Récemment publiée, deux ans après le versement des subventions, la liste des aides de l'Etat à la presse pour l'année 2016 ne montre pas de grands écarts. Mais si ces derniers sont rapportés aux subventions au numéro vendu, de grandes lignes se distinguent. Rendue publique sur le site du ministère de la Culture et de la communication, après une réclamation de Yabiladi sur chikaya.ma, la liste des subventions publiques à la presse en 2016 montre une répartition équilibrée des quelques 54 966 016 DH alloués cette année-là. Mais si l'on rapporte les montants touchés par les publications aux exemplaire vendu, l'écart se creuse considérablement, révélant des lignes de fractures instructives. Yabiladi a tenté ce calcul avec les éléments à notre disposition : liste des subventions (2016) et chiffres de l'Organisme de justification de la diffusion - OJD (2016). Nous nous sommes arrêtés à comptabiliser les subventions à la presse nationale, dont la valeur a atteint 51 817 166 DH pour 43 publications, entre mensuels, hebdomadaires et quotidiens arabophones et francophones. Ainsi, 22 800 000 DH ont appuyé 20 titres nationaux édités en français et 29 017 166 DH ont subventionné 23 en arabe, tandis que 3 148 850 DH ont bénéficié à la presse régionale et pluraliste. On voit en moyenne, un net avantage pour la presse francophone (3,25 DH par exemplaire) sur la presse arabophone (1,94 DH par exemplaire). Pourtant c'est cette dernière qui est la plus désavantagée en matière de revenus publicitaires. La presse papier sous perfusion Au niveau de la presse nationale, il ressort que les quotidiens partisans sont sous perfusion. Alors qu'ils sont les moins vendus, ils se taillent la part du lion parmi ceux percevant l'aide de l'Etat. Libération Maroc (USFP) touche ainsi 2,54 DH de subvention pour chaque exemplaire vendu, suivi par L'Opinion (Istiqlal) avec 1 DH. Dans la presse arabophone, Al Haraka (MP) se taille 5,97 DH par exemplaire vendu, suivi d'Al Alam (Istiqlal) avec 2,05 DH et d'Al Ittihad Al Ichtiraki (USFP), qui touche 1,11 DH. En dehors des publications partisanes, le quotidien arabophone Annahar Al Maghrebia est le mieux loti avec une contribution étatique de 6,37 DH par exemplaire vendu. Dans la presse francophone, les hebdomadaires profitent mieux de cette aide, à l'image de Maroc Hebdo, subventionné à 7,64 DH pour chaque vente d'exemplaire, ou encore La Nouvelle Tribune (4,12 DH) et TelQuel (3,94 DH). Ce chiffre évoluant en fonction du montant perçu dans le cadre de l'aide, l'écart se creuse davantage entre les mensuels francophones, où un exemplaire vendu d'Economie & Entreprises bénéficie de 10,20 DH, tandis qu'un autre de Zamane profite de 3,37 DH. Ce comparatif ne peut être complet tant certains chiffres de ventes sont difficiles à obtenir (tous replacés pas 0 sur les graphes). A titre d'exemple, ceux d'Al Bayane et de Bayane Al Yaoum, porte-voix du PPS, ne sont pas répertoriés, au moment où chacune des publications a reçu 1,4 MDH d'aide en 2016. Il en est de même pour L'Observateur du Maroc, Challenge Hebdo, Le Reporter, Finance News, La Vérité, Version Homme Maroc et Stadium magazine. Côté arabophone, le quotidien porte-parole de l'UC, Rissalat Al Oumma, est absent de l'OJD, de même qu'Al Maghribia, Al Michaal, Al Ayam, Attajdid (ancien canard du PJD), Al Alam Arryadi, Al Mountada, Al Mountakhab, Al Ousbouâ Assahafi, Al Watan Al An (fermé depuis), Al Massar, Lalla Fatima et Basma. Guerre des chiffres avec l'OJD Lorsque nous avons contacté Driss Chahtane, directeur de publication d'Al Michaal, il a exprimé sa surprise de découvrir que les chiffres de son magazine, comme nombre d'hebdomadaires arabophones, ne figurent pas sur le site de l'OJD. «Nous étions certifiés auprès de l'OJD jusqu'à cette année encore, mais peut-être que ce retrait est lié à un oubli de paiement. Au second contrôle, nous avions refusé de recevoir la visite de l'OJD car ce qu'ils produisent comme chiffres n'est pas fiable. Nous avions précédemment fait un communiqué là-dessus.» Le journaliste estime ses ventes pour l'année 2016 «entre 10 000 et 12 000 pour un tirage de 22 250 exemplaires». En 2017, leur moyenne est estimée selon lui «entre 8 000 et 10 000 exemplaires». De son côté, l'hebdomadaire Al Ayam ne donne pas non plus d'explication claire sur son retrait du répertoire de l'OJD, mais il nous communique ses moyennes de vente en 2015, 2016 et 2017. Celles-ci évoluent de 9 233 à 10 763, puis 10 868. Du côté d'Al Bayane et de Bayane Al Yaoum, une source nous confirme que les deux publications se sont effectivement retirées de l'OJD «il y a trois ou quatre ans», sans nous en expliquer les raisons. Et d'ajouter : «Les dispositions de l'octroi de l'aide de l'Etat à la presse changent d'année en année. Peut-être que si les journaux étaient obligés de s'inscrire à l'organisme pour y avoir droit, ce n'est plus le cas aujourd'hui.» Contacté par nos soins, Adil Lahlou, directeur de publication de Challenge Hebdo nous a, pour sa part, expliqué que l'OJD avait retiré les chiffres concernant son magazine «de manière malhonnête, puisqu'il n'a pas le droit de le faire. [Challenge Hebdo] a été certifié OJD jusqu'en 2016. Comme il ne l'est plus, les statistiques ont été retirées». Par ailleurs, Adil Lahlou estime que «ce n'est pas grave» si ces chiffres ne sont plus disponibles aujourd'hui, tout en nous expliquant n'avoir aucun commentaire à faire sur les raisons derrière ce retrait. A la question de connaître les chiffres, notamment la moyenne de tirages du magazine pour l'année 2016, la moyenne de parution, de ventes au numéro et des ventes totales, nos sollicitations écrites resteront sans réponse. L'OJD dément toute opacité Les publications bénéficiaires de l'aide de l'Etat et sans le label de certification OJD Maroc soupçonnent ce dernier de manquer de clarté. De son côté, l'organisme rejette la responsabilité sur les directions des magazines, qui ne communiqueraient pas les chiffres réels de leurs tirages et de leurs ventes. «On ne nous prévient pas des raisons précises derrière le retrait, si cette décision vient de la direction d'une publication, mais nous ne trafiquons jamais de chiffres. Nous publions ceux que ces publications nous communiquent», nous confie une source. Celle-ci nous explique comment se fait le processus : «Une délégation de l'OJD se déplace de France et recueille tous les chiffres de ventes, de comptabilité de titrages, d'abonnement, de vente au numéro, la balance des comptes, la déclaration de la TVA de l'année échue… Le site affiche donc toutes ces données et s'il y a un souci à ce niveau, le magazine en question recontacte l'OJD et vice versa.» Pour notre interlocuteur, «il s'agit toujours de problèmes d'argent». Il nous explique ainsi que «certains titres ne paient pas l'adhésion et le contrôle pendant deux, trois, voire quatre ans». Les magazines en question sont donc recontactés par l'OJD. «Parfois, on se retrouve contraint de résilier l'inscription de cette publication à cause d'une falsification ou de chiffres incohérents qui n'arrivent pas à être justifiés au deuxième ou au troisième contrôle.» Ces propos rappellent justement une précédente polémique entre l'OJD et quelques publications marocaines concernant de faux chiffres. En 2008, Le Matin du Sahara avait rapporté que «deux journaux de la place, un quotidien et un hebdomadaire» (sans citer de nom) avaient été épinglés dans ce sens. «Les deux publications auraient livré des chiffres qui ne reflètent pas la réalité de leurs ventes», expliquait le quotidien, racontant que «les écarts entre les chiffres confiés à l'OJD et ceux de Sapress (distributeur)» étaient considérables. Quel bilan dresser du programme de mise à niveau des entreprises de presse ? Difficile d'être optimiste tant les entreprises de presse se trouvent dans une situation de fragilité, alors même que les subventions devaient participer à une mise à niveau du secteur. Après un premier élan encourageant, force est de constater à nouveau un recul dans les pratiques et la transparence. De la répartition des aides très discutables à l'absence de publication des montants sur le site du ministère, en passant par des subventions octroyées à des journaux sans chiffres de ventes certifiés par l'OJD, il y a lieu de s'interroger sur l'utilisation de l'argent public et probablement même sur ce dispositif dans sa globalité.