IA, start-up, risque climatiques... Nombreux sont les changements en cours sur le continent dans le secteur de l'assurance. Tour d'horizon des nouvelles orientations. Avec un taux de pénétration de seulement 7 %, l'assurance en Afrique demeure un marché sous-exploité, malgré une population de plus de 1,4 milliard d'habitants et une croissance économique soutenue dans plusieurs régions du continent. Contrairement aux marchés occidentaux, où l'assurance est ancrée dans les usages, en Afrique, elle reste perçue comme un produit secondaire, parfois inaccessible en raison du coût élevé des primes et du manque de confiance envers les institutions financières. Pourtant, l'accélération des transformations économiques et technologiques, couplée à l'augmentation des risques climatiques et sanitaires, pousse les assureurs à réinventer leurs modèles. De l'essor de l'intelligence artificielle à la montée en puissance des insurtechs, en passant par l'émergence de la micro-assurance et de l'assurance islamique, le secteur amorce une restructuration qui pourrait, à terme, modifier profondément ses dynamiques. Lire aussi | Mme Fettah: le Maroc engagé pour la promotion du secteur de l'assurance en Afrique Dans un contexte marqué par l'instabilité monétaire, la volatilité des taux d'intérêt et l'augmentation des catastrophes naturelles, les compagnies d'assurance doivent concilier innovation et adaptation aux réalités locales. L'Afrique, bien que tardive dans sa transformation digitale, connaît une adoption croissante des technologies financières, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux produits plus accessibles et mieux adaptés aux besoins des populations. En parallèle, l'évolution des réglementations et l'implication des institutions internationales dans la structuration du marché créent un cadre plus propice à l'expansion de l'assurance. Mais la question reste ouverte : ces transformations permettront-elles d'accélérer la démocratisation du secteur et d'augmenter significativement la couverture assurantielle sur le continent ? Tour d'horizon des six tendances qui façonneront l'assurance africaine dans les années à venir. 1. L'intelligence artificielle, levier de transformation L'IA révolutionne la gestion des risques et la détection des fraudes. Son adoption permet d'optimiser l'évaluation des sinistres, d'adapter les offres et de réduire les délais d'indemnisation. Selon KPMG, 58 % des dirigeants du secteur estiment qu'un retour sur investissement sera visible d'ici trois à cinq ans. Toutefois, l'absence de régulations encadrant son usage dans plusieurs pays africains soulève des inquiétudes en matière de protection des données. Toutefois, la lutte contre la fraude reste le principal objectif de l'adoption rapide de l'IA sur le continent, car elle permet de vérifier les demandes d'indemnisation et de détecter les irrégularités. En réduisant les activités frauduleuses, l'une des plus grandes préoccupations du secteur, les assureurs peuvent protéger leur rentabilité et leurs investissements, et offrir des primes compétitives nécessaires pour stimuler la pénétration de l'assurance. Cependant, la réglementation de l'écosystème de l'IA étant quasiment inexistante dans la plupart des pays africains, il existe des risques d'abus, notamment en ce qui concerne les violations de données et l'utilisation abusive d'informations personnelles. Le Maroc, l'Egypte, le Rwanda, l'île Maurice et le Bénin sont quelques-uns des rares pays africains à disposer d'une politique en matière d'IA, tandis que d'autres, comme le Kenya, ont récemment élaboré une stratégie nationale en matière d'IA afin de promouvoir une utilisation « responsable » et « éthique ». 2. L'essor des insurtechs Les start-up spécialisées dans l'assurance digitale bouleversent le marché en simplifiant l'accès aux produits et en réduisant les coûts opérationnels. Des groupes comme Allianz (SanlamAllianz) nouent des partenariats stratégiques avec des insurtechs pour moderniser leurs offres. Malgré une baisse des investissements en 2023 (-53 %), l'intérêt pour ces solutions reste fort, notamment au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya. Selon Fintech Global, alors que les investissements combinés dans les entreprises africaines d'insurtech ont chuté de 53 % en glissement annuel pour atteindre 30,4 millions de dollars en 2023, les transactions ont augmenté de 13 % pour atteindre 17 transactions au total. Le Nigeria, l'Afrique du Sud et le Kenya figurent parmi les principales destinations des investissements dans l'insurtech. 3. La micro-assurance pour élargir le marché Face aux faibles revenus de nombreuses populations, la micro-assurance s'impose comme une réponse adaptée. Des modèles de paiement flexibles et des régulations incitatives favorisent son adoption, notamment au Kenya et au Nigeria. Cependant, le manque de sensibilisation et les défis réglementaires freinent encore son expansion dans plusieurs pays. Bien qu'ils en soient encore à leurs balbutiements, les produits de micro-assurance jouent un rôle important dans la promotion de l'inclusion financière et gagnent du terrain pour résoudre les problèmes d'accessibilité financière, en offrant un filet de sécurité à un plus grand nombre de personnes à faible revenu qui, autrement, ne seraient pas assurées. Au Kenya, par exemple, le nombre de souscripteurs de micro-assurance a presque doublé depuis 2015. Notons que le marché mondial de la micro-assurance était évalué à 74,2 milliards de dollars en 2023 et devrait croître de plus de 6,5 % par an entre 2024 et 2032, année où il devrait atteindre 133,7 milliards de dollars. Le manque de confiance et les prix trop élevés restent toutefois des obstacles majeurs. Lire aussi | AXA Assurance Maroc va céder 80 % de ses parts à une filiale de Stellantis 4. L'essor de l'assurance islamique Avec la montée de la finance islamique, les produits conformes à la charia (takaful) gagnent du terrain. Le Nigeria enregistre une forte progression avec une dizaine d'acteurs en activité, tandis que d'autres marchés comme le Kenya et la Tanzanie commencent à structurer leur offre. Malgré un potentiel de croissance estimé à 14,6 % par an d'ici 2030, la complexité réglementaire reste un défi majeur. Le Nigeria, où la population musulmane et non musulmane est presque égale, fait partie des quelques pays où le secteur du takaful s'est développé de manière significative, passant d'une seule compagnie en 2005 à une dizaine aujourd'hui. Au Kenya, Takaful Insurance of Africa est le seul assureur islamique à part entière, mais ses actionnaires sont des compagnies d'assurance conventionnelles, dont le groupe CIC, qui l'aident à proposer des assurances santé, vie et générales. En Ouganda, le concept est relativement nouveau, tandis qu'en Tanzanie, CRDB Bank et First United Takaful sont les pionniers du produit depuis le début de l'année 2024. 5. L'assurance agricole face aux défis climatiques L'Afrique étant durement touchée par le changement climatique, l'assurance agricole est devenue un besoin pressant pour protéger les assurés contre les pertes potentielles liées à la sécheresse et aux inondations qui menacent la sécurité alimentaire mondiale. Les défis climatiques, associés à l'apparition de ravageurs et de maladies, ont exercé une pression financière considérable sur les petits exploitants agricoles qui représentent une part importante de la production agricole du continent. Par conséquent, les assureurs et les institutions de développement ajustent leurs politiques pour atténuer ces risques en proposant des produits de souscription subventionnés destinés à toutes les parties prenantes. ZepRe, par exemple, a lancé en 2023 un projet DRIVE de 360,5 millions de dollars, avec le soutien de la Banque mondiale, pour protéger les éleveurs contre les risques de sécheresse à Djibouti, en Ethiopie, au Kenya et en Somalie. La Banque africaine de développement (BAD) a également mis en place la Facilité africaine d'assurance contre les risques climatiques pour l'adaptation (The Africa Climate Risk Insurance Facility for Adaptation ou Acrifa)... 6. La cyber-assurance, un marché en devenir ? Comme dans bon nombre de secteurs, la révolution numérique s'est également enclenchée dans le secteur de l'assurance. Beaucoup d'acteurs du secteur, le numérique est un véritable levier de compétitivité. Sauf que, le constat au demeurant est amer qui s'est révélé ces dernières années, est que le secteur fait face au revers de la médaille du digital. « Ces services numériques au-delà de leur avantage sont des passerelles que les cybercriminels peuvent craquer ». prévient Redouane Benatik, expert Cybersécurité. Selon le dernier rapport du Baromètre risques d'allianz, les cyber incidents et l'interruption d'activité sont les principales préoccupations des entreprises à travers le monde pour la deuxième année consécutive (avec 34 % des réponses dans les deux cas).Dans les détails, les cyber incidents, telles que les pannes informatiques, les attaques de rançongiciels ou les violations de données, se classent comme le risque le plus important à l'échelle mondiale pour la deuxième année consécutive – la première fois que cela se produit. Il se classe également au premier rang des périls dans 19 pays différents, dont le Canada, la France, le Japon, l'Inde, le Royaume-Uni et même le Maroc. Côté argent, le coût moyen d'une violation de données est estimé à 4,35 millions de dollars et devrait dépasser les 5 millions de dollars en 2024. Ces risques numériques en croissance ont donné voie à l'émergence d'un nouveau secteur, notamment celui de la cyber assurance. Evalué à 6 000 milliards de dollars en 2021 selon « le rapport du droit pénal à l'épreuve des cyberattaques » du club des Juristes, le risque cyber devrait atteindre 10 500 milliards de dollars en 2026 avec un rythme de croissance de près de 15% par an. Au Maroc le constat au demeurant amer est que l'écosystème entreprise demeure exposé à cette problématique et de ce fait c'est tout un pan de l'économie qui demeure impacté. C'est en effet un fait incontestable, la cybersécurité représente un enjeu crucial pour toutes les entreprises, et ce, d'autant plus pour celles opérant en ligne (e-commerçants, banques en ligne, médias digitaux). Pour Jallal Benchekroune, DG AtlantaSanad Assurance « avec l'émergence grandissante du numérique, on va de plus en plus connaitre un développement de cette nouvelle offre, notamment celui de la cyber assurance. Bien qu'offrant des avantages énormes, le numérique expose les entreprises à de grandes menaces ». Et d'ajouter : » Bien qu'étant à la mode en occident, au Maroc nous faisons face cependant à des problématiques de collectes de data. Les groupes victimes de ces risques ne communiques presque pas par souci d'image, alors il est difficile de collecter la data, qui est un élément clé dans cette activité. De plus, Il faut noter qu'a ce jour il est difficile de dire ce que vaut le secteur aujourd'hui car au Maroc il n'y pas de catégorie typiquement risque cyber, ce sont des risques qui sont intégrés dans le cadre des risques spéciaux ».