Quatre juges marocains risquent un renvoi en commission disciplinaire de la part du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Cette mesure fait suite à la publication de statuts Facebook, où les concernés disent ne pas briser leur droit de réserve. L'un des magistrats visés revient sur cet épisode, dont la génèse remonte à l'année dernière. Si des magistrats du Maroc ont exprimé leur surprise de voir, dernièrement, quatre de leurs collègues renvoyés en commission disciplinaire, l'affaire est beaucoup moins récente qu'elle ne semble. En effet, le Club des magistrats du Maroc a fait part de son inquiétude face à la démarche initiée par le Conseil supérieur des affaires judiciaires (CSPJ) il y a quelques jours, mais les juges concernés ont déjà été convoqués sur le même sujet… il y a un an. Dans le temps, trois parmi eux, Fathallah Hamdani, Abderrazak El Jabbari et Driss Maatalla, ont publié des statuts sur Facebook, critiquant le CSPJ pour le retard dans la publication des résultats de ses travaux. Le quatrième magistrat, Afif El Bakkali, n'a pas visé l'institution en elle-même mais il a dénoncé la corruption dans le milieu de la justice. Ce sont ces publications qui leur sont ressorties depuis quelques jours, lorsqu'ils ont appris la désignation d'un rapporteur dans l'attente de leur nouvelle convocation en commission disciplinaire. Afif El Bakkali, Vice-procureur du roi au tribunal de première instance de Laâyoune et président de la section locale du Club des magistrats du Maroc, confie à Yabiladi qu'«en l'absence de suites immédiates, il y a un an, les concernés ont pensé que le dossier était clos». Il n'en est rien, puisque l'affaire a refait surface, malgré la contestation des juges. «Dénoncer la corruption s'avère plus grave que de la pratiquer» «Mes trois collègues ont critiqué le retard observé dans la publication des résultats des travaux du CSPJ car sans cela, les magistrats n'ont pas de visibilité sur leurs affectations, entre autres, ce qui les a laissés dans un flou total», nous explique Afif El Bakkali, soulignant que «ce désarroi a été exprimé par une large frange des juges, sur les réseaux sociaux, et pas uniquement ceux auxquels on s'en est pris». Quant au statut incriminé du vice-procureur du roi, «il n'a porté sur aucune institution ou personne précise», nous affirme le concerné. «J'écris beaucoup et dans l'un de ces écrits que j'ai partagé sur ma page, j'ai évoqué d'ordre global la problématique de la corruption dans la justice. Cela a-t-il été considéré comme une atteinte au Conseil ou à une partie de ses membres? Je l'ignore, mais je ne pensais pas en tout cas que dénoncer la corruption sans nommer personne était plus grave que de la pratiquer elle-même.» Afif El Bakkali Pour le magistrat, cette situation peut traduire «plusieurs niveaux de lectures, lorsqu'on sait que les quatre juges visés sont tous des membres actifs de la même association». Dans ce sens, Afif El Bakkali estime que «la problématique est que nous avons assisté, ces derniers mois, à des déclarations de presse dangereuses données par des juges en fonction affiliés à une autre association au sein du CSPJ et commentant des affaires dont ils ont été en charge, sans qu'ils ne se voient notifier un rappel quant à leur obligation de réserve». La publication incriminé de Afif El Bakkali Le vice-procureur du roi tribunal de Laâyoune soutient que «ces déclarations sont documentées, notamment celles où le Club des magistrats du Maroc est taxé d''association de traîtres de la nation' et de 'voleurs', sans que les auteurs de ces allégations publiques ne soient questionnés sur leurs dires». «Nous n'appelons pas ici à ce que des mesures soient prises à leur encontre, puisque nous défendons la liberté d'expression de tous les juges, mais ce deux poids, deux mesures dans le traitement de ces situations par le CSPJ nous interpelle beaucoup», s'inquiète El Bakkali. Les magistrats du Maroc s'inquiètent des contraintes à leur liberté d'expression «Si nous considérons que l'affaire des quatre juges est une question de liberté d'expression de tout un corps professionnel, justement, les autres organismes qui représentent le corps du métier doivent réagir», lance encore le magistrat à l'adresse des associations des juges. En espérant que la situation trouve une issue favorable à tous, Afif El Bakkali exprime également ses préoccupations sur «cette impression qu'au sein du CSPJ, certaines personnes ont le droit de s'exprimer publiquement et d'autres non, du moment que les propos ne suivent pas une certaine ligne, alors que les mêmes lois régissent l'ensemble des magistrats». «Ceux à qui ce déséquilibre profite ne considéreront évidemment pas qu'une situation par laquelle ils ne sont pas lésés porte atteinte à une liberté», conteste-t-il.