Ce programme a surtout bénéficié d'une forte médiatisation afin d'en peaufiner la forme au détriment du fond. Décidé unilatéralement par le ministère de l'Habitat et de l'urbanisme, il souffre aujourd'hui de nombreuses carences. Quinze ans que le Maroc attend de voir sortir de terre ses «Villes nouvelles», du nom du programme éponyme qui avait été annoncé en grande pompe en 2004 par le ministère de l'Habitat et de l'urbanisme (MHU). Or sur le terrain, la montagne a accouché d'une souris. Pour le géographe Jean-Marie Ballout, auteur d'un «bilan intermédiaire du Programme de villes nouvelles au Maroc» (2017), l'effort a été fait sur la forme au détriment du fond. C'est que ce programme a en effet bénéficié d'une forte médiatisation incarnée par le ministre de l'Habitat et de l'urbanisme de l'époque, Ahmed Taoufiq Hejira. A coups d'interventions médiatiques, ce dernier va assurer l'opération séduction de ce programme à l'intitulé bien vendeur. «Le ministre va faire du Programme de villes nouvelles l'un des symboles forts de son action, à tout le moins dans ses discours. La grande attention qu'il a portée à sa mise en images amène à s'interroger sur les raisons d'un tel effort de communication», interroge Jean-Marie Ballout dans son étude. L'une des hypothèses qu'il formule pour tenter de répondre à cette question est celle d'une volonté de masquer certaines failles de ce projet, «d'ordre politique, économique, théorique, opérationnelle». Le chercheur de résumer : «En d'autres termes, elle servirait surtout à dissimuler une certaine impréparation – pour ne pas dire une impréparation certaine.» Ahmed Taoufiq Hejira s'est ainsi jeté, et avec lui les médias marocains, sur ce terme de «Villes nouvelles», comme l'ont fait et le font encore beaucoup de chercheurs sans forcément comprendre ce qu'il recouvre réellement, estime le géographe. D'autant qu'au ministère de l'Habitat et de l'urbanisme, les équipes de Hejira sont chevronnées au marketing et à la communication, bien plus qu'à l'urbanisme et à l'aménagement du territoire. «Le ministre s'est ainsi lancé dans ce chantier et on a ainsi entendu parler de "Villes nouvelles". D'ailleurs, il ne parlait pas de "politique de villes nouvelles", mais de "programme". A l'époque, le terme n'était même pas politisé», explique Jean-Marie Ballout à Yabiladi. La folie des grandeurs Pour la petite histoire, le ministre se serait vu soumettre une série de projets de villes nouvelles, notamment dans la région de Marrakech, qui dormaient dans un tiroir depuis des années. «Cette politique était censée répondre à des besoins sociaux, notamment en termes d'accès au logement et de création d'emplois», précise le chercheur. Mais au préalable, aucune concertation n'a été menée, aucun accord n'a été scellé avec des investisseurs potentiels et des acteurs du secteur industriel et tertiaire. «Rien n'a été prévu en amont pour assurer la création d'emplois. Ce qu'ont fait des groupes comme CDG-Développement et Al Omrane, tous deux porteurs de projets de villes nouvelles, ce n'est rien d'autre qu'un beau dessin», tranche Jean-Marie Ballout. A Chrafate en revanche, près de Tanger, des potentialités ont été dénichées. La ville du Détroit cumule en effet deux atouts non négligeables : le port Tanger Med et l'usine Renault. «C'est-à-dire qu'avant la création de cette Ville nouvelle, on a déjà créé de l'emploi.» Au total, sur les quinze projets annoncés, seulement quatre ont été officialisés, tous situés dans la partie nord du pays : Tamansourt en 2004 dans la périphérie de Marrakech, Tamesna en 2005 à proximité de Rabat, Sahel Lakhyata à proximité de Casablanca et Chrafate dans la périphérie de Tanger, d'après l'étude de Jean-Marie Ballout. Le Maroc aurait-il eu la folie des grandeurs ? «À vrai dire, l'annonce d'un si grand nombre de projets de villes nouvelles ne pouvait manquer de provoquer l'étonnement, dans la mesure où l'armature urbaine marocaine ne semblait pas requérir un tel renforcement, en tout cas pas là où la plupart de ces villes étaient prévues», répond le chercheur. «Un urbanisme d'opportunité» Le programme «Villes nouvelles» a également souffert d'une absence totale de concertation entre le MHU et le ministère de l'Aménagement du territoire, de l'eau et de l'environnement (MATEE). «Le ministère de l'Habitat a pris cette décision unilatéralement», nous confie le chercheur. Mais voilà, une ville nouvelle, ce n'est pas qu'une opération d'urbanisme, mais aussi d'aménagement du territoire. «Quand on prévoit de créer une entité urbaine qui devrait, au bout de 15, 20 ans (une prévision qui a là encore été surexagérée), accueillir 300 000 habitants, on peut penser qu'elle va avoir un impact à l'échelle régionale. On ne peut plus se cantonner à une échelle strictement locale et urbaine, mais sur des questions qui intéressent l'aménagement du territoire et pas seulement l'habitat et l'urbanisme. C'est un urbanisme d'opportunité», souligne le géographe. «On est allé chercher du foncier qui n'était pas du tout disponible, du fait de la présence d'habitants», ajoute le chercheur. Sur les 1 200 hectares de foncier, deux noyaux villageois se côtoyaient et devaient être restructurés. «Dans le jargon urbanistique au Maroc, cela se traduit par l'installation de réseaux d'adduction en eau potable et d'évacuation des eaux usées. Malgré la restructuration de ces douars prévue dans le projet initial, ces derniers n'existent plus aujourd'hui», témoigne le chercheur, qui s'est rendu il y a un an et demi sur le site de Rama Sourit, dans la commune rurale d'Harbile (région Marrakech-Safi). «Les élites communales s'en sont bien sorties, mais les habitants, très mal représentés, se sont vu attribuer le minimum syndical en termes de logement.» «Dans la plupart des cas, ces habitants, dont la présence était antérieure aux aménagements envisagés, ont manifesté leur désaccord avec les montants et les modalités d'indemnisation proposés par les sociétés d'aménagement, pressées par la nécessité d'apurer le foncier au sein des périmètres établis», explique l'étude. Force est de reconnaître qu'ils n'ont pas été entendus. L'auteur Jean-Marie Ballout est docteur en géographie et aménagement de l'espace, chercheur associé à l'UMR GRED (Gouvernance, Risques, Environnement, Développement) de l'Université Montpellier 3. Ses travaux portent sur les systèmes d'action et les effets territoriaux des politiques d'aménagement, ainsi que sur le rôle de la démocratie alternative dans l'organisation et la gestion des territoires. La revue Les Cahiers d'EMAM est une revue interdisciplinaire qui se propose de contribuer à la restitution des savoirs sur le monde arabe et la Méditerranée, dans leurs interférences avec le reste du monde, autour des questions urbaines et des processus de constructions/reconfigurations territoriales dans leurs dimensions sociales, économiques et politiques en encourageant les idées nouvelles et les démarches comparatives.