La caravane, comme son nom l'indique, ne fait que passer. Son impact est variable et avec les années, les habitants et pas mal de professionnels qui s'y sont engagés par enthousiasme ont été convaincus de son inefficacité. Pis encore, de son préjudice. «Les caravanes médicales sont les pires choses qui soient arrivées au milieu rural marocain.» C'est ainsi que m'avait interpellé Jaouad, un jeune médecin généraliste qui a passé deux années dans la ville reculée de Tinghir, dans la province d'Errachidia. Et d'ajouter : «Avec leur effet anesthésiant, ils n'ont pas laissé la santé se développer dans les zones pauvres et enclavées.» J'ai bien entendu participé à quelques-unes de ces initiatives, parce qu'au début des années 2000, c'était la seule façon de connaître les acteurs qui souhaitaient s'engager dans l'action sociale au Maroc et la seule façon (qui le demeure encore) autorisée d'exercer en dehors des sentiers battus des hôpitaux et des centres de santé. J'ai très vite déchanté parce que la plupart des personnes qui viennent voir des spécialistes ne sont pas malades. Et pour cause, on ne voit pas le médecin quand ce dernier se déplace pendant la saison du printemps. Les zones enclavées ont besoin d'assistance pendant les hivers rigoureux avec son lot de bronchiolites et d'infections, et pendant les étés, avec ses coups de chaleur, ses diarrhées et autres morsures de scorpions. Sans parler des traumatismes qui n'attendent pas non plus. «Nul n'est croyant que s'il aime pour son frère que ce qu'il aime pour lui-même» La plupart disent, ou se disent, qu'il vaut mieux cela que rien. Je réponds, expérience de différents terrains à l'appui, que c'est une solution mesquine et irrespectueuse de la population. Non seulement ils sont victimes de l'enclavement, de l'éloignement, de la pauvreté et de la rudesse de la nature, mais on y ajoute notre regard scénique et condescendant en leur octroyant ce que nous n'accepterions jamais pour nous-mêmes. N'est-il pas dit, dans les Hadiths prophétiques que les Marocains aiment tant, «nul n'est croyant que s'il aime pour son frère que ce qu'il aime pour lui-même» ? Bien évidemment, la fraternité peut aussi être comprise au sens large et englober tous les humains. - Comment pourrions-nous réussir et devenir de bons médecins ? C'est une question récurrente que me posent souvent les jeunes étudiants en médecine. - Mettez-vous à la place de vos patients, pas seulement en ce qui concerne leurs maladies, mais pensez à eux globalement. - Ne faut-il pas garder avec les patients une certaine distance, ajoutent parfois les plus âgés ? - Mais de quelle distance vous parlez ? Celle qui fait de vous un être faussement supérieur parce que doté d'un certain savoir, ou celle de celui qui habite en ville et possède plus de moyens ? Le secret du bon médecin est la proximité et l'empathie, sans parler d'une bonne connaissance de son métier et des milieux dans lesquels il est amené à exercer. Mais la plupart des jeunes médecins sont bien évidement victimes d'un système éducatif, puis de stages inadaptés qui les laissent errer et ensuite essayer de combler leurs lacunes et s'adapter. Le prix à payer est souvent exorbitant en matière de services rendus à la population d'une part, et de la santé mentale et physique de ces praticiens. Alors, les caravanes, comme baume à un mal profond et à un dysfonctionnement de la santé publique, n'est qu'un leurre parmi d'autres. Et comme tous les leurres, il a fini par découvrir ses limites et ses effets pervers. La solution vient d'un investissement dans les jeunes de la population locale et un encouragement du potentiel humain envoyé dans les zones lointaines ou enclavées. Avec une justice dans les affectations et les rotations, afin de ne pas briser des jeunes femmes et hommes qui ont fait le métier de soignant pour aider et secourir. Par l'injustice des affectations du ministère, on en a fait des êtres aigris et déprimés. Alors comment voulons-nous rendre service à une population enclavée par des soignants blasés ? Par les caravanes médicales ? Certainement pas…