Féru de rap, Ayoub Boudad a fini par se lancer. Sous son nom de scène Lil Assaf, il a mis en ligne, lundi, la chanson MVI qui fait partie de son premier EP. Celui-ci est produit depuis Bordeaux, où il fait ses études en sociologie. Il nous explique comment la contestation sociale a convergé ses deux passions : la musique et les sciences humaines. Combien de temps avez-vous travaillé sur ce titre ? Cela fait un petit moment déjà que j'ai commencé à faire du rap et à publier mes propres solos, mais je me suis peu imaginé m'investir dans un EP, ayant été plus dans l'action associative et politique, notamment au sein du Mouvement du 20 Février. D'où j'ai mis un peu de temps à sortir un clip en bonne et due forme. Depuis 2011, nous avons assisté à l'émergence d'une tendance du rap donnant de la voix aux revendications populaires, à l'image de Mehdi Black Wind, Mouad L7a9d, L'Bassline, entre autres. Mais dans le temps, cette vague de rap contestataire a été réprimé, il y a eu des arrestations, parfois répétées. Au fil des ans, cette scène s'est vidée. Avec la publication de la dernière vidéo de Weld L'Griya Lz3er et Gnawi qui a été arrêté quelques jours après, j'ai publié ma vidéo car il faut aller à contre-courant de ce que cherche le makhzen. Souvent à la sortie d'une chanson contestataire, ce dernier cherche à signifier aux artistes qu'ils peuvent toucher à tout, dans la limite de certaines lignes rouges qui sont le symbole du pouvoir. Ainsi, il donne à réfléchir avant de publier un morceau en faveur des protestations sociales et politiques. Certes, j'ai publié ma chanson après mon départ du Maroc, mais je pense qu'il est important que tout artiste capable de diffuser des titres dans le même registre doit le faire et montrer que si le makhzen a arrêté des artistes pour ces raisons, cela ne veut pas dire que d'autres se tairont. Quelle est la portée politique des messages que vous transmettez dans cette chanson ? Nous savons qu'à travers son histoire, le rap a toujours été porteur de messages forts. Dans cette chanson comme dans le clip, j'ai mis en image mon histoire, commencée au sein des mouvements sociaux, puis ma détention qui m'a un peu cassé à l'époque. Lil Assaf (Malheureusement) signifie bien la déception d'assister à l'enchaînement des événements que j'ai vécu en tant que jeune marocain dans ce contexte. C'est notamment toute la symbolique de l'illustration de l'EP, où le personnage représente cette jeunesse foisonnante qui aspirait au changement, en voulant tirer les choses vers le haut et habillé du t-shirt du Mouvement du 20 Février, mais qu'on voit pendu finalement par le même drapeau marocain qu'il voulait défendre à sa manière. Par ailleurs, cette chanson marque une nouvelle étape de ma vie où je me sens plus libre, plus mûr et capable d'assumer les conséquences de mes actes, comparé à ma détention en 2014 où j'étais encore très jeune, à seulement trois mois du baccalauréat. Un pied dans l'associatif, un autre dans la musique, et les deux pieds dans la recherche universitaire... Quelle direction pour le futur ? Après ma détention de 2014, j'ai été interdit de sortie de territoire. Même si j'ai pu continuer mes études universitaires en sciences politiques à Rabat, j'ai beaucoup souffert des conséquences. Je trouvais difficilement du travail à cause de cela et j'étais même parfois licencié juste après mon recrutement, dès que l'entreprise apprenait mon passé carcéral. Heureusement, tout cela est derrière moi et je me sens plus serein. J'évolue désormais dans la recherche universitaire et les sciences humaines, mais je n'ai pas rompu avec mon passé militant qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. D'ailleurs dans le cadre de mon master en sociologie à Bordeaux, je travaille sur les mouvements sociaux au Maroc. Sur le plan artistique, ce clip fait partie d'un EP intitulé «42». C'est inspiré de la série romanesque «Hitchhiker guide to the galaxy» (Le guide du voyageur galactique) de Douglas Adams, où les personnages cherchent la réponse ultime à leurs questionnements sur la vie, l'univers et ses origines. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y aura encore des projets rap que je partagerai sur Internet, que je sois en France ou au Maroc.