Béatifié par Benoît XVI et détenteur d'une hagiographie riche de plus de 40 ouvrages, Charles de Foucauld reste pourtant un personnage controversé, dont le parcours et les travaux ont indéniablement servi les politiques coloniales en Afrique du Nord. Véritable saint pour une partie des chrétiens, Charles de Foucauld n'en demeure pas moins une figure ambivalente de la colonisation française. Né à Strasbourg le 15 septembre 1858, il est issu d'une lignée «d'ancienne chevalerie qui donna des saints à l'Eglise et de bien bons serviteurs à la France», raconte René Bazin, premier biographe du personnage («Charles de Foucauld, Explorateur du Maroc Ermite au Sahara», Paris, Plon, 1921). C'est d'ailleurs le métier de militaire qu'il exercera lui-même pendant sa jeunesse. Des années durant lesquelles, après une éducation au Lycée de Nancy, il perd sa foi, d'après l'historien, ce qui alimenta le mythe du saint revenu à la religion lorsqu'il servira l'église. Ce parcours le mènera à la découverte de l'Algérie en 1880, où il est affecté en tant que lieutenant hussard au sein du quatrième régiment des chasseurs d'Afrique à Sétif. Un explorateur, serviteur de la colonisation En 1882, Charles de Foucauld démissionne de l'armée et prépare un voyage au sud du Maroc, où il dit vouloir «étudier les Arabes» qui «avaient eu sur lui une forte impression», comme le rappelle René Bazin. Le futur explorateur voit le culte musulman d'un bon œil au départ ; il écrira dans son livre «Reconnaissance au Maroc» (Paris, Challamel et Compagnie Editeurs, 1883-1884) que l'islam lui «plaisait beaucoup, par sa simplicité de dogme, simplicité de hiérarchie, simplicité de morale». Une opinion qui va changer selon l'historienne Marie-Claude Berger, pour qui le regard de Charles de Foucauld va se tourner vers les berbères, considérés plus «apte» à être christianisé. Mué par son désir de découverte, il décide alors de s'enfermer dans une bibliothèque, d'apprendre les langues arabe et amazighe et d'accumuler des connaissances sur le Maroc. Sur son chemin, il rencontre le conservateur de bibliothèque Oscar Mac Carthy en Algérie, qui lui présentera son accompagnateur au Maroc, le rabbin Mardochée. Un personnage dont Foucauld niera quasiment toute existence dans ses écrits, mis à part pour le décrire comme un «poltron», «paresseux» et «affreusement douillet», écrit l'historienne. Rabbi Mardochée, guide de Charles de Foucauld / DR Mais sa volonté d'exploration s'est heurtée à l'hostilité des Marocains, c'est pourquoi il se déguise pour mieux infiltrer les tribus marocaines. Il choisit alors de s'habiller en commerçant juif pour approcher les Marocains hors des «routes des ambassades» de Fès à Marrakech, contrôlées par le Makhzen. Sa pratique du déguisement, répandue chez les colons français, se heurte parfois au manque de maîtrise de l'hébreu. Il se présente pourtant comme rabbin originaire de russie, Joseph Aleman, et profite de ses quartiers dans les mellahs pour rédiger ses notes. Il bénéficie de la solidarité et des biens des grandes familles juives marocaines, parcourant le pays en compagnie du rabbin Mardochée. Ainsi les familles Ben Simoun à Fès et Benchimol à Tanger l'ont aidé à se loger et à arpenter un royaume considéré comme dangereux à l'époque. Il raconte ses péripéties le jour du shabbat en se plaignant que «de tous les ennuis auxquels m'a soumis ma condition de Juif, je n'en connais aucun qui approche celui là : perdre 52 jours par an ! On essaie de barricader sa porte, on bouche les fentes et on se met au travail mais c'est difficile d'être seul ce jour-là… Or a-t-on jamais vu au Maroc un Juif écrire durant le shabbat ?». Face à la dangerosité du bled siba insoumis au Sultan, Charles de Foucauld bénéficie du soutien des chefs de zaouias : le consul de Tanger lui remet une lettre du chérif d'Ouezzane. Aussi il a la protection du Moqaddem de la grande zaouia de Moulay Idriss de Fès. Enfin, l'assistance qu'il reçoit dans le Tadla l'aide énormément. Il écrira d'ailleurs : «Ici ni Sultan ni Makhzen, rien qu'Allah et Sidi Ben Daoud». Il utilise également les pratiques tribales de l'époque qu'étaient la debiba et les zettats. La debiba consistait en l'achat d'une protection qui se passait de père en fils, quand à la ztata elle protégeait de gardes armés pour éviter les dangers des routes marocaines. Son premier voyage au Maroc lui a permis d'amasser un savoir considérable. Il ne fait pas partie de la mission coloniale officielle mais il connaissait l'intérêt de la France pour le Maroc. Au fil de ses premières expéditions, l'explorateur réunit tout un savoir topographique et géographique sur les montagnes, les oueds, et réalise des croquis sur tous les éléments naturels susceptibles d'intéresser les Français. Un travail réuni dans son livre «Reconnaissance au Maroc», qui servira au Général Giraud pour la campagne de pacification française en 1923, selon l'historienne Marie-Claude Berger. Charles de Foucauld en habit de prêtre / DR Un ermite missionnaire Bien plus tard, dans des lettres adressées à René Bazin parues dans le bulletin du bureau catholique de presse, son élan missionnaire est flagrant. Charles de Foucauld écrira en 1907 «qu'après la victoire, nos colonies prendront un nouvel essor» et préconisera «d'aller coloniser dans les territoires africains de la mère patrie, non pour s'y enrichir, mais pour y faire aimer la France, y rendre les âmes françaises et surtout leur procurer le salut éternel, étant avant tout des Priscille et Aquila». Pour lui, «le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens». Aussi il se méfit de la non conversion des élites musulmanes susceptibles de devenir «une élite intellectuelle [qui] se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l'esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses». Déjà il redoute la venue des peuples colonisés sur les terres françaises et «désire ardemment que la France reste aux Français, et que notre race reste pure», écrit-il toujours dans ses lettres à René Bazin. Malgré cette part sombre du personnage, il reste habité par la spiritualité et la rencontre de certains peuples. De 1905 à 1916, l'explorateur devenu prêtre, décide de mener une vie d'ermitage. Il s'installe alors au Sahara pour vivre aux côtés de la population touareg. Mais selon l'historien Dominique Casajus, l'homme à qui est attribué tant de saintes intentions fait des touaregs de «simples figurants, marionnettes obséquieuses ou malveillantes qu'on agite et fait grimacer lorsque l'intensité dramatique l'exige». De leur côté, si les touaregs apprivoisent le missionnaire, ils demeurent méfiants. Arrivé sous escorte militaire, Charles de Foucauld restera en contact étroit avec les militaires francais. Sans avoir réalisé son idéal de convertir les populations touaregs, il sera trahi par l'un d'entre eux et assassiné le 1er décembre 1916, à Tamanrasset, alors qu'il avait 58 ans. Tombe de Charles de Foucauld à El Menia / Ph. Taguelmoust - Wikipedia