Un document de la préfecture de police à Paris fait état d'une réunion avec l'ambassadeur du Maroc en France, pour l'envoi de quatre agents marocains. Ces derniers vont aider à identifier les mineurs isolés et faciliter les investigations, en vue de leur expulsion vers le royaume. Le 11 juin dernier, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, s'est réuni avec l'ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa. Cette rencontre portant sur la prise en charge des mineurs marocains isolés s'est tenue en présence du consul général du Maroc et du conseiller social au sein de l'ambassade. Chakib Benmoussa y a «confirmé la constitution d'une équipe pluridisciplinaire dédiée à la problématique des mineurs marocains isolés dès la semaine du 18 juin», note le compte-rendu de la réunion. Des agents marocains pour identifier les mineurs 'expulsables' Cette équipe dépêchée du 18 juin au 24 juillet à Paris est composée de quatre agents. Ces derniers représentent les services du ministère marocain de l'Intérieur, de police, consulaires et chargés de la protection de l'enfance. Ils ont pour mission d'«auditionner les mineurs isolés marocains et de recueillir des informations permettant de lancer des investigations en vue de leur identification et de leur retour au Maroc», note encore le document. La même source ajoute qu'en plus des livrets de famille, en cas de disponibilité, «les téléphones portables et les réseaux sociaux constituent des sources précieuses, voire essentielles à l'identification des jeunes». Elle note également que «le travail de cette équipe se concentrera sur le 18e arrondissement de Paris qui concentre la majorité des situations jusqu'à présent identifiées». Cette mesure est prise dans le cadre d'un arrangement administratif entre la France et le Maroc, signé par les ministres de l'Intérieur des deux pays, à savoir Gérard Collomb et Abdelouafi Laftit. «Conformément aux instructions qu'ils reçoivent de la partie française, les policiers marocains mis à disposition sur le fondement du présent arrangement assistent les agents de la partie française territorialement compétents dans l'exercice de leurs missions, notamment lorsqu'elles impliquent des ressortissants marocains», peut-on lire dans le premier alinéat de l'article 2 de cet accord, relayé par le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI). «Parallèlement, et dans la perspective d'une coopération consulaire nationale, l'accord sur le sujet entre la Roumanie et la France sera examiné par la partie marocaine», précise de son côté le compte rendu de la réunion avec Chakib Benmoussa. C'est cet accord que pointe du doigt Ali El Baz, membre du GISTI, pour son non-respect de la constitution française. Contacté par Yabiladi, le militant nous rappelle que «le 4 novembre 2010, le texte sur la reconduction des mineurs roumains à leur pays a été épinglé par le Conseil constitutionnel pour son inconstitutionnalité». En effet, cet accord signé en 2007 avec Bucarest ne prévoyait aucune possibilité de recours en justice pour contester la procédure d'éloignement, dans le cas où le parquet déciderait de ne pas saisir le juge des enfants pour des expulsions de mineurs isolés. Une coopération et plusieurs interrogations Ali El Baz confie à Yabiladi son étonnement de voir «une collaboration policière si étroite» entre la France et le Maroc, d'autant plus que celle-ci consiste à «donner un coup de main au policiers français sur le terrain». Par le passé, «il y a peut-être eu des coopérations similaires, mais c'est pour la première fois que les faits sont révélés, notamment à travers ce compte rendu 'tombé du camion'», explique encore notre interlocuteur. Dans ce sens, il rappelle que «la coopération policière entre la France et le Maroc est menée sous le sceau de la confidentialité depuis l'affaire Ben Barka». Par ailleurs, Ali El Baz évoque le traitement contrasté des représentations marocaines en France, en fonction des dossiers : «Lorsque nous avions saisi l'ambassadeur, le consul général et le conseiller social sur des questions comme celle des anciens combattants ou de la délivrance de laissez-passer, ils n'avaient jamais répondu à nos sollicitations. Maintenant, ils s'empressent pour participer à l'expulsion de moins de 200 mineurs.» Le militant insiste sur le respect des droits de l'enfant dans le cadre de ces procédures d'éloignement et notamment la possibilité pour les concernés de recourir à la justice, en vue de contester la décision. Il exprime ainsi ses craintes d'une application rigide et purement sécuritaire : «Les mineurs qui sont recherchés par leurs familles au Maroc seront très probablement expulsés en premier, même s'ils ne veulent pas revenir au pays». Protéger l'intérêt supérieur de l'enfant Inquiet des dérives qui pourraient résulter de cet accord administratif, le membre du GISTI, qui a également accueilli des mineurs isolés, promet de faire appel aux juristes de l'association. Pour lui, il est prioritaire de «rappeler la jurisprudence concernant l'accord entre Paris et Bucarest pour garantir l'intérêt supérieur de l'enfant», ajoutant même que «la police marocaine n'a rien à faire en France pour traiter ce dossier». De plus, la décision d'expulsion doit impérativement être notifiée par écrit à l'intéressé, «sans cela, on ne peut l'éloigner», insiste Ali El Baz. «Grâce au soutien juridique, cette notification peut être contestée devant n'importe quel tribunal administratif». Dénonçant, dans ce sens, le fichage des mineurs non accompagnés, le Syndicat des avocats de France (SAF) rappelle de son côté que «la protection des enfants doit passer avant la suspicion». Dans une publication, il a d'ailleurs alerté sur une mesure défendue par l'exécutif français : «Alors que la version initiale du projet de loi Asile et immigration ne contenait aucune mention d'un fichage national des mineur·e·s non accompagné·e·s, le gouvernement souhaite faire adopter en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale un amendement permettant un 'traitement de données', comprenant l'enregistrement des empreintes et des photographies de mineur·e·s qui demandent une protection au titre de l'aide sociale à l'enfance, créant un véritable fichier des enfants.» Dans cet appel soutenu par sept organisations, dont le GISTI et le SAF, les signataires avertissent ainsi d'une proposition «disproportionnée». Pour elles, cette dernière «compromettra largement l'accès de mineur·es non accompagné·es à la prise en charge à laquelle ils ont droit en France et entraînera le déni de leurs droits fondamentaux». Plus loin, lesdites associations précisent que «les conditions d'utilisation de ce fichier sont préoccupantes : consentement des mineur·e·s sans représentants légaux, qualité des personnes habilitées à consulter le fichier, mise à jour et conservation des données…».