Si elle ne leur ferme pas complètement les portes du marché du travail, la charge domestique qui pèse sur les femmes, conjugué au manque de structures pour la garde des enfants, les décourage à aller au bout de leurs ambitions professionnelles. Les femmes se frayent encore difficilement un chemin sur le marché du travail marocain. Chiffres à l'appui, le rapport annuel 2017 de la Banque centrale, relayé par LeBoursier.ma, souligne que le taux d'activité féminine s'est établi à 22,4% l'année dernière dans la région MENA, contre une moyenne de 50,8% en Europe et en Asie centrale, 51,5% en Amérique latine et dans les Caraïbes et 59,2% en Asie de l'Est et Pacifique. D'après une étude* de l'Organisation internationale du travail (OIT), en collaboration avec l'entreprise américaine The Gallup Organization, au Maroc et a priori, «le refus familial ne semble pas constituer un obstacle au travail des femmes, 69% des hommes estimant qu'il est acceptable qu'elles aient un emploi en dehors du domicile». Ceci dit, «quand ils sont interrogés sur leur préférence, 45% souhaitent qu'elles restent à la maison, 33% qu'elles concilient entre travail et foyer et 22% qu'elles aient un emploi rémunéré». Des résultats qui font écho à ceux d'une enquête réalisée par la Banque mondiale entre décembre 2009 et mars 2010. «Ils indiquent que la faiblesse structurelle de l'activité féminine est attribuable pour la tranche d'âge 15-29 ans au refus conjugal ou parental dans 53,8% des cas, à la difficulté de concilier entre travail et foyer pour 22,9% et aux normes sociales pour 11,1%», relève la Banque centrale. Calcul judicieux Pourtant, la sociologue Soumaya Naamane Guessous, chevronnée sur le leadership féminin au Maroc, estime que «l'obstacle idéologique n'est pas ce qui importe le plus», quoi que l'inégalité des rôles dans le couple, entretenue par des facteurs culturels, incite insidieusement les femmes à se retrancher au domicile conjugal. «Les Marocaines se sont beaucoup modernisées, mais l'environnement dans lequel elles vivent n'est pas encore adapté à leur nouveau profil. Aujourd'hui, la nucléarisation des familles (structure familiale uniquement composée du couple et des enfants, a contrario des familles dites élargies, où plusieurs générations se côtoient sous le même toit, ndlr) est de plus en plus fréquente.» Soumaya Naamane Guessous Sauf que dans ces cas-là, «il n'y a personne pour garder les enfants, et les salaires, qui peuvent avoisiner seulement 5 000 dirhams pour un bac +5, ne permettent pas de payer une crèche, dont les prix varient entre 800 et 4 000 dirhams par mois», précise la chercheuse. «En fait, les femmes font un calcul judicieux : entre le transport, les repas qu'elles doivent prendre sur place assez fréquemment et le coût de la crèche pour les enfants, entre autres, elles se rendent compte qu'elles peinent pour pas grand-chose à la fin du mois», ajoute-t-elle. Et mettent ainsi au placard leurs ambitions professionnelles. Des diplômées absentes du marché du travail De plus, la défaillance du système scolaire dans son rôle éducatif alourdit les charges domestiques, autant financièrement – 50% à 75% du budget de certains couples est réservé à la scolarisation – que moralement. Et là encore, ce sont les mères qui trinquent. «C'est une sorte de deuxième journée qui commence une fois qu'elles quittent leur travail : faire les courses, surveiller les devoirs, préparer les repas, les petits-déjeuners pour le lendemain… Le stress que cela génère a de grosses conséquences sur leur vie familiale, notamment au sein du couple», observe Soumaya Naamane Guessous. Et les hommes dans tout ça ? «Ils ont grandi avec l'idée que les femmes sont là pour les servir. Pour beaucoup d'hommes, un mari qui aide son épouse perd de son pouvoir et de sa virilité», tranche la sociologue. Autre point auquel on n'aurait pas pensé : l'hostilité de l'espace public envers les femmes. «Celles qui ne sont pas motorisées sont contraintes de prendre les transports publics, en l'occurrence les bus. Or, les femmes y sont souvent l'objet de harcèlement de la part des hommes», nous confie Meryem Ezzakhrajy, ex-secrétaire générale de l'Association des femmes entrepreneures du Maroc (Afem). «Ça en incite plus d'une à rester chez elles, quand bien même elles tiennent à leurs projets professionnels. Le fait de posséder une voiture, même ça si peut sembler un détail, est en réalité capital.» Meryem Ezzakhrajy D'après les chiffres officiels, les deux tiers des femmes parmi la population active du royaume n'ont pas de diplômes. De plus, 18% sont diplômées du collège ou du lycée, et 17% de l'université. Enfin, un foyer sur cinq (soit cinq millions d'habitants) est soutenu par un revenu féminin. «Paradoxalement, de plus en plus de Marocaines font de longues études, parfois jusqu'au doctorat. Pourtant, cela ne se reflète pas sur le marché du travail car les normes sociales et les obstacles, comme l'accès à un crédit par exemple, plus difficile pour les femmes, les découragent à s'insérer sur le marché du travail», poursuit l'ex-secrétaire générale de l'Afem. Cependant, forte de son expérience au sein de cette association, cette entrepreneure se dit convaincue de la volonté des pouvoirs publics et des institutions à mettre en place un écosystème entrepreneurial favorable à l'insertion des femmes. Et l'enjeu est de taille : pour l'heure, seulement 12% des entreprises marocaines sont dirigées par elles. (*) «Vers un meilleur avenir pour les femmes au travail : ce qu'en pensent les femmes et les hommes» OIT et Gallup, 2017.