Deux mois après l'élection au gouvernement du Parti Justice et Développement, Abdelilah Benkirane lance un pavé dans la mare. Le Premier Ministre s'est dit prêt à légaliser l'avortement partiel au Maroc. Une décision qui ne fait pas l'unanimité chez certains politiciens et féministes. Dans une interview datant de la semaine dernière, Mustapha El Khalfi, ministre de la communication et porte parole du gouvernement, a confirmé aux médias que le Premier ministre souhaitait autoriser l'avortement en cas de viol et d'inceste, relève le New York Times. «Nous devons nous occuper de ce problème, on ne peut plus l'ignorer», avait-il déclaré en ajoutant qu'il comptait poursuivre les travaux déjà entrepris par Nouzha Skalli, l'ancienne ministre de la famille. Sur les traces de Nouzha Skalli En effet, Nouzha Skalli avait déclaré en octobre dernier qu'elle était favorable à une légalisation partielle de l'avortement, une légalisation «qui permettrait à la mère de mettre un terme à sa grossesse dans certaines conditions, dont la malformation avérée du fœtus, le déséquilibre mental de la mère ou encore sa précarité». D'ailleurs le premier membre du PJD à avoir soutenu cette idée de légalisation était Saâd Eddine El Othmani. De son côté, Bassima Hakkaoui, nouvelle ministre de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social avait déclaré à Zmag en novembre dernier, alors qu'elle était encore députée PJD, que l'avortement n'était pas une priorité actuellement pour le Maroc, «car même des pays occidentaux comme les Etats-Unis n'ont pas encore résolu la question relative à l'avortement», avait-elle lancé. Néanmoins, elle s'est dite ouverte au débat, à condition que ce soit «aux oulémas et aux médecins honnêtes d'en discuter». Le New York Times qualifie même cette décision d'inattendue, faisant remarquer qu'avant les élections, lorsque le PJD faisait partie de l'opposition, le parti a toujours eu une sévère ligne de conduite concernant les bonnes mœurs. Cela a été le cas par exemple lorsque le parti avait voulu interdire le concert d'Elton John en 2010, lors du Festival Mawazine, parce le chanteur anglais était homosexuel. Mais aujourd'hui, la politique du parti semble s'ouvrir et être à l'écoute de l'opinion publique. En décembre dernier, trois semaines seulement après la victoire du PJD aux élections, un sondage avait été publié par le magazine Actuel mettant en avant le fait que la moitié des sondés était pour la légalisation de l'avortement en cas d'inceste et de viol. Les bouchers de l'avortement La plus récente des études menée sur le sujet de l'avortement remonte à 2008. Elle expliquait à ce moment là, que le nombre d'avortements quotidiens atteignait les 600 par jour dans le pays. Mais, la semaine dernière, le gynécologue Chafik Chraïbi, également Président de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC) parlait de 900 interventions d'avortement par jour incluant celles qui ont lieu à la maison. «Au Maroc, 13% de la mort des mères est causé par des avortements, d'après les chiffres de l'Organisation Mondiale de la Santé», explique-t-il au journal en expliquant que certaines femmes viennent chez lui après avoir subi des mutilations au niveau de leur ventre et utérus. Il n'hésite pas à dénoncer certains proches de la femme enceinte comme des amis et des cousins qui participent eux aussi à l'avortement en concoctant à la femme des cocktails à base d'herbes, d'aspirine et de cola. Pour les femmes qui ont un peu plus les moyens, l'opération illégale coûte 2000 dirhams mais elle est menée dans un bloc opératoire de fortune. Il rappelle enfin que la femme qui subit cette opération encourt jusqu'à deux ans de prison et pour ce qui est du docteur, si la patiente décède, il encourt jusqu'à 20 ans de prison. Scepticisme Cependant faire passer une loi sur l'avortement ne fait pas l'unanimité chez tous les membres du parlement. «C'est encourageant que le PJD étudie cette question de près, mais je reste sceptique. Je pense que le parti aurait préféré que ce débat sur l'avortement s'éternise», déclare Fatiha Layadi, membre du Parti Authenticité et Modernité. De son côté, El Khalfi avoue que cette problématique a longuement divisé les politiciens conservateurs mais qu'il fallait mener des actions contre les médecins qui mènent des interventions illégales, des médecins qu'il qualifie de «bouchers». Il souligne que ce genre de problèmes est étroitement lié à la pauvreté. Par conséquent, il a annoncé la création d''un fond d'urgence de solidarité familiale pour aider les plus pauvres et notamment les mères qui souhaitent se faire avorter avec l'accord de leur mari, insistant sur le fait que l'Islam autorise l'avortement sous certaines conditions et dans une période de 40 jours. Cercle vicieux Mais la question de l'avortement n'est pas seulement une affaire de politiciens, le dossier de l'avortement étant suivi de près par les féministes du pays. C'est le cas d'Aicha Ech-Channa, la fondatrice de l'association Solidarité Féminine créée en 1985, une association qui vient en aide aux jeunes mères célibataires. Cette icône des droits de la femme, qui a remporté le Prix Opus en 2009 pense que l'avortement n'est pas la solution pour résoudre le problème des mères célibataires. «C'est un cercle vicieux ! Je pense qu'il faut abolir les lois qui punissent les femmes d'avoir des relations sexuelles avant le mariage et qui ne donnent aucun statut et droit à ces enfants. car beaucoup de mères célibataires sont obligées au final de se prostituer pour vivre», explique-t-elle. Aïcha est favorable à l'avortement surtout en cas de viol racontant le cas d'une jeune fille de 15 ans que l'association a accueilli qui a été violée par son frère et qui est ensuite tombée enceinte.