Il faut voiler le corps féminin pour éviter la tentation de l'homme. Voiler le corps de la femme reviendrait à sauver toute la société de la «fitna» et du désordre. Est-ce vrai ? C'est en partie à cette question que Sanaa El Aji tente de répondre, dans son nouvel ouvrage «Sexualité et célibat au Maroc». (La Croisée des Chemins, 2018). Notre «imaginaire commun tend à rendre le corps de la femme responsable de la dérive et de la séduction masculines», affirme Sanaa El Aji. Car c'est à la femme, ou précisément au corps féminin, qu'on a pris l'habitude de coller la responsabilité de la perversion sociale. Qu'il s'agisse du harcèlement sexuel, ou même du viol, la femme en est toujours responsable. Si la femme est harcelée, c'est à cause d'elle. Si elle est violée, c'est encore à cause d'elle. De par son attitude et son aspect vestimentaire, le corps féminin demeure toujours la source du Mal qui plane sur la société. Une société où la logique est tenue à l'envers, où «la victime devient ainsi coupable de l'acte qu'elle subit». Aux yeux de cette société malade, «le corps de la femme serait de fait le commencement et la finalité» de tout acte sexuel, car c'est lui qui attise le désir. L'homme n'y est pour rien Au cœur de cette entreprise, «la responsabilité de l'homme est faiblement retenue», assure la sociologue, étant donné que le «désir de l'homme (même violemment exprimé) est socialement admis et accepté». Tout le monde converge sur l'idée que «les pulsions masculines» sont «naturellement incontrôlables». Subséquemment, ce concept qui n'est en réalité que «le produit d'une socialisation» devient finalement un «fait naturel» qui est «admis comme tel». «Au lieu de rendre les hommes responsables de leurs désirs et de leurs comportements dans l'espace public», c'est encore une fois le «corps de la femme» qui est pointé de doigt. Le voile comme solution Au sein de notre société, «de nombreuses voix critiquent la tenue vestimentaire des femmes, la rendant ainsi responsable du vice», souligne El Aji. Naturellement, c'est le devoir de la femme «d'y faire face, en cachant son corps». Là, la femme dispose de deux choix : «soit maintenir [son corps] dans l'espace privé ; ou, à défaut, le voiler dans l'espace public». Et c'est dans ce sens que va «la notion du voile», d'après Sanaa El Aji. Afin d'éviter la tentation, pour les hommes «il s'agirait de voiler le corps de la femme». C'est par cette façon qu'«on protégerait ainsi la société du vice et de la fornication». Le corps féminin se transforme alors en «un produit social» demeurant synonyme d'une source de séduction. On doit absolument «le cacher et le protéger». Mais une petite question s'impose : comment expliquer qu'en Egypte (pour ne citer que cet exemple), «72,9% des femmes» qui se font harcelées quotidiennement «portent le voile, voire le voile intégral», s'interroge la sociologue.