les débats continuent sur les défaillances policières, les actions de démantèlement des réseaux ou sur la fin de non recevoir opposée par l'Algérie au rapatriement du corps. Mais, en définitive, la page fut vite tournée. Le scénario d'un Le Pen au second tour s'évanouit. Le choc des civilisations n'a pas eu lieu. Il faudra sans doute plusieurs années avant que l'on comprenne ce qui s'est passé. Je vois trois clés explicatives possibles. En premier lieu, on peut s'interroger sur le rôle qu'a eu le discours de Nicolas Sarkozy devant les élèves du collège François Couperin à Paris. Par cette phrase sèche et sans concession «cela aurait pu arriver n'importe où », le Président n'a pas fait que mettre en scène son statut d'homme providentiel. Ces mots sous-entendent la possibilité de l'irruption de la monstruosité dans notre quotidien à tous. Ils nous invitent à considérer le monstrueux non comme une catastrophe surnaturelle, mais comme un déchirement du cours normal des choses. L'erreur serait de transposer le problème du terrorisme sur un autre plan que celui de cette normalité, où les méchants seraient une incarnation du Mal absolu, où nos protecteurs seraient je ne sais quels héros hollywoodiens aux pouvoirs illimités. Je ne conteste pas l'utilité de l'action policière, mais elle restera vaine si cette action conduit à évacuer la responsabilité citoyenne. Cette violence ne nous est pas étrangère, c'est dans le tissu social qu'elle trouve son ferment. Or, dans cette campagne présidentielle, l'extrême gauche prend le contre-courant les inclinations xénophobes de la classe politique. Le parti communiste relaie un nationalisme inclusif, insistant sur les liens affectifs et amicaux qu'entretiennent Français et étrangers au niveau local. Ce type d'argument, longtemps confiné aux milieux associatifs et académiques, trouve un écho inédit sur la scène politique. Ce contre-discours, recentré sur les relations locales, cette réaffirmation de la continuité du lien social est la seconde clé qui peut expliquer les réactions de l'opinion publique. Enfin, pour la première fois sur le sol européen, un islamiste s'attaque simultanément à des personnes juives et maghrébines. Plus encore, il s'en est pris à des enfants. Or, le sourire d'un enfant dépasse les frontières. Il est un bien universel au-delà de l'altérité. Ces crimes ont créé de fait les conditions d'une solidarité entre les différentes parties de la population. C'est sans doute le troisième facteur qui permet de comprendre pourquoi, cette fois, la violence islamiste n'a pas fait le jeu du Front National. Reste à savoir si, le pays pourra capitaliser sur cette solidarité de circonstance et faire jouer la logique des relations concrètes contre le mythe de la France xénophobe.