NOURA MOUNIB Le bébé a tué maman !». Le benjamin de la famille Samel pleure sa mère. Elle vient de le quitter, à jamais. Sanaâ Lemghari, 36 ans, est décédée suite à des complications survenues lors de son accouchement. C'est du moins la version donnée par le staff médical. La famille ne l'entend pas de cette oreille. Les proches endeuillés évoquent l'erreur médicale et ceux qui ont suivi ce drame pleurent le destin de trois jeunes orphelins. Loin de l'émoi suscité par la mort de Sanaâ, la police judiciaire de Casablanca poursuit son enquête ordonnée par le parquet afin de déterminer les responsabilités de la clinique Val d'Anfa, où s'est déroulé l'accouchement, et du personnel médical concerné. De son côté, le staff médical rejette en bloc les détails de la version reprise dans la presse. Surtout que depuis 2004, année de naissance du dernier de la famille, répète-t-on, Sanaâ est suivie par le même gynécologue. Pour sa nouvelle grossesse, tout se déroule dans les normes. Lorsqu'elle ressent ses premières contractions, la future maman appelle son médecin qui la rejoint, l'examine et constate effectivement ses contractions. Selon l'équipe médicale, à ce moment là le bébé se porte bien et le col commence à se dilater. Le médecin garde alors la patiente sous la surveillance d'une sage-femme en attendant la dilatation complète du col. Lorsque la patiente commence à souffrir, la sage-femme contacte sur le champ son médecin. Celui-ci était appelé pour une autre urgence. Entretemps, Sanae, en hypotension, est soumise à un massage cardiaque suite à un arrêt respiratoire doublé d'un arrêt cardiaque. Selon l'équipe médicale, le gynécologue ne pouvait pas réagir avant le feu vert du réanimateur. Si le médecin intervient alors que l'état de Sanaâ est instable, la patiente encourait le pire. Une fois le massage terminé, le gynécologue effectue une césarienne et extrait le bébé qui n'a pas supporté le choc de l'hypotension et des arrêts respiratoires et cardiaques, même si la patiente était en réanimation. Il est mort-né, selon la version de l'équipe médicale. Tandis que le pédiatre se charge du bébé, l'utérus continue à saigner et refuse de se rétracter malgré la réanimation et la transfusion. D'où la décision prise de procéder à l'ablation de l'utérus pour arrêter l'hémorragie. Mise en réanimation dans un état stable, Sanaâ fait une embolie amniotique (une complication rare mais grave de l'accouchement, causée par le passage du liquide amniotique dans la circulation sanguine suite à la déchirure du placenta et des veines utérines. Imprévisible, cette complication met en jeu le pronostic vital maternel et fœtal). Elle décède un jeudi matin après deux jours en réanimation. Selon certaines estimations, l'incidence de l'embolie amniotique est entre 1 sur 20.000 à 1 sur 80.000. En pleine panique, l'équipe médicale crie à qui veut l'entendre qu'elle a usé de tous les moyens nécessaires pour venir à bout du problème survenu. Seule une autopsie pourrait dire ce qu'il en est exactement. Consternation Dans l'esprit de ceux qui suivent de près cette affaire, l'erreur médicale est incontestable. Pour eux, «le médecin est tenu de mettre en œuvre tous les moyens médicaux nécessaires pour aboutir à un résultat et améliorer la qualité de vie du malade. Il doit être à jour, étayer ses connaissances scientifiques et suivre le développement de la médecine. D'où la nécessité de la formation continue», explique Mohamed Bennani Naciri, médecin et président du Syndicat national des médecins du secteur libéral. Le personnel qui a traité ce cas est-il à jour des connaissances médicales? Personne ne peut ni confirmer ni infirmer, il faut attendre les conclusions des experts. Contactés, les médecins se défendent comme ils peuvent. Un chirurgien de Rabat va invoquer la complexité du corps humain et la diversité des réactions des malades aux mêmes traitements et soins. Selon lui, il n'y a pas de protocole type et les résultats restent imprévisibles. Ce qui veut dire pour certains que la médecine n'est pas une science exacte. Ce que le public ne comprendra jamais, tellement on a affirmé le contraire. Que faire ? Dans le volet juridique, la problématique de l'erreur médicale fait toujours l'objet de larges débats. Elle se situe dans le cadre de la responsabilité contractuelle qui consiste en l'engagement du médecin pour une obligation de moyens afin de soigner le patient souffrant. Comme sa définition l'indique, l'erreur médicale est établie lorsque l'existence d'une faute qui cause préjudice est démontrée. Le patient négligé ou maltraité doit s'adresser au Conseil de l'ordre des médecins qui constitue une commission multidisciplinaire et mène une enquête en étudiant le dossier pour déterminer si c'est une complication courante, une négligence de la part du médecin traitant ou une erreur de sa part… «Comment voulez-vous que des médecins «assermentés» chargés de l'expertise par et pour le tribunal de première instance prennent position contre leurs confrères ? Vous rêvez !», se désole Saida, victime d'une compresse oubliée dans le ventre. Elle n'est pas la seule victime. Comment par ailleurs tracer la ligne de démarcation entre l'erreur et l'acte sciemment décidé? On se souvient de la fameuse affaire de l'ingénieur opéré dans une clinique d'El Jadida auquel ses médecins ont dit qu'on lui avait enlevé un organe. Il s'est aperçu de la supercherie lorsqu'il a commencé à ressentir les mêmes douleurs. Le médecin qui l'a ausculté lui a révélé que rien n'a été enlevé. A la clinique d'El Jadida, on l'avait ouvert et refermé sans rien faire. Le prix de l'opération faisait saliver la clinique. Que faire en cas d'erreur ? Souvent les patients ne savent quoi faire. «La partie lésée doit prouver l'erreur du médecin avant que le tribunal ne fasse son expertise», affirme Youssef El Menaouar, avocat. «La responsabilité du médecin est civile et est régie par le Dahir des Obligations et Contrats (DOC) sur la base des articles 77 et 78», ajoute-t-il. «Le patient peut poursuivre le médecin ou la clinique. Il y a un lien de subordination entre les deux», explique l'avocat. Les erreurs médicales ne sont pas rares. Elles provoquent paralysies, comas ou encore décès... «Le Conseil de l'ordre existe pour protéger la santé du citoyen. En cas d'erreur médicale, l'institution doit établir des sanctions disciplinaires, voire l'interdiction d'exercer», explique Bennani Naciri. Pas facile de convaincre les citoyens lorsqu'ils ont déjà eu connaissance de plusieurs cas pour le moins consternants.
Médecins bourreaux ou victimes ? Salaheddine Lemaizi Les erreurs médicales font visiblement peur à une bonne partie du corps médical marocain. L'Association nationale des cliniques privées (ANCP) n'est pas prête à associer son image à ce dossier. En plus, protestent ses responsables, l'ONG n'est qu'un syndicat. «C'est l'Ordre qui gère ce type de problèmes», déclare Fouad Iraqi, président de l'ANCP. Du côté des conseils régionaux de l'Ordre et du Conseil national de l'Ordre des médecins, on frôle l'omerta. Tahar Alaoui, président de cet organisme, préfère «ne pas accorder à ce sujet plus d'importance qu'il mérite». Il lui suffit d'avancer que «90% des personnes qui se soignent le sont dans des conditions normales». N'empêche que le sort des 10% restants interpelle. Des erreurs et des complications «Un médecin qui n'a pas de décès et de complications sur les bras, est un médecin qui ne travaille pas. Dans ma pratique hospitalière, des patients décèdent et leurs familles viennent me consoler car ils savent que j'ai fait mon boulot», affirme Dr Jalal Hassoun, professeur à la faculté de médecine de Casablanca. Pour ce professeur universitaire, «il y a un grand amalgame entre erreur et complication médicale. Toute pathologie comporte des complications», explique-t-il. Il donne comme exemple la chirurgie de l'os qui comporte un grand risque d'infection, surtout si le patient ne suit pas à la lettre les recommandations du médecin. «D'un autre côté, si un patient a une infection de 80% après l'opération, il s'agit dans ce cas d'erreur médicale», reconnaît le praticien. À l'origine des erreurs médicales, le médecin, mais aussi l'infirmier, la direction d'un hôpital ou d'une clinique. Ainsi la responsabilité diffère selon le type d'erreurs. Si le mauvais diagnostic, la fausse prescription médicale ou l'administration de médicaments inappropriés sont des erreurs qui relèvent de la responsabilité du médecin, la responsabilité est partagée entre le personnel paramédical (l'aide soignant et l'infirmier), la direction de l'établissement de santé et le médecin. C'est le cas de la négligence, qui se transforme en non assistance à personne en danger. «La négligence c'est aussi le manque ou l'absence de stérilisation dans le milieu de réanimation ou carrément dans le bloc opératoire, ce qui cause des infections nosocomiales (ndlr, qui se rapportent à l'hôpital), qui n'étaient pas présentes à l'admission du patient», révèle un infirmier dans une clinique privée à Casablanca. «Des erreurs surviennent également à cause d'une pénurie de personnel qualifié ou d'un manque de matériel», admet-t-il. C'est le cas de la chirurgie esthétique qui se pratique dans des cabinets. La demande croissante d'interventions chirurgicales est handicapée par le manque de personnel qualifié. «Les 17.000 médecins marocains sont compétents. Le mal réside dans la double fonction», témoigne l'infirmier casablancais. Selon notre source, plusieurs médecins travaillent plus de 15 heures par jour, ce qui influe sur leur rendement et leur vigilance. Conséquence : le risque de fautes se multiplie. «Des infirmiers ou même des médecins réanimateurs assurent deux postes, l'un de jour et l'autre le soir. Au final, le patient paye ces comportements au prix de sa santé», dévoile cet infirmier. L'autre mal évoqué est celui du manque d'anesthésistes. Danger anesthésie ! «Les anesthésistes sont très peu nombreux, alors que les cliniques qui pratiquent la chirurgie se multiplient à un rythme effrayant», témoigne notre infirmier. Ce manque d'anesthésistes pousse à des pratiques peu orthodoxes. «Alors que la responsabilité légale et éthique oblige un médecin à avoir un anesthésiste au moment d'une intervention chirurgicale, des chirurgiens se contentent d'infirmiers au lieu de médecins anesthésistes. Ça c'est une grave erreur», martèle Dr Hassoun. Pour éviter tout risque, le bilan pré-opératoire garantit un bon déroulement de l'intervention. «Or, au Maroc, ces bilans coûtent cher et on se contente dans le public du minimum obligatoire», avoue un chirurgien qui a requis l'anonymat. «Même si le médecin prend les précautions nécessaires avec tous les examens possibles et imaginables, une opération chirurgicale peut donner lieu à des complications incontrôlables», plaide le chirurgien. Pourtant, «certains, malgré la formation et le serment, font preuve de négligence. C'est exceptionnel car ils jouent avec le feu». En France, sur les 6,5 millions d'interventions annuelles, 95.000 donnent lieu à des "évènements indésirables graves". Enlever le rein droit au lieu du gauche, soigner le mauvais organe ou encore se tromper sur l'identité du patient, voilà ce que veut désormais éviter la Haute Autorité de santé en proposant cette check-list dans les hôpitaux français. Ce document évoque dix points critiques relatifs à l'intervention chirurgicale, avant l'anesthésie et l'opération, mais également après. Mise au point par l'Organisation mondiale de la santé la check-list a été adoptée le 1er janvier en France par la Haute Autorité de santé (HAS). Quel Ordre et quelle éthique ? Selon Dr Hassoun toujours, un médecin peut faire des économies sur plein de choses, sauf sur les règles de l'éthique et de la sécurité. «Tout est fait pour qu'un médecin ait la formation théorique et pratique de haut niveau. Mais avant tout, on sensibilise les étudiants à l'éthique médicale et à la rigueur dans le travail. On insiste sur l'asepsie et sur les risques de l'anesthésie», précise-t-il. Il en veut pour preuve le niveau de la formation dispensée par la faculté de médecine de Casablanca qui est accréditée par l'OMS. Au milieu de ces affaires où il est question d'erreurs médicales, l'Ordre se voit pointé du doigt pour son immobilisme. «Dans sa configuration actuelle, l'Ordre est très défaillant. Devant ce qui s'écrit dans les journaux, l'Ordre devrait publier un communiqué de presse, expliquer et communiquer. Mais cette instance ne se prononce jamais sur ce qui s'écrit», constate avec regret le médecin. L'autre chirurgien que nous avons contacté va plus loin : «Nous n'avons pas d'Ordre. Depuis sa création en 1986, cette instance ne satisfait pas nos revendications». L'Ordre semble loin de faire l'unanimité, il est accusé de favoritisme envers ses membres.
Des médecins ont peur ! Les affaires d'erreurs médicales cachent parfois des appétits pécuniaires des patients. Certains parmi ces derniers attaquent leur médecin ou la clinique où ils se sont fait soigner rien que pour se faire de l'argent, à l'américaine. Des fois, le médecin cède de peur de voir son image salie sur la place publique. Surtout que la presse fait ses choux gras des ces affaires avant même que la justice n'ait encore statué sur l'affaire. Quand la justice est appelée à trancher sur ces dossiers, très souvent les tribunaux reconnaissent les complications et non pas les erreurs médicales.