Si les violences policières semblent principalement ciblées contre les personnes issues des minorités, les données officielles sur ce phénomène se font toujours attendre, déplore l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture. La scène, rapportée hier par le Bondy Blog, sonne comme un air de déjà-vu. A Argenteuil (Val d'Oise), Ilyès, 13 ans, accuse des policiers de violences. Il dit avoir été interpellé violemment, samedi dernier, faisant état de coups répétés. «Son visage porte encore des stigmates de coups au niveau de l'œil gauche», écrit le média en ligne. Dans la soirée, il croise un jeune homme de 16 ans qui «[lui] propose un kebab avant de rejoindre le parc du Cerisier avec lui. Le jeune homme demande alors à Ilyès de faire le guet». Quelques minutes plus tard, il raconte avoir vu débarquer des policiers : «Ils sont arrivés par derrière. J'avais peur, j'ai couru jusqu'à ce que j'entende 'si tu continues à courir, on va tirer'. Je me suis allongé par terre direct, on m'a mis les menottes. Le policier me demandait 'où est le matos ?' Je répondais que je ne savais pas, que je n'avais que 13 ans et il me mettait des patates. Il m'a mis plusieurs coups. Un policier m'a dit 'si tu me dis pas il est où le matos, je te frappe. Ici, y a pas de lumière, y a pas de caméra, même si tu cries, personne ne peut t'entendre'.» Le jeune garçon confie également que le policier «a pointé le Taser sur [sa] partie intime», le menaçant de le «taser». Pas de données officielles… Un témoignage qui n'est pas sans faire écho aux affaires Théo (février 2017) et Adama Traoré (juillet 2016), du nom de ces deux jeunes hommes victimes de violences policières – le second ayant perdu la vie. En 2009, Mohamed Boukrourou, atteint de troubles psychiatriques, était lui aussi décédé suite à son interpellation à la sortie d'une pharmacie. «Si les violences policières sont relativement rares au regard du nombre d'interpellations quotidiennes, leur fréquence est loin d'être anodine, et les victimes se comptent par dizaines», relevait Aline Daillère, responsable des programmes police/justice au sein de l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), dans un rapport sur les violences policières en France ces dix dernières années, intitulé «L'ordre et la force» (mars 2016). Une fréquence manifestement élevée, mais un phénomène encore difficilement quantifiable. Contactée par Yabiladi, Aline Daillère nous explique la problématique : «L'Etat ne communique pas de données officielles sur les violences policières. On ne connaît pas du tout le nombre de personnes blessées ou décédées chaque année lors d'une altercation avec la police, la fréquence à laquelle ils utilisent des armes, le nombre de condamnations, de plaintes… Les seules informations que nous avons relèvent d'associations comme la nôtre ou d'institutions onusiennes.» …mais des profils similaires Reste que les témoignages recueillis par la société civile convergent pour beaucoup vers la même direction, nous explique encore Aline Daillère : «D'après les divers rapports de la société civile, ces pratiques sont assez répandues dans les grandes agglomérations partout en France, mais il y a une prévalence du recours à la force et des contrôles d'identité plus importante dans les quartiers populaires. Les éléments de notre rapport (de mars 2016, ndlr), qui ne sont pas du tout exhaustifs, montrent effectivement que la majorité des personnes qui sont concernées par les violences policières appartiennent à des minorités, soit des personnes non blanches.» Faute de transparence, les causes de ces bavures sont par conséquent difficiles à établir, «mais le constat est là». La preuve par les chiffres : sur un échantillon de 26 personnes décédées entre 2005 et 2015 lors d'une interpellation, «20 appartenaient à des minorités», constate Aline Daillère. Une discrimination à laquelle s'ajoute une double peine : le dépôt de plainte, qui s'apparente à «un véritable parcours du combattant», observe la responsable de l'ACAT : «C'est extrêmement difficile de porter plainte car souvent, très souvent, les fonctionnaires de police refusent d'enregistrer les plaintes. Lorsqu'elle concerne un de leurs collègues, c'est en effet très fréquent d'essuyer un refus. Les personnes portent alors plainte auprès du procureur de la République, mais c'est souvent classé sans suite. Globalement, ça reste difficile de parvenir à un procès, et même lorsque c'est le cas, les condamnations de policiers sont extrêmement rares.» Sur la période 2013-2015, le taux de condamnation à de l'emprisonnement contre des agents des forces de l'ordre s'élèverait à 55%, selon les autorités françaises, citées par l'Obs. Il s'agit «quasi-exclusivement» de peines avec sursis, puisque seulement 4% d'entre elles sont assorties de prison ferme.