L'ex-président a rendu son dernier souffle vendredi 17 septembre, a annoncé la télévision nationale algérienne, qui cite un communiqué de la présidence de la République. Il avait dirigé le pays pendant vingt ans, de 1999 à 2019. Il fut le «candidat privilégié de l'armée», l'homme de «rassemblement», la bête noire des «éradicateurs», c'est-à-dire ceux qui ont refusé tout dialogue avec les islamistes durant la décennie noire (1992-2002), mais aussi celui qui a été élu président en 1999 après le retrait incompréhensible des six autres candidats à la veille du scrutin. De tous les présidents algériens, Abdelaziz Bouteflika, 84 ans, mort hier, aura eu la plus grande longévité à la tête de la République algérienne (démocratique et populaire). Cinquième chef de l'Etat depuis l'indépendance du pays en juillet 1962, il fut aussi un des présidents les plus hostiles au Maroc et chantre de la «diplomatie des maquisards». Sa relation avec le royaume est faite de revirements. En 1975 déjà, à l'issue d'une visite de trois jours à Rabat, Bouteflika, jadis ministre algérien des affaires étrangères, a confirmé, la renonciation de son pays à toute prétention sur le Sahara, cinq mois avant la Marche-Verte. Les deux parties se sont donné pour objectif commun de «mettre fin le plus vite possible à l'occupation espagnole». Le différend international à propos de l'avenir du Sahara était désormais clarifié scellé, au point que l'Algérie s'est félicitée même de la «compréhension mutuelle entre les deux pays, le Maroc et la Mauritanie, à propos de la région». Plusieurs mois après, la récupération par le Maroc de son Sahara a déclenché l'animosité algérienne envers Rabat, irrité de voir que le Maroc ne conçoit la pleine autonomie de ces territoires récemment acquis que pour l'intégration de ceux-ci au royaume. C'est la solution que préconise le mémoire qu'il a présenté à la Cour de La Haye. Durant ses seize années d'activité à la tête de la diplomatie algérienne, Abdelaziz Bouteflika sera le représentant de ce que les Algériens désignent aujourd'hui, avec amère nostalgie, comme «la période faste de la diplomatie algérienne». Il est pourtant celui qui prononcera les plus violentes diatribes anti-marocaines mais aussi anti-françaises au moment de l'ère Boumediene. Des années après, la présence remarquée de Bouteflika aux obsèques du roi Hassan II* durant lesquelles il rencontre, outre le nouveau roi Mohammed VI et d'autres chefs d'Etats, le Premier ministre israélien Ehud Barak (une première), était un symbole, celui la volonté de sortir l'Algérie de son isolement. Durant 20 ans, Bouteflika n'incarnait que la «luttes de clans» permanentes au sein de la coupole, celle-ci est longtemps restée unie autour de l'essentiel : préserver la captation de la rente, et nourrir les inimitiés contre le Maroc. On disait de lui qu'il était la vitrine civile du régime, sans véritable successeur consensuel, d'où sa reconduction au fil d'élections truquées, alors même qu'il était devenu amoindri depuis 2013. L'absurdité de l'élection, prévue le 18 avril 2019, de Bouteflika pour un «cinquième mandat» aura été le déclencheur de la contestation populaire durement réprimée par son successeur. Un président broyé par le monde bureaucratique et sécuritaire du haut commandement militaire Au Maroc, on pensait que le dogmatisme est mort, et l'Algérie en voie de se convertir à la politique réaliste. On disait que Bouteflika a appris et désappris beaucoup de choses ; qu'il ne croit plus à la vertu de certaines formules éculées, qu'il estime que les questions bilatérales sont le plus souvent des questions de circonstances et d'opportunité. Au début des années 2000, l'ordre qui régnait en Algérie n'est qu'un ordre apparent et trompeur, à la faveur duquel les radicaux de tous les bords pratiquaient en sûreté leurs redoutables menées et s'achetaient à la conquête des vecteurs du pouvoir. En 2005, faux espoir de normalisation. Ce qui devait être le premier sommet des cinq chefs d'Etat de l'Union du Maghreb arabe (UMA) depuis onze ans a été reporté sans aucune explication. Si, une : le contentieux lié à l'avenir du Sahara, même ne figurant pas au menu du sommet de l'UMA, a déclenché une déclaration du chef de l'Etat algérien. Bouteflika a mis à profit le soi-disant anniversaire de la création du Front Polisario pour rappeler que l'Algérie «soutient cette cause (…)». Ders déclarations qui ont poussé à Rabat à souligner que l'Algérie «adopte un parti-pris systématique contre les intérêts supérieurs du royaume». Bizarrement, tout le monde parlait d'un rapprochement qui était perceptible. Il s'était concrétisé, en mars 2015, par la venue de Mohammed VI dans la capitale algérienne à l'occasion du sommet de la Ligue arabe. Un entretien entre le roi et le président Bouteflika avait même eu lieu à cette occasion, aimantant l'enthousiasme dans les deux capitales. Peu après, Alger annonçait que les Marocains voulant se rendre en Algérie étaient dispensés de visa d'entrée. Une mesure parallèle avait été prise, été 2004, par les autorités marocaines ce qui laissait entrevoir la possibilité de rouvrir la frontière terrestre entre les deux pays, fermée depuis les attentats de Marrakech en 1994. Les cercles diplomatiques étaient persuadés de l'imminence de la réouverture de la frontière algéro-marocaine. «Une visite du directeur des douanes algérien le long de la zone frontalière, des travaux menés dans plusieurs postes de contrôle avaient achevé de convaincre. Le report du sommet de l'UMA est là pour confirmer que le rétablissement de bonnes relations entre les deux pays n'est pas pour demain» a-t-on raconté. Je ne suis pas «un banc sur lequel on s'assied dessus» a déclaré Bouteflika un jour, ou encore, «un fruit confit que l'on dépose sur un gâteau». «Je suis le président de tous les Algériens et le chef suprême des forces armées» : pourtant, il a rarement dépassé les limites qu'on lui a imposées. C'est l'éternelle illusion de ceux qui s'appellent les dirigeants algériens de s'imaginer que leur politique peut compter sur les sympathies de toutes les puissances régionales. En 1999, Bouteflika s'empressa d'insinuer aux gouvernements étrangers qu'ils devaient voir d'un œil favorable et bienveillant son élection, que le vote de était une victoire remportée sur les passions chaotiques dont l'Algérie est le foyer, et qu'il va travailler pour la cause de l'ordre et de la tranquillité dans tous les pays avoisinants. Fin 2018, l'ex-président algérien a envoyé au roi du Maroc Mohammed VI son traditionnel message pour l'anniversaire de l'indépendance du pays, sans y répondre à sa proposition de lancer un «dialogue franc et direct» entre les deux voisins. En 2019, le chef d'état-major de l'armée Ahmed Gaïd Salah tente de faire passer en force une momie amorphe dans son fauteuil roulant pour un cinquième mandat. Les deux, hostiles au Maroc, sont désormais morts. Le royaume, lui, consacre sa pleine souveraineté sur le territoire du Sahara.