La réalité amère du secteur de la santé au Maroc, je l'ai vue beaucoup plus tard et c'est ce qui, avec le manque de formations, a motivé mon départ pour la France pour apprendre la bonne médecine et travailler dans un milieu sain. Il y a deux ans, lors de l'ouverture de mon cabinet gratuit dans le quartier de Oulfa, à Casablanca, pour les réfugiés et les personnes démunies, j'ai donné une longue interview à un site de la presse électronique marocaine. Cette interview était axée sur mon parcours, mes missions et mes actions humanitaires au Maroc et dans le monde. À la fin, on m'a demandé des conseils pour les étudiants en médecine. J'ai dit que la médecine n'est pas un métier comme les autres et qu'il doit être choisi et exercé comme une vocation et un art. Certes, elle peut procurer une vie confortable et surtout respectueuse, mais elle ne peut être source d'enrichissement. J'ai ajouté que ce qui m'avait le plus touché dans ma vie, c'est l'épreuve de mon premier stage aux urgences du CHU d'Averroès, où j'ai vu l'injustice s'exercer sur les patients et la corruption de certains agents d'accueil et d'infirmiers. Qu'est-ce que je n'avais pas dit ! De toute la séquence, un certain nombre d'infirmiers n'ont retenu que ceci. Certains niaient absolument la corruption, les autres étaient scandalisés ; non pas parce que leurs collègues acceptaient la corruption et malmenaient les malades, mais parce que je n'avais pas cité les médecins qui, selon leurs messages et commentaires, beaucoup plus corrompus et néfastes que les infirmiers. D'autres noient le poisson en disant qu'il faut parler de tout le système ou se taire. Comme s'il y avait une concurrence de celui qui est le plus corrompu. Et ce qui importait pour la majorité, c'était de se taire et de ne rien dire. On a considéré cette déclaration sortie de son contexte comme une blessure et une diffamation. J'ai eu beau précisé que je ne parlais que de mes souvenirs des années 80 et qu'à ce moment-là, il avait été difficile au jeune étudiant en médecine de 21 ans que j'étais d'imaginer un seul instant que les médecins pouvaient prendre la corruption pour opérer les patients dans les hôpitaux publics ou les dévier via des intermédiaires vers les cliniques. Cette réalité amère, je l'ai vue beaucoup plus tard et c'est ce qui avait, avec le manque de formations, motivé mon départ pour la France pour apprendre la bonne médecine et travailler dans un milieu sain. Force est de constater que la majorité de ceux qui m'ont écrit ne veulent rien comprendre Plus tard, je suis revenu pour œuvrer dans mon pays de naissance, soigner les démunis et enseigner ce que j'avais appris aux gynécologues et sages-femmes. Je leur ai expliqué également qu'il serait incongru de généraliser, puisque ce sont des responsables de santé publiques (délégués de santé et directeurs hospitaliers), les médecins, infirmiers et sages-femmes qui m'aident à consulter puis opérer dans les hôpitaux. Et ils savent que cela fait deux ans que je suis en train de former les sages-femmes qui travaillent dans les hôpitaux publics et maternités rurales, gratuitement à l'obstétrique d'urgence, et ce partout au Maroc. C'est que j'ai une haute opinion du personnel paramédical et je sais qu'il est le pilier de la santé et qu'on doit investir dans son développement et son bien-être. Force est de constater que la majorité de ceux qui m'ont écrit ne veulent rien comprendre. Soit en niant la corruption, soit en disant que ce sont les médecins qui s'absentent et dévient les malades (ce qui n'est pas faux, pour certains). Soi-disant que c'est tout le système qui est comme cela, en oubliant d'ajouter qu'ils font partie de ce système et que c'est comme ça. Bref, pas d'entrevue de remise en cause qui pourrait nous laisser un brin d'optimisme. Ceci m'a bien évidement attristé, parce que je déteste être mal compris. Ou alors c'est moi qui n'ai pas compris qu'il faudrait pactiser avec une société où la corruption s'est normalisée et que surtout il ne faut pas en parler. En écrivant ces lignes, forme de thérapie par l'écriture, j'ai reçu un coup de fil d'une infirmière, me demandant si je pouvais opérer une patiente indigente. J'ai su qu'elle était affectée avec six de ses collègues dans un hôpital sans chirurgiens et qu'ils sont au chômage technique depuis un an et demi, alors elle se démène pour chercher des chirurgiens et anesthésistes bénévoles et organiser des campagnes chirurgicales pour opérer les démunis détenteurs de la carte RAMED. Ceci m'a mis du baume au cœur et me fait rappeler que l'essentiel dans ce climat malsain et de trouver les bonnes personnes pour arriver à aider les laissés-pour-compte. Le reste, je le laisse à leurs consciences ou à ce qu'il en reste…