Immigration clandestine Rabat a bloqué, depuis fin avril, tous les rapatriements des mineurs qui provenaient d'Espagne. Cette démarche, contre toute attente, remet en question le mémorandum signé avec le gouvernement d'Aznar en décembre 2003. Y aurait-il un orage caché dans l'air? Ou va-t-on plutôt présenter un nouveau mémorandum qui viendrait remplacer le précédent ? Lors des deux premières semaines de septembre, pas moins de 33 mineurs clandestins ont été arrêtés à la frontière de Melillia alors qu'ils tentaient d'entrer en territoire espagnol. Dans cette même ville, selon des associations de protection de l'enfance, près d'une centaine d'enfants en âge de scolarisation obligatoire, dont les parents sont des clandestins, ont été interdits d'accès à l'école. Les parents de ces enfants n'avaient pas de carte de séjour, ce qui a poussé les autorités de la ville à refuser leur doléance commune. Les inspecteurs de l'enseignement leur ont clairement signifié que sans régularisation, leurs enfants n'avaient pas le droit de profiter des collèges et autres institutions de Melillia. Mais cette tension palpable désormais au sujet des mineurs n'en est pas à sa première crispation. On sait surtout que le rapatriement des mineurs vers le Maroc, tel qu'il a été fomenté en décembre 2003 par les deux pays, est bloqué depuis près de cinq mois. Depuis le lundi 26 avril très exactement, un jour seulement après l'arrivée de José Luis Rodriguez Zapatero à Rabat pour son premier voyage diplomatique. Des colis sans adresse A cette date, des fonctionnaires espagnols avaient accompagné trois mineurs marocains de Malaga jusqu'à Algésiras. Ces enfants, dont les familles avaient été retrouvées au Maroc, devaient, selon la procédure usuelle, obtenir un laissez-passer du consulat marocain à Algésiras avant d'embarquer sur un ferry à destination de Tanger. A leur arrivée sur place, les choses prirent une autre tournure. Les responsables marocains allaient refuser de prendre en charge les enfants en prétextant de nouveaux formulaires “techniques” à remplir par le côté espagnol, par la délégation des affaires sociales de la Junte d'Andalousie. Les accompagnateurs des mineurs envoyèrent par fax le questionnaire pour éviter de revenir jusqu'à Malaga avec les enfants. Ils pensaient aussi que l'affaire allait être réglée en quelques heures. Mais même rempli et réexpédié vers le consulat, le document n'allait toujours pas permettre de procéder au rapatriement des trois mineurs. Les responsables marocains ont expliqué à la partie espagnole qu'il fallait envoyer les papiers au Maroc et atten-dre une réponse officielle... Ce qui a poussé les accompagnateurs et les policiers espagnols qui escortaient le petit groupe, à rebrousser chemin pour de bon et à attendre calmement la réponse qui ne vint jamais. A ce jour, aucun courrier concernant ces trois enfants n'a émané du Maroc pour permettre leur rapatriement. Un mémorandum en sursis Depuis la signature du mémorandum entre le Maroc et l'Espagne, une quarantaine de mineurs avait été rapatriée depuis l'Espagne. Avec l'épisode des jeunes clandestins de Malaga qui ne s'est pas encore dénoué, la liste de ceux qui ont été refusés au rapatriement atteint onze mineurs maintenant. L'une des explications apportées par les responsables du consulat marocain était que la commission bilatérale, menée par les ministères de l'Intérieur des deux pays, n'avait pas encore abouti à une réglementation définitive et que le rapatriement des enfants était suspendu jusqu'à nouvel ordre. Mais un revirement aussi inattendu au lendemain de la visite de Zapatero dans notre pays peut être interprété différemment. L'Espagne n'a pas fait beaucoup de bruit autour de l'affaire et la cessation des rapatriements est passée en silence. Cette situation équivoque place notamment les mineurs en porte-à-faux car l'Espagne, se basant sur le mémorandum, n'a rien prévu pour les accueillir. Ils sont maintenant dans une situation plus périlleuse qu'auparavant. Bataille rangée Mercredi 8 septembre, dans la montagne de Benyounech qui sépare le territoire occupé de Sebta et le littoral marocain, plusieurs dizaines de membres de la sécurité marocaine ont envahi, dès 6 heures du matin, les campements où se réfugient depuis plusieurs années les candidats subsahariens à l'émigration clandestine qui attendent une occasion pour entrer à Sebta ou prendre le large à travers le détroit de Gibraltar. Pendant près de six heures, les agents ont utilisé des chiens pour traquer les émigrés dans les sous-bois de la zone. Les cabanes en bois et les tentes érigées par les Subsahariens ont été brûlées et selon les chiffres fournis par des sources sur place, entre 120 et 150 clandestins ont été arrêtés et transférés vers les locaux de la police de Fnideq. On parle d'une trentaine de blessés plus ou moins graves dans les files des appréhendés, dont une dizaine de femmes. Les clandestins de Freetown Un bateau appelé Ohllgan Star, en provenance de Freetown, la capitale de la Sierra Leone, a été arrêté en haute mer dans l'Atlantique alors qu'il se dirigeait vers les îles Canaries avec à son bord 500 émigrés subsahariens. Cette opération policière, menée en collaboration avec la Sierra Leone, l'Espagne et la Guinée, a également permis d'accoster un second navire ayant les mêmes caractéristiques qui s'apprêtait à quitter le port de Freetown avec un autre demi millier de clandestins. A travers son délégué José Segura, le gouvernement des îles Canaries a fait savoir que “ces arrestations montrent que les groupes mafieux qui s'adonnent au commerce humain ont développé de nouvelles stratégies et qu'ils ont appris à travailler plus au sud, fuyant notamment les meilleures pressions exercées par la gendarmerie marocaine”. La nouvelle stratégie des passeurs du continent noir qui se chargent en amont, dans les pays africains, de préparer les voyages des candidats, consiste aujourd'hui à racheter de vieux navires de marchandise destinés à la casse et à les exploiter pour faire acheminer les émigrés africains vers les eaux territoriales espagnoles des îles Canaries ou vers les plages de l'Andalousie voisine. C'est dans le Golfe de Guinée que les centaines de clandestins sont embarqués dans des bateaux qui n'ont souvent pas navigué depuis longtemps. Ces navires sont dotés par les passeurs de petites chaloupes en bois dans lesquelles sont tassées les émigrés pour les déposer sur les rivages des îles Canaries. Jetés à l'eau, ils doivent ramer quelques kilomètres avant de trouver la terre ferme et en général l'accueil de la Guardia civil espagnole. Le capitaine du navire ainsi que les membres de l'équipage ont été écroués. Les occupants de Ohllgan Star ont été retrouvés dans un état “inhumain”. Chacun d'eux avait payé entre 17000 et 23000 dh son droit de passage sur la route de l'Atlantique. Depuis 2002, le Ohllgan Star est le quatrième grand navire arrêté près des côtes marocaines avec dans leurs cales des émigrés subsahariens : 109 personnes en 2002, 235 personnes en décembre de la même année, 165 en avril 2004 et 500 lors de la récente prise d'Ohllan Star, à quoi il faudrait ajouter les 500 clandestins appréhendés à Freetown avant le départ de leur navire.