Depuis deux jours, la presse française relaie l'expulsion de sept «faux mineurs» marocains parmi 43 identifiés à Paris. Toutefois, aucun élément sur la vérification de leur âge ou sur les procédures de leur reconduction n'a été détaillé, ce qui laisse des avocats français circonspects. «Quarante-trois jeunes majeurs ont été détectés en juin dernier parmi les 173 cas soumis à la mission dépêchée par Rabat pour identifier les petits Marocains qui hantent le 18e arrondissement de la capitale». C'est par ces mots que L'Express a annoncé, mardi, l'identification et la reconduction de mineurs nationaux qui auraient en réalité plus de 18 ans. Plus tôt, Le Point a évoqué quarante-deux personnes identifiées se revendiquant comme mineures, dont six ont été éloignées, leur âge étant considéré comme supérieur à 18 ans. La même source rappelle qu'en octobre dernier, une note de la préfecture de police parisienne a même évoqué huit cas ayant reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF), «assortie d'un placement en rétention administrative (CRA)». En fuite depuis septembre, l'un d'entre eux «fait l'objet d'intenses recherches», selon le média. Catherine Delanoë-Daoud, avocate et coresponsable du pôle «mineurs isolés étrangers» auprès du barreau de Paris, nous indique ne pas avoir pris connaissance des interrogatoires préparant ces reconductions. «Au niveau du barreau de Paris et de l'antenne des mineurs, nous n'avons aucunement été mis au courant ni des faits, ni de la date où les 43 ressortissants auraient comparu et en tout cas les sept ayant été expulsés», fustige-t-elle. L'âge des mineurs en errance en question Depuis cette annonce, peu de réactions ont été observées. Contacté par Yabiladi, Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris, souligne pourtant que les procédures d'identification de l'âge des mineurs sont contestables, voire imprécises. Selon lui, il existe deux motifs d'évaluation majeurs, retenus pour ne pas considérer des mineurs en tant que tels. Le premier est basé sur un contrôle de l'authenticité des documents d'identité par les services compétents, au niveau de la police de l'air et des frontières. Un entretien d'évaluation est ensuite mené avec le mineur, parallèlement à des expertises osseuses, censées établir la minorité ou non des personnes se revendiquant comme telles. Pour Emmanuel Daoud, tout le problème est là : «Les avocats ne reconnaissent pas à ces expertises leur qualité probante. Les taux d'erreurs sont souvent importants. Les marges d'appréciation peuvent atteindre même quelques années. Malheureusement, les juges y accordent trop de crédit.» Dans ce sens, Me Daoud indique que «les avocats mènent un long combat pour que les juridictions ne se contentent pas de ces expertises». Pour ces récents cas, l'avocat dit être surpris de la rapidité des procédures et surtout du silence qui les a entourés. Un silence qui n'a d'ailleurs pas facilité le travail de ses collègues, susceptibles de se saisir du dossier. «Dans le cas spécifique des mineurs migrants, les avocats doivent d'abord être informés des procédures en cours et doivent être saisis, afin d'intervenir sur ces questions», rappelle-t-il. «Commence alors tout un débat sur la qualité des preuves présentées par la police, même si nous ne sommes pas d'accord avec les voies de recours disponibles : nous n'avons pas les moyens juridiques d'exiger une contre-expertise osseuse», affirme l'avocat. Face à l'impossibilité de contester ces résultats, les avocats doivent fournir des documents familiaux établissant l'authenticité de l'état civil et de la date de naissance du mineur. «Encore faut-il être en contact avec la famille, sachant que l'enfant l'a quittée, qu'il est en errance et qu'on ne lui dit pas souvent être en droit de faire appel à un avocat», rétorque Me Daoud. Par ailleurs, la France a déjà été épinglée par sept associations italiennes, qui ont annoncé en avril dernier avoir saisi la Commission européenne au sujet de policiers français, soupçonnés d'avoir falsifié l'âge de mineurs migrants pour accélérer leur refoulement sur la frontière avec l'Italie. «L'un de ces incidents se serait produit en mars près de la ville frontalière de Vintimille», rappelle Le Point dans un autre article, tout en citant une assistante juridique qui a témoigné de ces pratiques, à travers lesquelles des dates de naissance auraient été changées sur les documents de refus d'entrée. L'arrangement administratif France – Maroc de nouveau décrié Emmanuel Daoud souligne qu'en France, «la loi asile et immigration a réduit les voies de recours à deux jours, lorsqu'un mineur migrant est en rétention, pour contester une décision où on ne lui reconnaîtrait pas la qualité de réfugié». Il note là encore les difficultés pour les enfants en rétention d'exiger l'accompagnement d'un avocat. De son côté, Catherine Delanoë-Daoud nous explique que «si un mineur considéré comme majeur se voit notifier une obligation de quitter le territoire (OQCF), on peut contester celle-ci devant un juge administratif. Tant que l'examen est en cours, le mineur ne peut être expulsé». Mais ce travail est rendu encore plus difficile depuis la signature, en juin dernier, d'un arrangement administratif entre le Maroc et la France. Dans le document signé conjointement par les ministres de l'Intérieur des deux pays, il s'agit d'envoyer une équipe d'agents marocains à Paris, afin d'agir sur le terrain sous le contrôle de leurs homologues français pour faciliter l'identification des mineurs nationaux en errance dans le 18e arrondissement parisien. S'agissant des sept dernières expulsions, Me Delanoë-Daoud nous rappelle que celles-ci «ne peuvent s'opérer sans que le Maroc ne délivre un passeport ou un laisser-passer, ce qui veut dire les autorités marocaines ont peut-être considéré ces cas-là comme de 'faux mineurs', des nationaux, et ont donc favorisé leur retour au pays». «On peut imaginer là encore que les procédures aient été accélérées dans le cadre de l'arrangement administratif entre Paris et Rabat», conclut l'avocate.