Journaliste au quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum, Hajar Raissouni est interpellée pour soupçons de «débauche» et d'«avortement», ce que contredirait, selon elle, une expertise médicale. Des expressions de solidarité avec la concernée sont publiés depuis, contestant l'exploitation de l'intégrité des femmes à des fins politiques. La journaliste du quotidien arabophone Hajar Raissouni a été interpellée, car soupçonnée de «débauche» et d'«avortement». Selon le site d'information Alyaoum24, «des éléments de la police en civile ont procédé à cette arrestation, samedi», empêchant même la jeune femme de s'entretenir avec ses avocats en période de garde à vue. En situation de détention préventive, elle a comparu devant le procureur avec son fiancé. De nationalité soudanaise, celui-ci est professeur universitaire. Un gynécologue obstétricien, son assistant et sa secrétaire ont également été appelés à la barre. Les prévenus ont été entendus pour des chefs d'accusation de «débauche, avortement et participation à l'avortement», que la journaliste rejette en bloc. «Hajar s'est présentée à mon cabinet en souffrant gravement de saignements ; elle baignait dans son sang et j'ai dû effectuer une intervention chirurgicale urgente pour arrêter l'hémorragie», a déclaré le médecin au Parquet. Alyaoum24 indique que la jeune femme a soutenu la même version des faits. «Je suis une femme mariée et nous avons récité la Fatiha au domicile de ma famille. Nous nous préparions à acter notre union. Nous avons aussi déposé notre dossier auprès de l'ambassade soudanaise, puisqu'il s'agit d'un mariage mixte, et je n'ai subi aucun avortement.» Hajar Raissouni comparaissant devant la justice Malgré ces déclarations, les requêtes de liberté provisoire formulées par la défense ont été refusées, selon le site arabophone. Un élan de solidarité contre l'exploitation de la vie privée Ce mardi, plusieurs messages de solidarité ont été exprimés sur les réseaux sociaux, appelant au respect de la vie privée des personnes ainsi que les droits des femmes sur leur corps. «Je pense que la régression que nous constatons sur certains droits, à travers des déclarations publiques ou des polémiques inutiles qui enflent, notamment à travers le dossier de Hajar Raissouni, est symptomatique d'un non-respect général de la vie privée et des libertés individuelles de chacun», soutient la militante féministe Souad Ettaoussi, contactée par Yabiladi. «Depuis plus de dix ans, les revendications des associations féministes marocaines sur le droit à l'avortement rejoignent les engagements internationaux du Maroc en matière de droits des femmes et d'accès à la santé, y compris la levée des réserves sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) ; cette affaire vient rappeler l'urgence de passer à l'acte», estime encore Souad Ettaoussi. Il convient de souligner que dans le cadre de son travail au sein d'Akhbar Al Yaoum, Hajar Raissouni a souvent traité des sujets liés au Hirak du Rif, rencontrant souvent les familles des détenus et tenant des interviews avec eux, principalement Ahmed Zefzafi en sa qualité de président de l'Association Tafra pour la solidarité et la fidélité. D'autres avancent que les poursuites visant Hajar Raissouni seraient en fait une réaction contre son oncle Ahmed Raïssouni, ex-président du Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice idéologique du PJD, et actuellement président de l'Union internationale des oulémas musulmans. Dans ce sens, Souad Ettaoussi considère que «le dossier de Hajar ne tient pas au simple fait qu'elle serait soupçonnée d'avortement». «A travers cette affaire, ce n'est pas une lutte contre l'avortement illégal, mais dans un débat personnel qui vise Hajar Raissouni, soit à cause de son métier de journaliste, soit à cause de ses lien familiaux avec Ahmed Raissouni, même si je suis en total désaccord avec les prises de positions islamistes de cet homme», abonde Souad Ettaoussi. «Je n'accepte pas qu'une jeune femme soit le bouc-émissaire de divergences politiques et idéologiques», ajoute-t-elle. «Je pense simplement que les libertés individuelles sont une ligne rouge qui ne peut être franchie à des fins politiques ou autres.» Souad Ettaoussi Pour sa part, la journaliste a affirmé au Parquet l'existence d'un rapport médical, effectué au cours de sa période de garde à vue, prouvant qu'elle n'aurait subi aucun avortement. La prochaine audience est prévue le 9 septembre prochain. L'ouverture de cette instruction contredit les propos tenus en août dernier par le ministre de la Justice, Mohammed Aujjar, concernant l'abolition de plusieurs lois, notamment celles sur l'adultère, les relations extraconjugales et l'homosexualité. Dans une interview accordée à l'agence de presse espagnole EFE, il a affirmé que le gouvernement était «engagé dans une dynamique de réformes» dans ce sens, considérant que la «société très conservatrice» était responsable de la lenteur de ces changements et qu'elle avait besoin de «pédagogie».