Dans un documentaire de 52 minutes, la chaîne BBC Arabic s'est intéressée au trafic et à la production de haschich au Maroc. Elle met en avant aussi la vulnérabilité des agriculteurs marocains, contrastant avec le marché européen florissant qu'approvisionnent les trafiquants de drogue. Mis en ligne mercredi, un documentaire de la BBC Arabic propose des éléments de compréhension sur les circuits économiques du haschich au Maroc. Intitulé «Qui s'enrichit du haschich marocain ?», ce film de 52 minutes constitue une enquête fouillée sur «la production, la consommation et le commerce de haschich» dans le royaume, premier exportateur mondial dont s'enrichissent nombre de trafiquants, même en Europe. Pour répondre à cette question, ce documentaire réalisé par Karim Shah suit le périple du journaliste Emir Nasser, commencé à Chefchaouen, près des montagnes du Rif. La culture du haschich y est une pratique courante, mais les agriculteurs qui y sont actifs illégalement restent le maillon faible de cette chaîne impliquant des trafiquants internationaux, des fonctionnaires corrompus et des détaillants qui ont pignon sur rue dans la capitale néerlandaise Amsterdam. Au Maroc par ailleurs, la BBC Arabic montre comment les autorités ferment les yeux sur l'ensemble des activités connexes de ces trafics. La vulnérabilité des agriculteurs de haschich «Nous n'avons pas le choix», confie l'un des agriculteurs à la BBC Arabic, évoquant la situation précaire de nombreux autres travailleurs ruraux évoluant dans la culture du haschich dans la région, où beaucoup parmi eux vivent dans la discrétion totale car «recherchés par la police». «La plupart n'ont pas de cartes d'identité et ne peuvent pas sortir de la région, afin de ne pas se faire arrêter (…) Par conséquent, leurs enfants ne peuvent pas aller à l'école parce qu'ils ne sont même pas enregistrés à l'état civil», indique le documentaire. «Ils sont entre le marteau et l'enclume», souligne la même source quant au cercle d'appauvrissement dans lequel ces agriculteurs sont fermés. En effet, la BBC Arabic apprend auprès de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) que «la plupart du temps, ces agriculteurs sont forcés de cultiver du haschich, mais cette pratique reste illégale». Alors que les producteurs de haschich sont considérés comme des hors-la-loi au Maroc, la vente de cannabis à Amsterdam, elle, est autorisée dans les coffee shops dédiés. Elle rapporte «près d'un milliard d'euros par an». Justement, un seul gramme de haschich en provenance de Ketama est vendu à 8,50 euros. Selon le porte-parole de l'une de ces enseignes néerlandaises, «la vente de haschich à Amsterdam est autorisée, mais son transport, son stockage et sa culture sont interdits». De ce fait, son entreprise ne peut avoir que 500 grammes de stocks de haschisch, afin de ne pas alimenter les circuits de trafic en grandes quantités. Cependant, l'enseigne reconnaît entretenir des rapports avec des producteurs de haschich au Maroc. «Nous avons une ligne de semis cultivée au Maroc», confie-t-il à la BBC Arabic, qui indique que les vendeurs de haschich européens contribuent de la sorte à l'essor du marché marocain de la drogue. Le journaliste local Mohamed Aabout, qui a pu s'entretenir avec les agriculteurs locaux, a déclaré à la chaîne que les investisseurs espagnols, français et néerlandais envoyaient des «semences transgéniques au Maroc» pour améliorer leurs produits. Des soupçons sur l'implication de responsables marocains Le même documentaire indique que la contrebande de hachich «impliquerait tout autant des officiels marocains», à l'image de l'ancien informateur de la police marocain, Mohamed K. Vivant actuellement à Melilla après avoir obtenu l'asile politique en Espagne, il affirme à la BBC que «les autorités facilitent le trafic de drogue au Maroc». A Amsterdam, la BBC Arabic a pu obtenir des documents judiciaires confidentiels, montrant que Khalid E.B., un officiel marocain, a été condamné à quatre ans de prison ferme pour blanchiment d'argent, sans jamais purger cette peine. A Anvers (Belgique), un ancien trafiquant de drogue, Paul M., a admis avoir réussi à faire passer de la drogue depuis le Maroc. «Tout vient des montagnes marocaines», a-t-il déclaré au journaliste, ajoutant que le haschich était acheminé depuis là-bas jusqu'à «Casablanca, puis le Portugal et enfin la Belgique en seulement cinq jours». Concernant l'éventuelle implication de responsables dans la facilitation du trafic de drogue, Paul M. déclare à la BBC Arabic qu'ils «devaient payer tout le monde pour être sûr à 100%». «Lorsque vous ne faites pas passer vos conteneurs par le scanner, vous devez payer une amende 1 250 euros, ce qui est plus facile devant les 18 à 20 tonnes que vous transportez et qui vous rapportent des millions», a révélé le trafiquant, qui a été condamné à 12 ans de prison ferme pour contrebande. Cependant, le Bureau central d'investigation judiciaire (BCIJ), dont la BBC Arabic a rencontré le patron, Abdelhak Khiame, se défend de toute mise en cause des officiels marocains. «Tout est sous contrôle dans tout le pays et au niveau des frontières», a-t-il déclaré. Le BCIJ ajoute que ces accusations sont «exagérées», et que les autorités marocaines ont mené plusieurs opérations de lutte contre le trafic de drogue. En revanche, ces coups de filet n'apportent pas encore de solution à la situation du maillon faible de cette chaîne, que sont et demeurent les agriculteurs de cannabis.