Malgré ses intentions exprimées en campagne électorale avant son élection, Abdelaziz Bouteflika qui a démissionné mardi dernier de la présidence de l'Algérie, marquera son premier mandat par une hostilité sans précédent à l'égard du Maroc. Chronologie des principaux événements attestant de la détérioration continue des relations entre Alger et Rabat depuis août 1999. A la tête de l'Algérie depuis 1999, le président Abdelaziz Bouteflika a démissionné cette semaine, notifiant ainsi le Conseil constitutionnel de sa décision, qui répond aux revendications de la population algérienne ayant investi les rues pendant des semaines. Mais alors que les yeux du monde sont rivés sur le pays d'Afrique du Nord en attendant un éventuel changement de régime, c'est au cours de l'ère Bouteflika que les relations maroco-algériennes se sont le plus dégradées. Une détérioration ayant commencé dès les premiers mois de son tout premier mandat, même s'il s'est montré, durant sa campagne électorale, plus enclin à une normalisation de relations de son pays avec le Maroc. D'ailleurs, un document américain déclassifié, récemment relayé par Yabiladi, a révélé que le roi Hassan II souhaitait même qu'Abdelaziz Bouteflika soit élu président de l'Algérie. De plus, trois jours seulement avant sa mort, le 23 juillet 1999, le roi Hassan II avait mentionné lors d'une rencontre avec l'ambassadeur des Etats-Unis au Maroc, Edward Gabriel, un arrangement trouvé entre le Maroc et l'Algérie sur le Sahara. Un échange de lettres de félicitations a alors eu lieu entre Bouteflika et Hassan II, avant que ce dernier décède en juillet 1999. Abdelaziz Bouteflika se rend alors au Maroc pour prendre part aux obsèques de Hassan II. Sahara : L'arrangement entre Bouteflika et Hassan II avant le 23 juillet 1999 Seulement, dès son retour en Algérie, ses positions vis-à-vis du Maroc commencent à changer. Selon l'ouvrage «The Middle East and North Africa 2003» (Editions Psychology Press, 2002), après avoir assisté aux funérailles de Hassan II, le président algérien s'est entretenu avec le successeur au trône, le roi Mohammed VI, à Rabat. «Cependant, malgré l'engagement pris de travailler à une nouvelle amélioration des relations bilatérales, cette coopération s'est avérée de courte durée», déplore l'ouvrage. En effet, en août, à la suite du massacre de 29 civils par le Groupe islamique armé (GIA) dans la région de Béchar, près de la frontière avec le Maroc, Abdelaziz Bouteflika accuse le Maroc de servir de refuge aux personnes responsables de l'attaque. L'occasion pour lui de formuler des accusations de trafic de drogue et de commerce d'armes à la frontière commune à l'encontre du Maroc. Ce dernier ripostera via son gouvernement, balayant d'un revers de main les accusations algériennes. Mais le mal est déjà fait. «De nouvelles tensions qui empêcheront la réouverture tant attendue de la frontière terrestre entre les deux pays, prévue initialement pour la fin août 1999», raconte-t-on. L'UMA prise en otage par le conflit algéro-marocain Ces tensions persistantes entre l'Algérie et le Maroc toucheront aussi, la même année, l'Union du Maghreb Arabe (UMA). Un sommet de l'organisation maghrébine, prévue pour la fin 1999, a été annulé à cause du conflit algéro-marocain, essentiellement centré sur le Sahara. D'ailleurs, l'ouvrage précise même que ce sont «les généraux algériens, et non le président» qui auraient «dicté la politique à adopter concernant le problème du Sahara occidental». Toutefois, en février 2000, l'Algérie et le Maroc expriment tous deux le souhait d'améliorer leurs relations. A l'époque, le ministre algérien des Affaires étrangères, Youcef Yousfi, avait confié que «le conflit sur le Sahara ne devrait pas être un obstacle à la réalisation de cet objectif». Mais les relations resteront tendues, même si Abdelaziz Bouteflika rencontrera le roi Mohammed VI lors du sommet UE-OUA tenu dans la capitale égyptienne en avril 2000. La Une du magazine américain Time. / Ph. DR Deux mois plus tard, le roi Mohammed VI déclare, dans une interview accordée à Time Magazine, qu'il y a un problème entre le Maroc et l'Algérie. «Je refuse de prendre part à une réunion de l'Union du Maghreb arabe si les dirigeants, y compris moi-même, lancent un concours pour déterminer qui parlera le plus fort», déclare-t-il. Sur les pas de son père, le roi Mohammed VI confie qu'il «admire beaucoup le président algérien Abdelaziz Bouteflika, qui a hérité d'une situation délicate». «Le peu de contact que nous avons - pas beaucoup, je dois l'admettre - a été très positif. Il est très agréable et a un grand sens de l'humour», confie le souverain. Trois mois plus tard, Abdelaziz Bouteflika reconnaîtra que les efforts de relance de l'UMA, tant du côté d'Alger que de Rabat, «restaient dans l'impasse». L'occasion aussi de préciser que l'Algérie et le Maroc avaient convenu de considérer le conflit du Sahara occidental comme une question distincte. Les deux positions optimistes n'étaient pas traduites en action sur le terrain. Bien que les ministres de l'Intérieur algérien et marocain tiendront, en 2000, des réunions et créeront un «comité préparatoire en tant que prélude à la réouverture de la frontière terrestre entre les deux pays», rien ne sera fait. Bouteflika à l'origine du plan algérien visant à diviser le Sahara ? En décembre 2000, le Polisario crée la surprise, menaçant de mettre fin au cessez-le-feu de neuf ans si le Maroc permettait au Rallye Paris-Dakar de cette année de traverser le Sahara. Recadré par l'ONU, l'OUA et l'Algérie, le mouvement séparatiste recule. En juin 2001, l'Algérie ne soutient pas les propositions d'autonomie pour le Sahara occidental présentées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Des discussions ayant suivi, tenues entre James Baker, alors envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU et les ministres algériens ne permettront pas de progresser. C'est à ce moment-là que la presse algérienne locale annonce une bombe médiatique, affirmant selon «The Middle East and North Africa 2003», que «Bouteflika avait accepté le plan Baker lors d'une réunion avec le président américain George W Bush à Washington, DC, en novembre 2000». Une information aussitôt démentie par des responsables algériens. Abdelaziz Bouteflika avec le président américain George W. Bush. / Ph. DR En janvier 2002, lors d'une réunion avec le nouveau chef de la MINURSO, William Lacy Swing, l'Algérie persiste et signe quant à son hostilité à l'égard du Maroc et son soutien au Polisario. Abdelkader Messahel, alors jeune ministre adjoint au ministère algérien des Affaires étrangères, réaffirme «le soutien de l'Algérie au principe de l'autodétermination et le droit du peuple sahraoui à l'indépendance». Un mois plus tard, les relations entre les voisins ennemis se détériorent davantage. Un rapport présenté au Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l'ONU de l'époque, Kofi Annan, apprendra aux Marocains que l'Algérie avait proposé de diviser le Sahara occidental entre le Maroc et le Polisario. Le royaume avait alors catégoriquement rejeté la proposition, affirmant qu'il s'agissait d'un plan algérien visant à créer un «mini-Etat» sahraoui sous la protection de l'Algérie, offrant ainsi au voisin de l'Est un débouché sur l'océan Atlantique. S'en suivra une déclaration incendiaire du représentant algérien aux Nations unies. «Mais il semblerait que ce soit une initiative personnelle du président Bouteflika», souligne «The Middle East and North Africa 2003». Bouteflika, premier président algérien à se rendre à Tindouf Le 27 février, Abdelaziz Bouteflika enfonce un clou dans le cercueil de la normalisation des relations entre Rabat et Alger. A l'occasion du 26e anniversaire de la «RASD», il se rend à Tindouf pour entériner son soutien au Polisario, devenant ainsi le premier président algérien à se rendre dans les camps du sud-ouest de l'Algérie. Une mesure qualifiée par le Maroc de «provocatrice». Fin avril, en réponse aux efforts américains pour persuader les membres du Conseil de sécurité des Nations unies d'accepter l'option d'autonomie du Sahara occidental, déjà soutenue par le Maroc, l'Algérie adresse des messages à tous les membres du conseil, où elle affirme que «la seule solution raisonnable est une solution acceptée à l'unanimité par les membres du Conseil de sécurité et par les parties concernées». Une allusion faite au Front Polisario que l'Algérie n'a cessé de soutenir publiquement. Abdelaziz Bouteflika avec l'ex-secrétaire général du Front Polisario, Mohamed Abdelaziz. / Ph. DR Encore une fois, l'incident diplomatique frappe de plein fouet l'UMA. Un sommet des chefs d'Etat de l'organisation maghrébine, le premier depuis celui de 1994 et qui devait se tenir à Alger fin juin 2002, est reporté sine die, après que le roi Mohammed VI ait décliné l'invitation. Et en octobre 2004, le président Bouteflika déclare depuis Johannesburg en Afrique du Sud : «l'Algérie ne déclarera jamais la guerre au Maroc parce que nous sommes des peuples pacifiques... Le Sahara occidental n'est pas un casus belli avec nos frères du Maroc». Une déclaration, rapportée par Yahia H. Zoubir et Louisa Dris-Aït-Hamadouche dans «Global Security Watch—The Maghreb: Algeria, Libya, Morocco, and Tunisia» (Editions ABC-CLIO, 2013) qui reste ironique. Avec une course à l'armement qui met les deux pays à la tête des pays africains importateurs d'armes, des frontières fermées depuis 1994 et des tirs croisés fréquents par agences de presse interposées, Bouteflika ne réalisera jamais sa promesse d'une amélioration des relations bilatérales entre son pays et le Maroc. Pire, il ne contribuera qu'à la dégradation de liens historiques entre les deux pays.