Durant les derniers jours, des centaines de Marocains bloqués à Sebta et Mellilia ont rejoint le pays à travers les postes frontières fermés, mais exceptionnellement rouverts, de ces deux villes occupées. Pourquoi maintenant et pas avant ? En novembre 2018, le fraîchement élu chef du gouvernement espagnol Pédro Sànchez, réservait, comme le veulent les us et coutumes diplomatiques entre les deux Royaumes, sa première visite officielle à l'international au Maroc. Dominée à l'époque par le sujet très «médiatogène», mais désormais oublié, de la candidature conjointe maroco-espagnole à l'organisation de la Coupe du monde de football, cette visite avait donné lieu à des pourparlers intenses dont la majeure partie était centrée sur le dossier sensible de la migration clandestine. Le cas explosif des «Desamparo» Quatre mois après cette visite, les Royaumes du Maroc et d'Espagne commençaient la mise en oeuvre de l'une des phases les plus délicates de leur coopération migratoire à travers l'activation de leur accord bilatéral sur le rapatriement des mineurs non accompagnés conclu en 2007, ratifié en 2012, mais jamais entré officiellement en application. Notamment en raison de la levée de boucliers des ONG espagnoles et européennes de protection des droits l'enfance qui n'ont eu de cesse d'en dénoncer certaines clauses jugées attentatoires à ces mêmes droits. Une année durant, le rapatriement de mineurs marocains non accompagnés coincés dans les centres d'attente de Sebta et de Mellilia a perduré de façon hachée et épisodique, en dépit des protestations de la société civile espagnole. Mais la cadence de ces rapatriements était loin de satisfaire les attentes pressantes des gouvernements autonomes de ces deux villes occupées où la coloration politique était désormais dominée par le parti espagnol d'extrême droite, VOX, dont les membres voulaient une politique d'expulsions tous azimuts à l'encontre des «Desamparo» marocains. «Desamparo» est l'appellation légale attribuée en Espagne aux mineurs en état d'abandon et qui ne peuvent en principe être réexpédiés vers leurs pays d'origine qu'après identification de ces pays et accord de leurs autorités, ainsi qu'après consentement de leurs familles pour leur rapatriement et leur accueil. L'ensemble des mineurs clandestins vivant à Sebta et Mellilia rêvent de ce qualificatif qui leur ouvre les portes d'un séjour légal en Espagne. Car, si, au bout de trois mois, un mineur n'est pas expulsé, il est qualifié «Desamparo» et doit être dispatché dans l'un des centres pour jeunesse de la péninsule ibérique afin de profiter de la protection de l'Etat et jouir d'un programme d'assistance psychologique et éducative. En l'espace d'une année, et au vu de la complexité des procédures, les rapatriements de mineurs entre l'Espagne et le Maroc n'ont pas dépassé la centaine de cas. On notera au passage, et à titre anecdotique, le silence assourdissant durant cette période, et jusqu'à aujourd'hui, de la translucide ministre de la Solidarité, du Développement social, de l'Egalité et de la famille, Jamila Moussali, dont le département est pourtant désigné par l'article 1 de l'accord bilatéral de 2007 comme celui chargé de son application et de sa coordination, côté marocain. Arrêt net des expulsions avec le Coronavirus Le flux des expulsions des mineurs marocains sera stoppé net en mars 2020 avec la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes du Maroc en guise de mesure préventive contre la propagation de la pandémie du Coronavirus. Deux mois après cette décision qui avait propulsé dans l'orbite incertaine de l'errance internationale des milliers de Marocains qui se sont retrouvés du jour au lendemain bloqués à l'étranger, une première brèche avait été ouverte durant le mois de mai. Il s'agit de la décision du Maroc de permettre l'ouverture exceptionnelle des postes frontières de Bni Nsar à Mellilia et de Tarajal à Sebta afin de permettre le retour de centaines de Marocains, principalement des journaliers issus des villes limitrophes de Nador et de Tétouan et titulaires de cartes d'identité nationale domiciliées dans ces deux villes qui leur permettent d'y séjourner sans visas ni titres de voyages, en plus de quelques rares et malchanceux touristes. L'ouverture partielle et exceptionnelle de ces deux postes frontières, dont l'un, en l'occurrence celui de Tarajal à Sebta, était fermé depuis plusieurs mois sous couvert de lutte contre la contrebande, avant même la survenue de la pandémie du Coronavirus, avait été décidée pour des raisons humanitaires, au lendemain du décès d'une jeune marocaine bloquée à Mellilia. Les gouvernements autonomes de Sebta et de Mellilia, toujours impatients de solder leurs réserves de migrants clandestins, s'étaient alors empressés d'insérer dans le lot quelques mineurs et clandestins adultes, dans une tentative vaine de transformer cette opération de retour au pays, en une campagne d'expulsions. La réaction du Maroc ne s'est alors pas faite attendre, prenant la forme d'un arrêt brutal de cette opération de retour qui ne pouvait être mise à profit pour le règlement d'agendas politiques. La réaction du Maroc se justifiait d'abord par des considérations sanitaires qui dictaient la plus grande prudence en ce qui concerne le rapatriement de Marocains bloqués dans ce pays, qui vivait à l'époque une période de pic des contaminations au Covid-19. De ce fait, ces rapatriements ne devaient se faire qu'au compte-gouttes et dans la limite des capacités d'encadrement sanitaire limitée du Royaume. L'autre argument murmuré par les autorités marocaines, que ce dossier embarrassait au plus haut point, c'est celui du respect des procédures convenues en matière de rapatriement de mineurs non accompagnés, qui imposent une étroite coordination bilatérale entre les deux pays, avec l'exigence de l'intervention d'agents marocains lors de ce processus en vue de mener des entretiens de vérifications d'origines avec ces mineurs qui ne disposent généralement d'aucun document légal attestant de leur nationalité marocaine. Six mois durant et à l'issue de tractations souterraines, le Maroc et l'Espagne semblent êtres parvenus à un accord permettant le rapatriement des marocains bloqués à Sebta et à Mellilia, qui constituent le dernier lot de concitoyens bloqués à l'étranger à rejoindre leur patrie. Constituée principalement de journaliers dépourvus de moyens et de titres de voyage, cette population s'était retrouvée coincée en raison de son incapacité à rejoindre les ports de retour autorisés en juillet par le Maroc à Sète en France et Gênes en Italie. En vertu des tractations maroco-espagnoles, lors desquelles les deux pays ont exprimé leurs attentes et desideratas, notamment en matière de lutte contre la migration clandestine côté espagnol, et la contrebande côté marocain, le Royaume a insisté sur le report du traitement du cas des enfants mineurs non accompagnés, à l'après-pandémie du Covid. Il semble aujourd'hui que cette exigence ait été entendue. En attendant, la taciturne Jamila Moussali, si d'aventure elle tient jusqu'à cette échéance dont on ne connaît pas le délai, est priée de sortir de son immobilisme pour préparer le terrain pour un retour digne de ces enfants marocains aujourd'hui plus que jamais abandonnés. Nabil LAAROUSSI 3 questions à Mohamed Ben Aïssa « Il existe une discrimination à l'encontre de ces mineurs » Mohamed Ben Aïssa, président de l'Observatoire du Nord des Droits de l'Homme, nous éclaire sur la situation des mineurs marocains non accompagnés en Espagne. - Quelles sont les conditions dans les centres de supervision pour mineurs dans les deux villes ? - Selon les données qu'on a reçues avant que les frontières des deux villes ne soient définitivement fermées, la situation au sein de ces centres n'est aucunement acceptable et leurs conditions ne répondent pas aux critères d'une vie décente. Les enfants y sont entassés dans des pièces où aucune condition de sécurité ou de bien-être n'est procurée. Que ce soit à Sebta ou à Mellilia, les autorités espagnoles dépassent de loin les capacités d'hébergement des centres d'accueil pour mineurs, et ce, en étant conscientes des conséquences qui en découlent. L'accumulation de centaines de mineurs dans ces centres ne peut qu'entraîner violences et agressions de toutes sortes. Celles-ci poussent beaucoup d'entre eux à fuir pour vivre dans la rue, s'exposant à de nombreux dangers. - Qu'en est-il de la scolarité de ces enfants ? - Il existe une discrimination à l'encontre de ces mineurs de la part des encadrants de ces centres. D'autant plus que tout mineur qui refuse de se soumettre à leurs recommandations et demandes abusives, se retrouve non seulement exclu du système d'éducation, mais aussi poussé à quitter le centre pour se retrouver dans la rue. Ce sont des scénarii qui se répètent souvent, en négligence aux conventions relatives aux droits de l'enfant et aux conventions régissant la situation des mineurs migrants non accompagnés. - Y a-t-il un irrespect vis-à-vis des accords qui ont été conclus à ce sujet ? - Le dossier des mineurs marocains en Espagne ou dans les deux villes occupées de Sebta et Mellilia est un sujet exploité à d'autres fins. D'ailleurs, on remarque une négligence quant aux responsabilités, telles que stipulées dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, dont la Convention relative aux droits de l'enfant. D'autre part, l'accord qui unit les deux pays souffre de plusieurs lacunes au niveau procédural, et ne respecte pas l'intérêt supérieur de l'enfant. Recueillis par N.L. Encadré France : Les migrants mineurs au coeur des tractations A l'instar de l'Espagne, les mineurs non accompagnés (MNA) en France suscitent également la polémique. La pression politique sur ces derniers se resserre depuis des mois et risque de s'accentuer davantage, surtout après la dernière attaque à Paris devant les anciens locaux de « Charlie Hebdo » dont l'auteur a été présenté comme un mineur isolé. « La question des mineurs non accompagnés arrivés en France illégalement devient un problème de plus en plus inquiétant et je sais que l'opinion publique française commence à se tendre sur le sujet », nous indique Mjid Guerrab, député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France. Il ajoute que «le statut de mineur est très protégé et on ne peut pas les traiter comme des adultes qu'on expulserait ». Si la question de la prise en charge de ces mineurs paraît indispensable, il conviendrait de la l'appréhender davantage dans une optique européenne, tant nécessaire, portée sur ces mineurs, que comme une solution trouvée par la France, ou par le Maroc, pour remédier à une recrudescence de la délinquance. Le député nous affirme qu'aucun lien n'a jamais été fait entre l'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés en France et l'expansion de la délinquance. «Ce serait même absurde de penser cela ! Il s'agirait donc de ne faire aucun raccourci et de laisser à ces jeunes une chance de s'intégrer dans leur pays d'accueil sans les stigmatiser», précise-t-il.