Les organismes chargés de la gestion des habitations à loyer modéré établissent des grilles de peuplement pour dresser un panorama des origines et nationalités supposées des locataires. A l'instar des discriminations au logement et à l'emploi perpétrées en France, le fichage ethnique semble lui aussi jouir d'une certaine culture de l'impunité. Une pratique que certains organismes HLM (habitation à loyer modéré) perpétuent sous couvert d'opacités juridiques, dénonce Samuel Thomas, président de l'association La Maison des potes, dans une interview à l'hebdomadaire Marianne. Le 20 mars 2018, ce responsable associatif a déposé une plainte auprès du tribunal de grande instance de Toulouse contre l'organisme HLM Habitat Toulouse, après les révélations de Mediapart sur ses pratiques. La «direction générale» s'est dite «profondément choquée» par ces agissements, a réagi auprès du site d'information Franck Biasotto, président de l'organisme depuis 2014, ajoutant qu'elle les «condamnait». De son côté, le président de l'époque, Stéphane Carassou, a assuré à Mediapart découvrir l'existence de documents «à l'inverse de la politique que nous avons menée». «Je n'ai jamais été informé de cela», dit-il. «Ici 15 Algériens, ici 15 Marocains…» Ces systèmes de quotas sont pourtant largement répandus, observe Samuel Thomas, et se maintiennent grâce à des «flous législatifs». Ils ont longtemps été justifiés dans le cadre d'une politique de peuplement «élaborée en bonne collaboration» avec les préfets. Le président de La Maison des potes se veut plus précis : «Cela remonte aux années 1990, avec la création des POPS (protocole d'occupation du patrimoine social). C'est un protocole élaboré par les organismes HLM avec les préfets, où des plans de peuplement étaient mis en place avec des "dosages" d'étrangers, par nationalité ou par origine. Certains POPS indiquaient ainsi : "Ici 15 Algériens, ici 15 Marocains…". C'était déjà totalement illégal.» Au fil du temps, les organismes publics HLM ont étayé ce dispositif à l'aide de logiciels, établissant des fichiers et des grilles de peuplement «qui permettent de localiser précisément les personnes étrangères ou d'origine étrangère dans chaque quartier, dans chaque immeuble», ajoute Samuel Thomas. L'évaluation s'articule autour de trois principaux points : origine ou nationalité supposée, couleur de peau, nom à consonnance étrangère (comprendre non-européenne). Cinq ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende Et les justifications des bailleurs sociaux, peu convaincantes, vont bon train : «A chaque fois que ces organismes se sont fait attraper, ils ont prétexté agir selon une loi qui les obligerait à veiller à la mixité sociale (…) Or, dans la loi sur la mixité sociale, il n'est absolument pas fait mention d'une origine ou d'une nationalité, mais d'un équilibre qui concerne la composition des familles. Elle permettait notamment de ne pas mettre trop de familles nombreuses ou au contraire de familles monoparentales dans un même immeuble.» La loi «Egalité et citoyenneté» (27 janvier 2017) comporte en effet un long volet dédié à l'habitat, où il est fait plusieurs fois mention de la mixité sociale – jamais, en revanche, de la nationalité ou de l'origine. L'interdiction du fichage ethnique est quant à elle inscrite dans la loi «Informatique et libertés» de 1978, qui «interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses», rappelle La Croix. «Le non-respect de la règle générale d'interdiction du "profilage communautaire" est passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende en application de l'article 226-19 du code pénal», précise de son côté la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).