Cette association proche du Parti démocratique de l'indépendance (PDI) a été créée en 1946. Avec l'Union des femmes du Maroc, elle représente les premières expressions féministes dans un Maroc bientôt indépendant. La lutte pour l'égalité au Maroc fut aussi celle des femmes. Si l'Indépendance a certes donné un coup d'impulsion aux combats politiques et sociaux d'un Maroc avide de souveraineté, les femmes n'ont pas attendu de franchir cet échelon historique pour prendre leur destin en main. Ainsi, en 1944, la section féminine du parti de l'Istiqlal crée en 1944 l'Union des femmes du Maroc, liée au parti communiste, rappelle Rabéa Naciri, professeur universitaire à la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat et membre fondatrice de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADDH), dans un article sur «le mouvement des femmes au Maroc», publié en 2014 dans la revue Nouvelles Questions féministes. Deux ans plus tard, en 1946, cette même section crée l'association «Sœurs de la pureté» («akhawaât assafâ»), proche du Parti démocratique de l'indépendance (PDI). L'Union des femmes du Maroc et les «Sœurs de la pureté» «représentent les premières expressions et formes d'organisations féminines durant cette période caractérisée par la montée de la revendication de l'indépendance du pays», indique Rabéa Naciri. Cette dernière souligne le caractère exceptionnel des «Sœurs de la pureté», au motif qu'«elle a brisé le cadre protecteur et étroit, tracé par l'idéologie réformiste, dans lequel devait se déployer l'émancipation des femmes». La question du statut des femmes ne tarde pas s'inviter dans les colonnes de l'hebdomadaire «Démocratie», organe du PDI. «Fait sans précédent», souligne Rabéa Naciri, un groupe de femmes interpella, par le biais de cet hebdomadaire, les oulémas en des termes audacieux : «Si l'islam, comme vous le dites, a institué une constitution des droits de la femme pour toutes les époques et toutes les sociétés et l'a placée sur un plan social très élevé, faisant d'elle l'égale de l'homme, pourquoi donc, sur les points qui vont suivre, constate-t-on une discrimination entre l'homme et la femme et une situation privilégiée de l'homme : pourquoi en droit musulman, le témoignage de la femme ne compte-t-il que pour moitié par rapport à celui de l'homme, et, dans certains cas, est-il nul ? (…) Pourquoi insulte-t-on la dignité de la femme par ce hadith : ''Les femmes sont peu religieuses et peu intelligentes''» ?» Changements sociaux et conquête des droits La première Assemblée générale des «Sœurs de la pureté» a lieu en mai 1947 à Fès. La première présidente, Habiba Guessoussa, y prend la parole pour appeler les femmes à rejoindre la lutte, mais reste évasive sur les objectifs concrets de cette association, constate l'historienne québécoise Christine Chevalier-Caron. Remerciant le sultan Mohammed Ben Youssef pour ses positions favorables à l'éducation des femmes, Habiba Guessoussa s'exprimera ainsi : «En créant cette association, nous avions pour objectif de rejoindre la lutte menée pas nos sœurs d'autres pays de la région. Nous ne sommes pas moins intelligentes, ni moins éduquées que nos sœurs d'ailleurs, et on ne nous a pas moins bien élevées. Ce qui nous manque, ce sont les conditions appropriées. (…) Notre devoir est de nous rassembler, de travailler dur et de faciliter ainsi notre propre renaissance.» Chez les «Sœurs de la pureté», on croit profondément à l'éducation comme unique facteur émancipateur des femmes, à la seule condition que celle-ci s'inscrive dans le cadre de changements sociaux et de conquête des droits. «À l'occasion de leur première Assemblée générale, elles se seraient positionnées pour lutter contre l'ignorance, et l'analphabétisme, en faveur de l'accès à l'éducation, pour l'abolition des traditions erronées, et le partage d'expériences», indique Christine Chevalier-Caron. Ses militantes veulent en effet s'inspirer des actions accomplies par les Egyptiennes. Trois grands axes ressortent de leurs échanges : l'abolition de la polygamie, la dignité dans la sphère privée et l'obtention d'une visibilité sur la scène politique, d'après la linguiste marocaine Fatima Sadiqi dans son ouvrage «Moroccan Feminist Discourses» (Ed. Palgrave Macmillan, 2014), cité par l'historienne québécoise. Des militantes épaulées par Lalla Aicha Mais leurs modèles ne sont pas qu'Egyptiens. Les «Sœurs de la pureté» puisent aussi auprès de leurs propres références marocaines, à commencer par celle qui s'imposa pour elles comme une évidence : Lalla Aïcha, la fille du sultan Mohammed ben Youssef, dont Habiba Guessoussa la considérera dès lors comme «la représentante de [leur] mouvement». La princesse avait en effet plus d'un atout : après l'indépendance, en 1957, elle prit la tête d'une délégation de femmes s'étant rendue à Damas afin de participer au premier Congrès des femmes arabes. De plus, ses expériences diplomatiques en Europe ne feront que conforter sa légitimité auprès des militantes : elle fut en effet ambassadrice du Maroc au Royaume-Uni (1965-1969), en Grèce (1969-1970) et en Italie (1970-1973). Dans un célèbre discours prononcé en 1947, Lalla Aïcha déclarera également que son père «s'attend[ait] à ce que toutes les femmes marocaines s'investissent dans l'éducation et déploient leurs efforts pour acquérir une éducation ; c'est au niveau de l'éducation que se mesurent la civilisation et le progrès d'une nation», lit-on dans l'ouvrage «Des femmes écrivent l'Afrique – L'Afrique du Nord» de Fatima Sadiqi, Amira Nowaira, Azza El Kholy, Moha Ennaji (Editions Karthala, 2013). La tout aussi célèbre Malika el-Fassi, seule femme signataire du Manifeste de l'indépendance du 11 janvier 1944, présenté aux autorités françaises par cinquante-neuf Marocains, sera, elle aussi, une membre fervente des «Sœurs de la pureté». Elle appellera les femmes à participer à la vie politique de leur pays et demandera qu'on leur accorde le droit de vote et le droit de se présenter aux élections. L'histoire ne s'est pas arrêtée puisque d'autres femmes reprendront le flambeau, à l'image de Zhor Lazraq, qui a fondé, après l'indépendance, l'Association de protection de la famille, toujours existante aujourd'hui.