Dans un long article, le quotidien espagnol El País spécule sur l'endroit où aurait pu être installée la résidence du dirigeant arabe al-Mansûr au Xe siècle. Tout près du fleuve Guadalquivir, au sud de l'Espagne, la ville de Cordoue renferme quelques secrets bien gardés d'al-Mansûr. La capitale de la province éponyme, autrefois haut lieu de la culture islamique, a en effet abrité al-Madînat al-Zâhira, la «ville resplendissante», résidence cordouane de Muhammad ibn Abî Amir al-Mansûr et de ses fils, qui gouvernèrent le Califat de Cordoue de 978 à 1009. Si l'on en croit les chroniques arabes de l'époque, la ville était parée «de colonnes transparentes comme de l'eau et sveltes comme des cous de jeunes filles, des sièges de marbre blancs et luisants comme du camphre parfumé et des bassins avec des fontaines en forme de lions», d'après El País. Un décor que l'on imagine à la fois opulent et somptueux, dont l'héritage ne tient aujourd'hui qu'à quelques objets soigneusement conservés au Musée archéologique de Cordoue : des pièces de monnaie, des boucles d'oreille en or, un évier en pierre frappé de représentations animales et des bols en bronze. Les vestiges de l'ancienne ville-palais al-Madînat al-Zâhira. Histoire islamique (Wordpress) Cité éphémère L'établissement possède également des plats en céramique, «verts en référence au prophète et blancs pour les Omeyyades», précise Lola Baena, directrice du musée. «Depuis plusieurs années déjà, nous essayons de déterminer précisément l'emplacement de cette ville à partir de traces archéologiques et de preuves relatives aux changements qui sont survenus sur le fleuve Guadalquivir», complète Juan Murillo, chef du département d'archéologie de la direction de l'urbanisme à la municipalité de Cordoue. Le Guadalquivir tient d'ailleurs son nom de l'arabe al-wādi al-kabīr, «le grand fleuve» en français. Le Musée archéologique national de Madrid abrite lui aussi quelques trésors, notamment un évier réservé aux ablutions, sur lequel sont représentés deux aigles se faisant face, et une frise rédigée en arabe pour la construction du palais d'al-Zâhira (Alcázar de Azzahira), qui s'acheva en 987 ou 988 après Jésus Christ. Al-Madînat al-Zâhira fut construite à la demande de al-Mansûr pour remplacer Madinat al-Zahra, symbole de la puissance omeyyade telle que l'avait façonnée Abd al-Rahman III, émir puis calife de Cordoue. Cette dernière est d'ailleurs inscrite, depuis janvier 2015, sur la liste indicative du patrimoine mondial de l'Unesco dans la catégorie des biens culturels. Or, la «ville resplendissante» ne fit pas long feu : elle resta édifiée pendant vingt ans à peine, avant d'être détruite lors de la guerre civile d'al-Andalus, qui marque l'effondrement du califat de Cordoue. De plus, la mort d'al-Mansûr en 1002 posa les jalons de la première période des taïfas, petits Etats arabes ou berbères, jadis répartis dans l'Espagne médiévale. Royaumes de taïfas en 1037. Wikipédia Parangon de vertus Si l'empreinte d'al-Mansûr dans l'histoire de l'Andalousie est incontestée, sa personnalité fait en revanche l'objet de spéculations plus au moins sympathiques. «Les sources musulmanes, de manière générale, [le] dépeignent comme un homme pieux, amoureux des lettres et des sciences, doté d'une clairvoyance et d'une intelligence particulières, et bien sûr comme un grand militaire. En bref, elles le décrivent comme un parangon de vertus», écrit Ana Echevarría Arsuaga, professeure d'histoire médiévale à l'Université nationale d'enseignement à distance (UNED), dans son livre «Almanzor, un califa en la sombra» («Al-Mansûr, un calife dans l'ombre», aux éditions Sílex). L'historien, économiste et homme d'Etat Ibn Khaldoun, né en Tunisie en 1332, se montre pourtant plus sévère. Ce dernier voit chez lui un homme «ambitieux, sans scrupules et ayant usurpé un pouvoir qui ne lui correspond pas. Ibn Khaldoun lui impute la disparition de la dynastie des Omeyyades. [Le théologien musulman] Ibn Hazm, qui juge également al-Mansûr comme étant responsable du déclin du califat cordouane, s'inscrit dans la même veine, le présentant comme un tyran qui a maintenu son peuple sous un régime oppressif». Quant aux sources chrétiennes, elles se montrent tantôt élogieuses, tantôt réprobatrices. «Il apparaît parfois comme un homme courageux et judicieux, ainsi qu'un bon dirigeant», poursuit l'historienne Ana Echevarría Arsuag, notamment aux yeux de l'ecclésiastique espagnol Rodrigo Jiménez de Rada et du roi de Castille et de León Alphonse X. Dans un autre registre, d'autres sources chrétiennes brossent le portrait d'un homme «possédant tous les défauts qu'un être humain puisse avoir, allant jusqu'à le diaboliser». C'est le cas du Livre de Saint Jacques, désignant les textes réunis dans un manuscrit appelé Codex Calixtinus, qui date d'environ l'an 1140, ou de l'ecclésiastique et intellectuel espagnol Lucas de Tuy.