L'élite marocaine, majoritairement francophone, semble faire de l'ombre à l'espagnol, réduisant ainsi l'espace qu'il pourrait occuper dans le paysage linguistique du royaume. L'enseignement marocain boude-t-il la langue de Miguel de Cervantes ? Pour sûr, s'inquiètent les autorités espagnoles en poste à Rabat, observant depuis une dizaine d'années le déclin de l'espagnol dans les écoles marocaines, qui campe derrière le français et l'anglais, d'après El País. Javier Galván, directeur de l'Institut Cervantes à Rabat et coordinateur de toutes ces institutions culturelles espagnoles au Maroc, a pris le taureau par les cornes : depuis deux ans, il travaille à la création d'un Observatoire de l'espagnol afin de recueillir le plus grand nombre de statistiques sur cette langue. Le responsable annoncera officiellement, en fin de semaine, le lancement de son projet. «Nous allons d'abord commencer par le nécessaire : récolter des données», a-t-il confié au quotidien. «Une fois que nous aurons des statistiques, nous concevrons des stratégies pour promouvoir la langue espagnole.» Dans un premier temps, «l'objectif est que nous nous réunissions périodiquement, nous, les représentants de l'Institut Cervantes, du département (espagnol, ndlr) de l'Education et de l'Emploi à Rabat, du ministère marocain de l'Education, de l'Institut des études hispano-lusophones et de l'Institut royal des études stratégiques. Chacun de nous apportera ses chiffres», poursuit-il. Récession économique Derrière cette perte de vitesse de l'espagnol, notamment dans le nord du Maroc, se cachent les effets pervers de la crise économique de 2008, estime Javier Galván. Pour lui, cette récession mondiale – dont l'Espagne a particulièrement souffert – s'est traduite par une baisse des inscriptions dans les instituts Cervantes. «Après la crise économique, l'appui de l'Espagne aux activités culturelles et à la coopération culturelle avec le Maroc a beaucoup diminué. Ça a eu un impact direct sur la diffusion et l'intérêt pour la langue espagnole au niveau institutionnel», confirme à Yabiladi Abdelaali Barouki, chercheur à l'Institut des études hispano-lusophones et vice-président de l'Association marocaine des études ibériques et ibéro-américaines. L'élite marocaine, majoritairement francophone, semble également faire de l'ombre à l'espagnol, réduisant ainsi l'espace qu'il pourrait occuper dans le paysage linguistique du royaume. «Même si la Constitution appuie l'apprentissage des langues stratégiques pour le Maroc – en l'occurrence le français, l'anglais et l'espagnol –, le déclin de cette langue est dû au faible pouvoir de l'élite espagnole dans les décisions politiques. L'élite politique est avant tout francophone ; elle ne s'inscrit pas dans une perspective pour encourager l'espagnol dans le domaine de la recherche, de l'enseignement et de la coopération bilatérale», ajoute Abdelaali Barouki. Petit écran «Depuis à peu près quatre ans, l'Espagne n'est plus un point d'attraction pour les Marocains, notamment pour les études et le travail, mais elle possède une industrie culturelle très forte», reconnaît volontiers le chercheur. Cette empreinte mâtinée de soft power s'exprime notamment à travers le sport et les films espagnols, accessibles grâce à des décodeurs que la classe moyenne tangéroise s'arrache. Dans un article sobrement intitulé «La televisión, 'profesora' de español en Marruecos» («La télévision, 'professeure' d'espagnol au Maroc»), El Mundo compile plusieurs témoignages de Marocains qui ont se sont initiés à la langue de Cervantes grâce au petit écran. «Ce que je connais de l'espagnol, je l'ai appris sur Canal Sur (première chaîne du réseau de télévision public régional andalou, ndlr), qu'on regardait à la maison quand j'étais jeune. Je me souviens du programme Saque bola, qui était présenté par Emilio Aragón. Mon père était scotché devant les programmes d'information et de flamenco», raconte Sucri, un commerçant tangérois chez qui l'on se rue pour se procurer son décodeur. L'influence des Instituts Cervantes est pourtant loin d'être menacée : le Maroc en possède dans douze villes, soit le réseau le plus étendu après celui du Brésil. L'Espagne y déploie par ailleurs dix établissements scolaires, sur les 22 qu'elle compte dans le monde. Article modifié le 26/04/2018 à 10h31