Mehdi Echafiî, pédiatre et chirurgien au centre hospitalier provincial de Tiznit, alerte souvent sur les dysfonctionnements de son secteur professionnel. Au même moment, il fait l'objet de harcèlements de la part de son administration, qui lui reproche, entre autres, de ne pas faire opérer des patients. Dans une récente vidéo, datée du 23 février, Dr Echafiî raconte avoir reçu une commission d'enquête à l'improviste, alors que de telles visites doivent être notifiées au moins 24h plus tôt. Ainsi, il indique avoir été apostrophé au cœur du bloc où une opération était en cours. Les fonctionnaires ayant demandé à le voir lui ont adressé une demande d'explication écrite, à l'intérieur même de la salle d'opération. Auprès de Yabiladi, le médecin revient sur un épisode qui n'est que le dernier d'une longue série. Quel est le contexte où vous avez commencé à recevoir des correspondances administratives de la part de la délégation provinciale ? J'ai commencé à déplorer les conditions de travail à l'hôpital provincial, depuis ma mutation de Guelmim à Tiznit, en 2017. En effet, je me suis retrouvé dans un espace opératoire que partagent des patients adultes et enfants, au moment où les médecins tentent de mettre en place des blocs de pédiatrie dans d'autres hôpitaux. Par ailleurs, le matériel manque énormément. Une fois que j'ai commencé à mettre le doigt sur ces dysfonctionnements, l'administration a commencé à me pénaliser indirectement. Par ailleurs, j'ai demandé à avoir un bureau digne d'un médecin et du matériel chirurgical pour pouvoir opérer les enfants. On m'a dit que je demandais trop, alors que je pouvais très bien passer mon temps à référer les patients vers des cliniques privées, ou d'autres centres hospitaliers. Que ce soit le cas ou que je travaille ici cinq jours par semaine, comme je fais maintenant, mon salaire versé par l'Etat est le même. Je pouvais m'en contenter. Mes revendications ont suivi l'échelle hiérarchique, avec des dépôts d'écrits auprès de l'administration de l'hôpital. Lorsque mes correspondances ont commencé à gêner, le directeur de l'hôpital m'a adressé lui aussi des écrits, contestant ma manière de travailler en rapportant les faits sur le décès d'une fillette que j'avais opérée. Justement, que vous reproche la délégation provinciale du ministère de la Santé ? Un «refus de soigner des malades», ou encore le fait d'envoyer des parents acheter du matériel pour faire opérer leurs enfants, alors que j'ai été à court de matériel justement et que j'ai demandé à l'administration de le fournir à plusieurs reprises, mais elle ne l'a pas fait. Je ne force pas les parents, mais ils me disent eux-mêmes : «Si le matériel manque, nous sommes prêts à l'acheter», au lieu qu'ils fassent 300 bornes pour faire opérer d'urgence leurs enfants. Actuellement, le matériel que j'utilise est acheté par mes propres fonds, parce que la direction, la délégation provinciale et régionale n'ont pas donné suite à mes requêtes. D'ailleurs, cet hôpital est connu pour avoir eu des problèmes avec d'anciens médecins qui y ont exercé. Il y en a d'autres qui choisissent d'opérer les malades dans des cliniques privées où ils officient parallèlement. D'autres encore interviennent même dans le choix de leur mutation. Avant de commencer à recevoir des commissions et des courriers de la délégation, comment a-t-on réagi à vos lettres ? J'écris souvent à l'administration et lance des appels sur internet. Je n'ai jamais eu de réponses. Mais le lendemain de mon message au roi, le délégué régional de Souss-Massa est tout de suite venu à Tiznit. Au cours de nombreuses visites des commissions d'enquêtes, je suis interpellé en étant pourtant en pleine opération chirurgicale. Les fonctionnaires de la délégation m'ont demandé, par exemple, si j'étais à la hauteur d'adresser un message au roi, si j'étais en ordre de justifier les usages de corruption que j'évoque au sein de l'hôpital. A ce propos, ma dernière lettre écrite au roi a été endommagée, alors que l'ai expédiée via Amana express. A ce moment-là, j'ai réalisé que j'étais véritablement face à une mafia, non seulement au niveau de Tiznit, mais dans toute la région. Parallèlement, je reçois des demandes d'explication sur les mêmes sujets depuis octobre 2017, alors que la délégation m'a dit, dans le temps, que ce dossier était classé. On me dit que je devrais être dans le système universitaire. Le délégué de la Santé a même failli signer ma mutation pour m'envoyer à Agadir, en me disant que gagnerais plus d'argent là-bas, que ma carrière évoluerait rapidement, mais cela ne m'intéresse pas. J'ai des offres en Suisse, en Belgique et en Espagne, mais c'est à Tiznit que j'ai choisis de travailler. Y a-t-il eu une intervention du Conseil national de l'Ordre des médecins à ce sujet ? Dans un récent courriel, le CNOM nous rappelle le versement de nos cotisations annuelles, sans évoquer à aucun moment la situation de l'hôpital provincial de Tiznit. On voit bien que les responsables n'interviennent pas, alors que ma cause n'est pas personnelle. Elle est devenue d'intérêt général, une fois que j'ai commencé à réclamer les droits de mes patients. Les parents me rapportent des récits de corruption. Ils me disent qu'ils sont malmenés par d'autres confrères. Par conséquent, je me suis dit que la solution était de faire opérer le maximum de malades possible, afin de leur épargner le passage par une clinique privée, où ils sont obligés de verser une somme au noir. D'autres parents viennent vers moi pour des reprises chirurgicales. Je donne mon numéro de téléphone à mes patients depuis que je travaillais au CHU de Casablanca, parce que je suis soucieux de leur état de santé. Actuellement, je le fais à Tiznit pour épargner au malades d'être à la merci de ces réseaux de corrupteurs, constitués de «semsara» à l'intérieur et à l'entrée de l'hôpital. Ce sont des intermédiaires entres les malades et les médecins. Ils travaillent sous couvert d'infirmier, d'ambulancier, d'agent de sécurité, de femme de ménage… Ils sont payés au noir pour ce qu'ils font. Lorsque se tisse un lien de confiance entre un patient et moi, celui-ci me raconte parfois qu'on lui dit à l'entrée de l'hôpital que j'étais absent ou en opération. Ensuite, on le guide vers un autre médecin, qui le voit puis lui donne rendez-vous dans une clinique privée ! Qu'en pensent vos collègues à l'hôpital ? Vous savez, la mentalité marocaine a un double-visage. En face, on vous dit que vous êtes gentil, serviable, que vous ne méritez pas toutes ces commissions d'enquêtes. Derrière vous, on vous descend, c'est psychologique. Les médecins viennent vers moi en tenant ce discours de compassion, mais ils ne réagissent pas, ni au sein des syndicats, ni au sein de l'hôpital. Chacun est en train d'œuvrer pour ses propres intérêts. J'ai même adressé des écrits au ministère de la Santé, mais ils n'ont pas eu de suite après le limogeage de Houcine El Ouardi. L'actuel ministre, Anas Doukkali, s'est rendu à Tiznit pour inaugurer le nouveau service des urgences. Il est venu en connaissance de cause et a été alerté de ma situation. Il a inauguré l'espace, sans autre réaction, alors que par ailleurs, des associations de la société civile me proposent leur appui. Laisser des enfants démunis entre les mains de loups, je ne le permettrai donc jamais et je continuerai toujours à me battre pour ces jeunes patients. Un conseil disciplinaire est prévu le 9 mars et j'ai justement le soutien de nombreux parents dont j'ai soigné et opéré les enfants.