L'avortement n'est plus un tabou. Désormais, on en parle, on y consacre une émission télévisée et on en fait même un thème de campagne. Dans une déclaration officielle, la ministre du développement social et de la famille, Nouzha Skalli, a affirmé qu'une légalisation de l'avortement au Maroc dans des «cas extrêmes», notamment "le viol, l'inceste ou les malformations profondes du fœtus" n'était plus taboue et faisait partie de réformes prévues par le gouvernement. Saluant cette avancée gouvernementale, le Pr Chraïbi, gynécologue et président de l'Association Marocaine de Lutte contre l'Avortement Clandestin(AMLAC), nous déclare :«La légalisation de l'avortement est un long combat que l'AMLAC mène depuis 4 ans. Nous avons essayé de sensibiliser toutes les parties concernées sur la question. Le fait que le sujet est sorti du «tabou» est déjà un grand pas. Il faut une légalisation, ne serait-ce que partielle, de l'avortement». En effet, il ne s'agirait pas d'une légalisation absolue, mais partielle qui permettrait à la mère de mettre un terme à sa grossesse dans certaines conditions, à savoir la malformation avérée du fœtus, le déséquilibre mental de la mère ou encore sa précarité. «Il y aurait plusieurs centaines d'avortements illégaux par jour au Maroc. Ce qu'il faut savoir, c'est que jamais une femme ne recourt à l'avortement uniquement par caprice», rappelle Nouzha Skalli. Chaque jour, des centaines d'avortements se font dans la clandestinité C'est la première fois qu'un membre du gouvernement marocain dit être favorable au recours à l'avortement légal dans certains cas. Selon la ministre, «ces cas extrêmes doivent être prévus par la loi en tenant compte des considérations éthiques et religieuses. Cela fera évoluer la législation parce qu'on ne peut pas continuer comme ça». Pour «continuer comme ça», on entend dire : 800 avortements par jour. Pour le Professeur Chafik Chraïbi : «600 avortements médicalisés et 200 autres non médicalisées sont opérés quotidiennement au Maroc. Ce qui est énorme». Selon lui : «Légalisé ou pas, l'avortement reste le recours de plusieurs femmes en situation difficile. Mieux vaudrait donc ne pas se voiler la face et ouvrir nos hôpitaux à ces femmes » Ces avortements sont loin de se dérouler dans les règles de l'art. Ils ont lieu généralement dans des cliniques et donc, pas de bloc opératoire, pas de bonne anesthésie. Pis, ces opérations sont faites parfois par des généralistes. Pour les moins aisées d'entre elles, ces Marocaines qui veulent à tout prix s'éviter la «Hchouma» ont parfois recours à des herboristes afin de « résoudre le problème» mettant ainsi en danger leurs vies. D'après les chiffres de l'OMS «13% de la mortalité maternelle est dû à l'avortement». Cette loi, si élaborée et adaptée, changera certainement la donne. Pour celles qui n'ont pas eu l'opportunité d'avorter, elles se heurtent à une société des moins clémentes. Qu'elles soient victimes de viol ou d'inceste, la législation actuelle ne leur permet pas d'avorter. Entre 2003 et 2010, 500.000 enfants sont nés de mères célibataires. La légalisation de l'avortement en cas extrême permettra selon Pr Chraïbi de sauver le sort de ces femme « Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il n y a pas que l'avortement comme conséquence. Nous assistons régulièrement à des tentatives de suicides, des expulsions du domicile qui conduisent à ce que ces jeunes sont mises à la rue, n'ayant aucune assistance elles ont souvent recours à la prostitution ». La légalisation ne serait pas une banalisation Nezha Skalli n'est pas la seule personnalité officielle à se prononcer sur le sujet et à se déclarer « positive » à la légalisation de l'avortement. Sur une émission télévisée «45 min » (sur Al Oula) , Yasmina Badou, ministre de la Santé, Saad Eddine El Othmani, SG du PJD et d'autres voix officielles ont rejoint celle de Nezha Skali. « Avant ils n'osaient même pas se prononcer sur le sujet, maintenant ils s'engagent un peu plus, c'est une grande avancée pour nous », souligne Pr. Chafik Chraïbi. Répondant à notre question sur la crainte de « banalisation » de cette pratique une fois légalisée, le président de l'AMALC nous rassure que « l'avortement est légalisé dans d'autres pays sans pour autant avoir des effets néfastes. Prenons l'exemple de la Tunisie qui nous a devancés sur ce point. Ce pays, très proche du nôtre, compte 20 fois moins d'avortements ». Il conclut en toute ironie que « ce n'est pas parce qu'on a le doliprane qu'on a tous la grippe !». Rappelons qu'à l'heure actuelle, la loi interdit strictement l'avortement. L'article 449 du Code pénal punit de «1 à 5 ans de prison et d'une amende de 200 à 500 DH toute personne ayant provoqué, ou tenté de provoquer, un avortement avec ou sans l'accord de l'intéressée. La peine est portée à 20 ans de réclusion en cas de décès et est doublée si l'avorteur est récidiviste». Des peines bien dissuasives mais, il faut dire le dire, dans la pratique l'avortement est toléré sous «l'œil vigilant» des autorités. En attendant une loi effective sur la question, la société civile continue de mener sa bataille pour la sauvegarde des droits de ces femmes qui, dans quelques cas, laissent leurs âmes en essayant de sauver leur honneur.