Des chercheurs mettent en garde contre l'effacement progressif de la langue espagnole et de l'hispanisme au Maroc. Un rétropédalage qui, estiment-ils, ébranle la présence historique de la culture espagnole et le soft power de l'Espagne. Hispanistes et chercheurs s'inquiètent : l'espagnol est de plus en plus délaissé au Maroc. Dans un rapport auquel a eu accès le site d'information El Español, des spécialistes de la langue espagnole et professeurs universitaires alertent sur le déclin grandissant de la langue de Miguel de Cervantès au Maroc en ce début de XXIème siècle, éclipsée par l'anglais et le français. Un paradoxe quand on sait que le royaume compte, avec le Brésil, le plus d'Instituts Cervantès au monde. Chiffres à l'appui, les auteurs témoignent d'un véritable désintérêt des universités marocaines. Ainsi, l'université Abdelmalek Essaadi, dans la région Tanger-Tétouan, ne compte en moyenne que 300 étudiants inscrits dans un cursus hispanophone chaque année. Une baisse des effectifs qui touche également l'université Sidi Mohamed Ben Abdellah, à Fès, qui est passée de 1 229 étudiants hispaniques en 2008-2009 à 391 en 2016-2017. L'université Mohammed V de Rabat a quant à elle carrément suspendu l'option de littérature espagnole, faute d'étudiants. Même les Instituts Cervantès, où les inscriptions diminuent d'années en années, s'alignent face à l'anglais et au français. Un petit tour sur la page Facebook de l'Institut Cervantès de Rabat suffit à s'en convaincre : la plupart de leurs publications sont tout bonnement rédigées en français. Les auteurs estiment que les institutions dédiées à l'apprentissage du français et de l'anglais ont, «avec la connivence des autorités marocaines», remporté la bataille face à l'espagnol. Les autorités espagnoles à la traîne ? Les professeurs d'espagnol marocains ayant contribué à ce rapport vont jusqu'à évoquer «la propagande du gouvernement marocain» à travers ses treize académies, afin que les étudiants élisent l'anglais comme langue secondaire. Ils relèvent par ailleurs la suppression de postes pour les personnes licenciées en études hispaniques et l'existence, «sur le plan politique, d'un curieux désintérêt pour la présence de la langue espagnole, qui nécessite une action diplomatique de la part des autorités espagnoles», entre autres. Ils reprochent également à l'ambassade d'Espagne d'avoir délaissé ses programmes d'incitation à l'apprentissage de la langue. Un rétropédalage qui, estiment-ils, ébranle la présence historique de la culture espagnole au Maroc, menaçant le soft power du royaume ibérique. «Nous assistons à la plus grande régression de la langue et de la culture espagnoles au Maroc et à l'hispanisme en général, sans que les autorités espagnoles ne soient clairement conscientes de cette situation», souligne-t-on de même source. «La crise économique en Espagne a eu un effet repoussoir pour les aspirants hispanistes marocains», observent aussi les universitaires. «Après la crise économique, l'appui de l'Espagne aux activités culturelles et à la coopération culturelle avec le Maroc a beaucoup diminué. Ça a eu un impact direct sur la diffusion et l'intérêt pour la langue espagnole au niveau institutionnel», nous confirmait récemment Abdelaali Barouki, chercheur à l'Institut des études hispano-lusophones et vice-président de l'Association marocaine des études ibériques et ibéro-américaines. Les universitaires proposent une série de mesures, notamment la mise en place d'une commission de travail réunissant des hispanistes marocains, conjointement avec les responsables des ministères espagnols des Affaires étrangères et de la Culture. L'objectif serait de créer un observatoire permanent d'analyse et de suivi de l'hispanisme, et ainsi «concrétiser l'élaboration d'un programme d'actions qui contribuerait à la revitalisation de l'espagnol et de l'hispanisme au Maroc».