Au Maroc, la prise en charge des cas de prostitution forcée ou d'exploitations sexuelles des enfants demeure encore tabou, à tel point qu'il est difficile d'élaborer une cartographie globale de la situation dans le pays. Face à cela, des associations de la société civile prennent le relais, à contre-courant des représentations sociales et culturelles, pour lever les non-dits. Comment sensibiliser les filles et les garçons aux violences sexuelles et aux risques d'exploitation sexuelle à travers les réseaux de prostitution au Maroc ? C'est à cette délicate question que tente de répondre l'association Bayti en travaillant sur «des ateliers de sensibilisation sur le rapport au corps, l'éducation sexuelle et la violence basée sur le genre». Yamna Taltit, responsable du pôle formation et expertise au sein de Bayti, estime que «les mineurs font l'objet d'une exploitation et de violences sexuelles, qui englobe la prostitution» et que «la seconde ne peut être distinguée de la première». Si l'association Bayti choisit de ratisser plus large, c'est surtout parce qu'«il n'existe pas un espace ami aux enfants et encore moins des lieux pour protéger les victimes, que ce soit entre quatre murs ou dans l'espace public», constate la militante. De la même manière, il est difficile de cerner un seul espace selon la récurrence des cas. «Ces derniers diffèrent entre ceux qui ont subi ces violences dans la rue, dans le milieu familial à travers l'inceste, dans les établissements scolaires ou encore certains centres de protection de l'enfance, des écoles coraniques, ...», nous décrit-t-elle. Exploitation sexuelle plutôt que prostitution ? Pour Yamina Taltit, il existe ainsi «des réseaux de prostitution qui forcent les mineurs à intégrer ce système sombre sur lequel très peu d'informations circulent et restent cantonnés au traitement du volet juridique relatif à la protection des enfants contre différentes formes d'exploitation». «Les terminologies sont importantes et on ne parle pas par exemple d'une mineure prostituée mais d'une mineure victime d'exploitation sexuelle dans différents cadres.» Yamna Taltit Abondant dans le même sens, la militante féministre Souad Ettaoussi explique à Yabiladi qu'«il est difficile de dire qu'un enfant et un mineur de moins de 18 ans a sa part de responsabilité dans cet acte contre argent, d'où l'on ne peut pas parler simplement de 'prostitution'». «Les enfants en sont victimes par la force, suite à un problème social, à des violences passées, à cause des représentations sociales et à la culture selon laquelle les filles arrivées à l'adolescence doivent se trouver un mari», analyse-t-elle. Par ailleurs directrice de l'Institut Tahar Sebti, cette spécialiste de la question des femmes explique que «dans cette quête, les jeunes filles entretiennent des relations sans comprendre que certaines pratiques peuvent les exposer à une situation de prostitution, surtout que l'image idéale du partenaire ou du mari est celle de quelqu'un qui la prendra en charge financièrement, qui la couvrirait de cadeaux et d'argent, mais on oublie que c'est la définition d'une éducation à la vente du corps». Déconstruire les positionnements de domination subis par les enfants Selon Souad Ettaoussi, «le nombre de cas est estimé au Maroc à plus de 210 000», sur la base des recensemments associatifs. «En l'absence d'une véritable éducation sexuelle, chez les filles comme chez les garçons, ces phénomènes continueront de prendre de l'ampleur», avertit-elle. Dans ce sens, elle appelle notamment à briser le tabou d'une exploitation socialement et juridiquement acceptée, qui est celle du mariage des mineurs. «Si on regarde de plus près les raisons pour lesquelles des fillettes de 13 ans sont mariées par leurs familles, il faut la considérer comme de l'exploitation sexuelle de mineurs», insiste la militante. «Les travailleuses de maison sont également victimes de cette exploitation, car n'ayant pas reçu l'éducation nécessaire pour différencier leurs fonctions de faire le ménage, la cuisine ou s'occuper des petits et accompagner l'employeur ou son fils dans la chambre à coucher.» Souad Ettaoussi Dans toutes ces situations, Souad Ettaoussi estime qu'«on ne peut pas considérer que des mineurs soient consentants ou 'se prostituent' en connaissance de cause, lors de relations de domination soiciale, les rapports de force et de vulnérabilité sont en déphasage criant. Il est clair que par le positionnement des uns et des autres, il existe véritablement un ascendant sur ces enfants». Parce que cette problématique n'est pas uniquement juridique, la militante souligne que «briser ces tabous ne se fait pas qu'avec des réformes de lois, mais à travers une véritable révolution culturelle, un combat efficace contre les violences basées sur le genre, où toutes les composantes de la société et des institutions sont responsabilisés». «Si on ne promettait pas à ces filles qu'en vendant leur corps, elles pourraient obtenir de quoi changer leur situation, l'exploitation sexuelle aurait été sensiblement réduite. Et rappelons surtout que sans demande, il n'y aurait pas d'offre», conclut-t-elle.