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Briser le tabou
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 20 - 02 - 2004

Qui sont les vrais coupables ? Le malade, qui inflige à d'autres des sévices qu'il a le plus souvent subis lui-même dans son enfance ? Toutes les "honnêtes gens" qui se taisent ? Les "autorités" qui détournent les yeux ? Il n'y a pas l'ombre d'un doute : chacun d'entre-nous a une part de responsabilité.
Le silence est, certes, brisé autour de ce qui continue d'être considéré comme un tabou. Mais de nombreux progrès sont encore à faire. En 2004, le Maroc accueillera un important colloque arabo-africain, au cours duquel plusieurs pays présenteront leur plan de lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants.
Le Royaume a ratifié, en 1993, la Convention des Droits de l'Enfant. Il a également adopté la Convention 182 du BIT, sur les pires formes du travail des enfants, qui prévoit l'interdiction et l'élimination de la prostitution des enfants et de la pornographie impliquant des enfants.
De même, il a adopté la déclaration et l'agenda de Stockholm (1996), visant la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Le Maroc a également abrité la conférence arabo-africaine sur l'exploitation sexuelle, sanctionnée par la déclaration de Rabat (septembre 2001). Il a adopté la déclaration finale de Yokohama (décembre 2001).
Toutefois, des centaines d'enfants continuent d'être abusés et des violeurs d'épier nos enfants.
Qu'en est-il de Farid, 12 ans, qui, il y a quelques mois, a été admis aux urgences souffrant d'une hémorragie due à un coup sur la tête. «Il a glissé dans l'escalier» , avait affirmé d'une voie tremblante sa mère. Le médecin découvrira de vieilles cicatrices, prouvant que Farid a été lacéré et brûlé. L'enfant confiera à une assistante sociale que son beau-père le violente parce qu'il refuse de faire «des choses». La mère ne portera pas plainte et le coupable ne sera pas poursuivi.
Qu'en sera-t-il de Mouna, 13 ans, qui vient de mettre au monde un bébé ? «Son papa est mon papa», annonce la jeune maman en présence de ses parents. Mouna le dit avec une telle candeur qu'on a peine à y croire.
Fattouma, elle, a connu tous les aléas de la vie d'une petite bonne. Famille nombreuse, parents inconscients, misère et ignorance. A 10 ans, elle ne sait ni lire ni écrire. Elle a pour seuls droits des réprimandes, des privations et des coups et plus tard des asservissements sexuels. Ses cheveux rasés, son corps chétif et les haillons qu'elle portait en guise de vêtements ainsi que les traces de flagellation en disent long. «Quand ma maîtresse a su que «Sidi» abusait de moi, elle s'est mise en colère. Mais c'était à moi, encore une fois, de subir sa grosse colère. Elle ne m'a pas crue et m'a mise à la porte au beau milieu de la nuit» raconte la petite fille.
Majd, relate l'horreur de son viol. Il n'a que 10 ans. C'est un acte de bestialité qu'il raconte. Forcé de suivre un inconnu alors qu'il venait de quitter son école, il sait que quelque chose de terrible va lui arriver. Le petit se fait violer à plusieurs reprises et abandonner nu sur la plage. Le code marocain punit toutes formes d'abus et d'exploitation sexuels des enfants. En cas d'inceste, de viol ou de viol avec défloration, le coupable risque jusqu'à la réclusion à perpétuité. Toutefois, ces sentences sont rarement appliquées, car la peur du scandale est une vraie hantise. Ce qui encourage par ailleurs l'exploitation sexuelle des enfants.
Selon les données recueillies par l'Observatoire national des droits de l'enfant (ONDE), depuis le lancement de la campagne contre l'exploitation sexuelle du 14 décembre 2003 au 13 janvier 2004, le centre a reçu 19.799 appels, dont 1915 demandes d'information, 80 demandes d'intervention, dont 59 cas d'agression sexuelle. Le total des appels relevant des compétences du centre est de 1695 et le total des dossiers suivis auprès des tribunaux s'élève à 21. Ces appels ont été émis par l'enfant victime (11%), voisin et ami (16%), autre (26%), parents (27%), proche (17%) et organisation administration (2%). Dans la relation enfant-maltraitant, on trouve des proches (10%), des parents (17,8%), des employeurs (43%), l'institution d'accueil (10%), voisin (3,3%), jeune (1,9%), autre (5,6%) et ND (8,5%). Les enfants maltraités sont de (62%) de filles et (38%) des garçons. L'ONDE a enregistré 204 agressions sexuelles pour la période 2000-2003. En effet, selon les données recueillies par l'Observatoire, depuis l'ouverture de son centre d'écoute, 18% des appels au numéro vert concernent des abus sexuels, lesquels représentent 20% des 500 dossiers de maltraitance ouverts par l'Observatoire.
Les agresseurs sont des étrangers à 43%, des voisins à 21%, des instituteurs à 9%, des pères à 6%, des gardiens à 6%, des directeurs d'établissement scolaire à 4%, des cadres pédagogiques à 3% et d'autres élèves à 3% également. Les victimes ont moins de 5 ans dans 10% des cas, de 6 à 10 ans à 22%, de 11 à 15 ans à 46% et de 16 à 18 ans à 12% et d'âge indéterminé à 10 % (on a évoqué des violences sexuelles sur des enfants en bas âge).Dans l'enquête réalisée par Bayti la réalité est tout aussi flagrante. En effet, en réalisant une étude sur le terrain, Najat Mjid, présidente de l'association, note que les données officielles recueillies par la police et la justice, ne reflètent qu'une partie de la réalité, car basées exclusivement sur les cas qui leur sont présentés. À titre d'exemple, selon les services de police et de justice :
En 1999, 102 cas (17 viols ; 63 atteintes à la pudeur ; 19 cas de prostitution ; 3 divers) ; en 2000, 69 cas ( 9 viols ; 36 atteintes à la pudeur ; 14 cas de prostitution ; 2 divers ) ; en 2001, 210 cas ; en 2002, 38 adultes jugés pour proxénétisme ou incitation de mineurs à la prostitution. ur l'échantillonnage utilisé, on retrouve 46,5% d'enfants victimes d'exploitation sexuelle. Casablanca et Essaouira ont été le terrain propice à cette enquête l'une étant une capitale économique et l'autre une ville touristique.
«Les abuseurs sont des clients épisodiques souvent autochtones, quelques touristes ; 2 réseaux de proxénétisme bien structurés ont été retrouvés et actuellement démantelés», note-t-on dans l'enquête. L'Association Bayti révèle, au total, 210 enfants victimes d'un abus sexuel en 2001 sur les 530 cas de maltraitance recensés par l'association.A Essaouira, le total des victimes est 73 garçons et filles. Chez les garçons, 31 victimes ont subi des agressions sexuelles, alors que 21 ont subi une exploitation sexuelle à caractère commercial. Deux cas d'inceste ont été enregistrés parmi ces cas (un père et un frère). Chez les filles, 14 victimes ont été exploitées sexuellement et 7 ont été prostituées (5 épisodiquement et 2 de façon régulière).
À Casablanca, 127 cas d'exploitation sexuelle ont été enregistrés, 38 garçons et 89 filles. Chez les garçons, l'association a recensé 17 cas d'exploitation sexuelle, 5 cas d'attouchements sexuels et 3 cas de violence sexuelle. Deux garçons ont été périodiquement prostitués et 11 l'étaient régulièrement. Chez les filles, l'association a recensé 44 cas d'exploitation sexuelle à caractère commercial (19 périodiquement et 23 régulièrement dont 2 par des réseaux de prostitution nationaux). À Casablanca, l'association a enregistré 5 cas de grossesse prématurée chez des fillettes de mois de 14 ans.Le point commun entre les enfants victimes de ces abus est la pauvreté. Parallèlement aux traumatismes qui accablent les enfants asservis sexuellement, des infections sexuellement transmissibles ont été diagnostiquées chez les victimes à cause de rapports sexuels non protégés.


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