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L'islam politique n'est pas soluble dans le rap !
Publié dans Yabiladi le 24 - 01 - 2012

Qu'y a-t-il de commun entre les réseaux sociaux, les graffitis et le rap ? Rien, mais tous les trois sont les gimmicks à la mode dans la presse pour vanter les «bons» côtés de la révolution arabe, ceux de la «belle jeunesse révoltée» qui «nous» ressemble (et qui pourrait presque nous remercier de l'avoir aidé à faire sa révolution grâce à nos technologies libératrices !)
Côté musique rebelle en particulier, on ne compte plus les articles qui font l'éloge des rappeurs de la révolution ! Pour Time, le tunisien El Général est en bonne place (au-dessus du président Obama!) parmi les 100 personnalités mondiales les plus importantes en 2011, et il a naturellement son portrait dans le portfolio consacré à The protester man, «l'homme de l'année» pour cette revue qu'on ne savait pas si proche des milieux contestataires ! On retrouve «l'homme qui a changé le monde» (rien que ça !) dans une émission d'Antenne 2 sur le «printemps des rappeurs», ou encore dans un article du Monde (publié dès la mi-janvier 2011 il est vrai, à l'époque c'était encore original) sur «le rap porte-parole de la jeunesse».
Pour des médias peu habitués à chanter les mérites des contre-cultures locales, la découverte soudaine, à travers le rap, des vertus esthétiques et politiques de la culture arabe contemporaine donne parfois des résultats assez surprenants. On trouve ainsi dans le New York Times du 10 janvier dernier un article à propos d'un groupe de jeunes Libyens, Gab Crew. Dans un pays enfin délivré de la dictature et où fleurissent sur les murs les (inévitables) graffitis de la jeunesse, le lecteur fait la découverte de cette belle jeunesse, casquette de baseball (inévitable aussi) vissée sur la tête, qui se mobilise pour diffuser sur la radio locale des chansons appelant les révolutionnaires à poser les armes, car «nos vies valent plus cher que les prix des balles»… Il va de soi qu'on se s'interroge pas dans le New York Times sur l'origine de ces armes, et encore moins sur le fait que la société américaine, patrie originelle du rap, détient le record mondial de la mortalité par armes à feu dans les zones hors conflits (30 000 victimes par an) !
Tant qu'à parler du rap, le journaliste du NYT aurait également pu élargir un peu son angle de vue et parler, toujours à propos de la Libye, de ce jeune rappeur algérien, Karim El Gang, dont la vidéo, intitulée Salut à Moammar Kadhafi (تحية للقائد معمر القذافي), avec un beau discours de barbu en introduction, a fait un tabac sur Youtube ! Et à propos de rap algérien, il aurait pu signaler à ses lecteurs que l'auteur d'une chanson jugée offensante pour le président Bouteflika avait été condamné (par contumace) à dix ans de prison (article en arabe) ! (Trois ans pour ses deux «complices», attrapés par la police, les malheureux…)
Tout cela est sans doute trop compliqué. Il vaut mieux certainement se contenter de postulats simples : le rap, pour commencer, est naturellement synonyme de révolte sociale, et «donc» de révolution (sur cette question, voir le billet précédent). Et ensuite, le rap, du fait qu'il a été importé du monde «libre», est forcément incompatible avec les formes les plus extrémistes de l'islam. En d'autres termes, une bonne dose de rap doit pouvoir dissoudre l'islam radical de la jeunesse ! Posé sous cette forme simplifiée, reprise sans trop y réfléchir par la presse maintream, on voit bien qu'un tel raisonnement laisse entendre précisément le contraire. S'il est vrai que l'islam politique est – à tort ou à raison, peu importe – un langage de révolte contre l'ordre établi, en tout cas de refus de l'injustice qu'il fait régner, et s'il est vrai également qu'une bonne partie de la jeunesse apprécie le rap, on peut faire l'hypothèse que non seulement l'islam politique n'est pas soluble dans le rap, mais également qu'il peut y avoir rencontre, à un moment ou à un autre, entre ces deux propositions…
La vidéo signalée précédemment montre par exemple comment le discours de combat d'un rappeur engagé comme El Gang peut se placer délibérément dans la continuité d'un prêcheur islamiste, en la personne de Salah Eddine Abu Arafa (un cheikh de Jérusalem). Certes, il s'agit de la simple juxtaposition de deux discours, en quelque sorte indépendants l'un de l'autre, celui de l'islam politique d'un côté, et, de l'autre, le djihad du fils et petit-fils de moudjahid, aujourd'hui une des principales figures en Algérie de la scène rap tendance «hardcore» ? Peut-on imaginer d'aller plus loin, vers une sorte de fusion, quelque chose comme du "rap islamiste" ? (suite et fin la semaine prochaine)
Visiter le site de l'auteur: http://cpa.hypotheses.org/


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