Mouna Izddine La dernière étude du Haut Commissariat au Plan autour de la violence à l'encontre des femmes révèle que 8% des Marocaines ont été contraintes de porter le voile, sous la pression de leur père, de leur mari, ou d'un autre membre de leur entourage. Parmi elles, des femmes adultes, majeures, mais aussi un nombre croissant de petites filles et d'adolescentes encore mineures. De la burqa afghane au tchador iranien en passant par le niqab des pays du golfe, elles sont des milliers à subir en silence un diktat vestimentaire venu d'ailleurs. Un diktat étranger à l'Islam marocain, imposé par une doctrine radicale, qui fait de la soumission de l'élément féminin l'un des nerfs de sa secrète guerre pour le pouvoir, en vue de l'établissement du fameux «empire islamique» sans frontières, fantasmé par tant de fondamentalistes dans leurs accès de religiosité délirante. Car c'est bien le sombre et ultime dessein d'une grande majorité de la mouvance intégriste au Maroc, derrière les discours lénifiants de retour salutaire aux valeurs et aux traditions dans un monde en perte de repères. L'élément féminin, mais également l'enfance. A Marrakech, comme dans d'autres villes du pays, investissant le champ longtemps laissé vacant par l'école publique dans le domaine de l'éducation préscolaire, des associations islamistes radicales, salafistes et autres, ouvrent et gèrent des maternelles avec l'accord des autorités locales. Dans le secret des écoles coraniques, ce sont des générations entières de petits Marocains qui sont embrigadées par les gourous de la haine, que l'on pensait définitivement neutralisés au lendemain du 16 mai 2003. Mais l'hydre intégriste a mille têtes, tantôt violentes et explosives, tantôt sournoises et faussement «politiquement correct». Ainsi, dans l'indifférence générale, le jihad a pris le chemin de l'école. Dans son cartable, une bombe à retardement idéologique. L'Observateur du Maroc a mené l'enquête. Le réseau des maternelles salafistes Salaheddine Lemaizi Marrakech, à quelques mètres de Bab Doukkala. En face de la mosquée Boukkar, un garage transformé en librairie tient lieu de véritable chef-lieu salafiste. Sur 200 mètres, une quantité énorme de références, classiques et nouveautés salafistes, sont exposées dans ce lieu entièrement géré par des «frères». Aucune trace de livres qui ne traitent pas de religion. Les responsables de la librairie parlent peu et font beaucoup d'affaires dans la discrétion. Vous connaissiez Marrakech, ville des plaisirs épicuriens, capitale du tourisme et des jet-setters internationaux. Vous allez découvrir Marrakech, cité des salafistes. Le préscolaire, nouveau créneau salafiste «Marrakech est une ville où l'Islam pluriel trouve sa parfaite expression. On peut trouver du soufisme dans une Zaouia, à quelques mètres d'une mosquée qui adopte l'Islam officiel et sans couleur politique, mais aussi une école coranique salafiste ou une mosquée des Tabligh. Tout se côtoie avec harmonie et symbiose, alors que théoriquement ce sont des courants opposés qui peuvent même s'affronter», observe Abdelhakim Aboullouz, chercheur au Centre marocain des sciences sociales (CM2S) et spécialiste de la sociologie religieuse. Le salafisme à Marrakech est dominé par le courant «pacifiste» qui prête allégeance aux gouvernants, tout en refusant de s'impliquer dans la vie publique. «C'est ce qui explique que l'on n'a jamais entendu parler de démantèlement de cellules terroristes à Marrakech. La seule arrestation dans la région a eu lieu à Benguerir. Mis à part ce cas isolé, la région n'est pas touchée par le salafisme jihadiste». Le salafisme dominant à Marrakech s'adonne en fait au «jihad» à travers l'éducation. La scandaleuse fatwa de Cheikh Mohamed Ben Abderrrahmane Al Maghraoui, président de l'Association Adaâwa pour le Coran et la Sunna, où il autorisait le mariage des fillettes de 9 ans, a permis de lever le voile sur tout un réseau pédagogique, composé d'institutions de formation des jeunes d'obédience salafiste dans la ville ocre, ainsi que de maternelles et d'écoles coraniques légales gérées par les lauréats de l'association de Maghraoui. La présence du courant salafiste dans la ville ocre remonte aux années 70. L'Association Al Qoran Al Karim (Le Saint Coran) est la première à voir le jour en 1971. Suivra celle de Maghraoui en 1976, puis l'Association Hafed Ibn Abdelbar pour la préservation de l'héritage islamique en 1993, résultat d'une scission avec Maghraoui. Les trois associations comptaient un Dar Al Qoran (littéralement, maison du Coran), véritable institut de formation dans les sciences religieuses, accueillant chacun 80 étudiants. «Dar Al Qoran est comme une maison mère, elle est toujours entourée d'une dizaine d'écoles coraniques, qui font office de filiales», compare A. Aboullouz. Le financement est garanti à 100% par l'Arabie Saoudite. Et ce grâce au portefeuille relationnel des dirigeants des trois structures dans les lieux saints. Maghraoui est d'ailleurs lauréat de l'université de Médine et il a reçu une précieuse lettre de recommandation des mains d'Ibn Al Baz, un des muftis wahabites les plus influents d'Arabie Saoudite, aujourd'hui décédé. Les activités de ces trois structures sont interdites au lendemain du 16 mai 2003. En 2004, une décision administrative confirmera cette fermeture. Restent les écoles coraniques et les maternelles… Les dessous d'un succès populaire En dépit de cette fermeture, suivie de l'exil volontaire de Maghraoui en octobre 2008 vers l'Arabie Saoudite, les écoles de la petite enfance continuent en effet d'exister. Ces structures qui se trouvent théoriquement sous la tutelle du ministère des Affaires islamiques et des Habous, sont gérées, en pratique et au quotidien, par les élèves de Maghraoui. «Pour les besoins de ma recherche, j'ai visité trois maternelles autorisées par les Affaires islamiques, les trois étaient encadrées par des salafistes. Le responsable qui m'accompagnait dans ma visite se réjouissait du niveau de l'encadrement, alors que le corpus qu'il utilisait était clairement salafiste. J'ai tenté d'expliquer cela à mon accompagnateur mais en vain», se rappelle le chercheur en sociologie religieuse. Ces maternelles connaissent un succès à Marrakech pour trois raisons. Premièrement, l'amoindrissement de l'attrait des écoles coraniques traditionnelles (l'enseignement dit «assil») et de celles rattachées aux mosquées ou aux Zaouias. «Nous n'avons aucune chance face à la concurrence des nouveaux koutab [salafistes]», témoigne à ce propos le gérant d'une école coranique dans la ville ocre. Deuxièmement, certains parents préfèrent retirer leurs enfants des maternelles «modernes»: «mon fils passait son temps à ne rien faire à la maternelle, j'ai préféré l'inscrire dans une école coranique, au moins il y apprendra le Coran», nous dit un Marrakachi rencontré aux abords d'une école coranique. Troisièmement, les tarifs d'inscription dans les écoles coraniques défient toute concurrence, au lieu de 400 DH/mois, les ‘'koutab'' ne demandent que 150 DH/mois. Les salafistes profitent aussi de la confusion qui a régné pendant des années dans cette branche éducationnelle. Balloté entre les Affaires islamiques et l'Education nationale, l'enseignement préscolaire a été délaissé. Dû à la faiblesse des effectifs dédiés à cette tâche, le contrôle dans ces établissements est presque absent. Lors de ce reportage, nous avons ainsi pu visiter une école coranique sans autorisation, en plein centre ville de Marrakech. Non salafiste, ce koutab se trouve dans la maison du fquih qui le gère. «Lors de mes visites aux écoles coraniques, j'ai rencontré plusieurs lauréats salafistes des Dour [maisons] du Coran. Les koutab constituent pour eux un débouché non négligeable», remarque A. Aboullouz. Ces jeunes remplissent les trois critères de recrutement établis par le Conseil des Oulémas de la région: ils maîtrisent le Coran, ils ont leur bac (pour les recrues dans les maternelles), et ils arrivent à obtenir facilement l'attestation du chef d'arrondissement de l'autorité locale grâce à la bonne réputation dont ils jouissent auprès de la population. «Les salafistes ont investi ces lieux en masse, surtout après la fermeture des Maisons du Coran au lendemain du 16 mai, c'était une façon pour eux de garantir une présence légale et institutionnelle», analyse A. Aboulouz. Les jeunes salafistes profitent de leur statut pour inculquer un enseignement qui correspond à leur courant. Les manuels imposés par les Affaires islamiques sont détournés de leur objectif de départ par une lecture salafiste de leur contenu. Depuis le 16 mai 2003 et surtout après la fatwa de Maghraoui, l'étau se resserre sur le salafisme à Marrakech. Seule l'Association Hafed, qui est la plus jeune des trois associations, tire son épingle du jeu, en continuant à donner des cours d'alphabétisation. Avec le temps et l'oubli, un retour des deux autres associations n'est pas à écarter, d'autant plus que ce courant religieux radical profite des enjeux politiques locaux dans la ville et de ses connexions à l'international. Maghraoui, l'intouchable ? Pour A. Aboullouz, la présence historique salafiste à Marrakech s'explique par les alliances politiques que ce courant a effectuées avec l'Istiqlal dans les années 70 : «et ce pour obtenir les autorisations d'ouverture d'écoles en contrepartie de garantir les votes de cette communauté. Ce parti voyait dans les salafistes un simple marché électoral. Par la suite, les salafistes vont s'allier à l'Islam officiel, les Conseil des Oulémas vont autoriser les Dour Al Qoran», décrypte le chercheur en sociologie religieuse. Selon, A. Aboullouz toujours, Maghraoui est cité trois fois dans des plaidoiries du Procureur du Roi à Casablanca, suite aux événements du 16 mai, mais il ne sera jamais inquiété. «Le cas de Maghraoui est unique. Alors que pour le moindre soupçon, on pouvait arrêter une personne, ce cheikh est cité par des accusés et par le procureur mais personne ne l'inquiète. Ceci veut dire qu'il bénéficie d'une protection particulière. Cette protection s'est confirmée après sa fatwa, il devait être poursuivi en justice, ça n'a pas été le cas et il ira en Arabie Saoudite en toute tranquillité», explique A. Aboullouz. Pour ce dernier, la faiblesse du Parti de la justice et développement (PJD) à Marrakech peut à son tour être expliquée par la présence salafiste dans la ville, «le salafisme est présent dans les milieux populaires de la ville et c'est dans cette catégorie sociale que le PJD recrute ses électeurs. Le poids des salafistes empêche une plus grande présence pour le parti islamiste, qui est obligé de composer avec un courant qui le prive d'électeurs». L'opposition féroce en 2008 du PJD à la fermeture des Dour Al Qoran de Maghraoui expliquerait ainsi l'intérêt électoral pour les salafistes à Marrakech. «Pour les salafistes, celui qui suit ce courant doit le faire depuis l'enfance.» Abdelkakim Aboullouz, Sociologue, auteur de “Les mouvements salafistes au Maroc de 1971 à 2004”. Entretien réalisé par S.L. L'Observateur du Maroc. Pour les salafistes, à quel âge le voile devient-il obligatoire pour les filles? Abdelkakim Aboullouz. Dans ces milieux, le voile pour les jeunes filles est une évidence. Depuis l'enfance, les filles sont obligées de mettre le voile. Pour les salafistes, celui qui suit ce courant doit le faire depuis l'enfance. Les préceptes du Coran et de la Sunna doivent être visibles dès le jeune âge, il n'y pas lieu d'attendre d'arriver à l'âge de la puberté. Selon eux, c'est ainsi que se sont comportés les compagnons du prophète. Avez-vous été témoin de familles qui obligent leurs fillettes à porter le voile? Ce cas de figure est impossible. Pour garantir que leur progéniture soit «sur le bon chemin», les parents salafistes ont des méthodes efficaces. Dès leur jeune âge, les enfants sont en contact permanent avec les références salafistes. Il s'agit de trois sources écrites par Mohammed Ben Abdelwahab, «Le livre de Tawhid (unité divine)», «Les trois fondements» et «Les quatre règles». À cela s'ajoutent «les 40 nawawiya» de l'imam Nawawi et «La foi médiane» d'Ibn Taymiya. Ce dernier texte énonce des principes très simplement écrits et accessibles même aux enfants. Ces références sont loin de celles que l'on trouve dans l'Islam officiel (le rite malékite et la doctrine Achaa'rit servant à expliquer la divinité). Chez les salafistes, on n'explique pas, on demande aux jeunes d'apprendre en attendant qu'ils mûrissent. Dans les milieux «islamistes» non salafistes, pensez-vous que les familles obligent les filles à se voiler? Dans les milieux islamistes, la question du voile n'est pas automatique comme chez les salafistes. Mettre le voile est soit la conséquence d'une éducation conservatrice, soit une conviction de la fille elle-même, qui est issue de ces milieux. On peut dire que le voile est une décision plus au moins réfléchie dans ce cas là, alors que dans les milieux salafistes, c'est une stricte application des textes et la femme ne doit pas hésiter à mettre le khimar (voile intégral) car c'est une évidence. Les écoles coraniques de Marrakech peuvent-elles être comparées au «madrassa» du Pakistan? Non, les deux structures sont très différentes. Les «madrass» ont créé des jihadistes. Au Maroc il n'y a pas eu de lien entre ces écoles coraniques et le terrorisme. Il faut être précis quand on fait ce genre de comparaison. Olivier Roy, dans son livre “L'islam mondialisé”, avait émis comme conclusion que les écoles coraniques sont les principaux producteurs des salafistes, ce qui n'est pas toujours vrai et cela reste à démontrer scientifiquement. Pourquoi le salafisme connaît-il autant de succès à Marrakech? Le salafisme exploite la crise de l'Islam traditionnaliste. Le salafisme a cette capacité d'expliquer les faits de notre société avec une légitimité permanente. Il profite aussi d'un marché de recrutement jeune. Ce marché trouve dans le salafisme une doctrine puritaine qui se présente avec un visage neuf. Un courant qui a la capacité d'expliquer et de justifier ce qui se passe autour de nous. Une autre raison de l'émergence du salafisme est tout simplement sociale : appartenir à ce courant permet d'avoir une appartenance sociale nouvelle et un statut social revalorisé. Une violence ordinaire noura mounib «Il était un petit navire…» chantonne timidement la petite Hiba en jetant de temps à autre un regard par la vitre du compartiment du train à destination de Casablanca. Accompagnée de sa maman vêtue d'un niqab (voile intégral), la fillette de cinq printemps n'a d'yeux que pour deux jumelles de son âge assises sur la banquette d'en face. La voix stridente de sa mère la fait sortir brutalement de sa rêverie: «Arrête de regarder les gens comme ça ! Respecte au moins ce foulard que tu portes sur la tête. Dieu n'aime pas ce que tu fais !», lui crie sa mère en lui assénant une violente gifle. Elle installe ensuite sa fille sur ses genoux, lui remet une mèche de cheveux sous son foulard défait, et la réinstalle à sa place. «Si tu ne te tiens pas correctement, je te jette chez Ibliss (Satan)» lui susurre-t-elle à l'oreille en guise de menace. Hiba ravale ses sanglots et ne relève plus tête jusqu'à l'arrivée à la gare ferroviaire de Casablanca. Moi, Hiba, 5 ans, objet sexuel Elles ont encore leurs dents de lait. Pourtant, ces petites filles sont contraintes de porter un foulard étouffant sur leur tête, et de couvrir leur petit corps, «source de désir impur», comme elles entendent leurs parents le répéter depuis qu'elles sont en âge de comprendre les mots des grands. Sous ce voile imposé par les adultes, sous prétexte de pudeur, se cachent des enfants comme les autres, avides de jeux, d'apprentissage et d'affection. «Chacun a sa vision du voile. Pour ces parents qui obligent leurs petites filles à se voiler, leurs enfants sont des objets sexuels qu'ils doivent obligatoirement cacher de peur de susciter le désir de l'homme», souligne Bouchra Abdou, de la Ligue démocratique des droits de la femme, sise à Casablanca. Elle ajoute que le voile forcé marque négativement l'enfance, une phase capitale de la vie de toute personne. Ces petites filles opprimées subissent une éducation religieuse où «Fulla», la «doumia» voilée, remplace «Barbie» la blonde poupée dénudée. «Mabrouk le voile !» «C'est toujours choquant de voir une petite fille voilée dans la rue. Elles ont toutes ce regard mélancolique empli d'interrogations légitimes : Pourquoi dois-je me voiler ? Pourquoi les fillettes de mon âge ont-elles les cheveux au vent et portent des robes et des jupes courtes ? Est-ce parce qu'elles ont des parents plus gentils?», explique la militante de la Ligue. D'ailleurs, le port du foulard n'a jamais été une prescription religieuse pour les petites filles. Un élément que les parents omettent volontairement pour n'en faire qu'à leur guise. En l'absence de dialogue ouvert, les répercussions sur l'enfant peuvent être dramatiques : «Dans ces cas-là, le voile encourage la débauche. Il arrive que ces fillettes, une fois adolescentes, se vengent de leur famille en s'adonnant à la prostitution ou à la drogue par exemple», précise B. Abdou. Pourtant, certains parents continuent à arborer le voile de leurs petites filles comme une fierté… «Ces parents qui imposent le voile à leur enfant considèrent que ce petit corps est sexuellement désirable.» FATTOUMA EL KADMIRI, Pédopsychiatre. Entretien réalisé par n. m. L'Observateur du Maroc. Que signifie le voile chez une petite fille ? FATTOUMA EL KADMIRI. Le voile marque l'appartenance à une certaine culture. Aux yeux de ses parents, c'est une marque de fierté que de faire porter à leur fille ce signe religieux. C'est une façon de dresser cette image de famille musulmane qui a réussi son éducation selon les préceptes de l'islam et dont les enfants n'emprunteront jamais «le mauvais chemin». Contrairement à ce qu'ils peuvent espérer, ce voile ne protège pas. Les parents ne se rendent pas compte que la religion ne peut être appliquée de force. Ce corps féminin est vécu par la petite fille comme une menace diabolique. Cela pourrait susciter un vrai amalgame à l'avenir dans le couple de cette fille opprimée depuis son enfance et ce garçon qui a toujours eu le droit à cette liberté d'expression pour la simple raison qu'il est «Rajel» (homme). Quelle sera la réaction de cette petite fille voilée en jouant avec ses copines toutes «dévoilées» ? C'est la question que devraient se poser ses parents, surtout la mère, dont la petite fille prend souvent exemple. Une enfant a toujours cette envie de ressembler à sa maman, à sa tante, à sa grande sœur ou à l'héroïne d'un film. Il s'agit particulièrement d'un renforcement identitaire. Quel est l'impact psychologique du voile sur le développement de l'enfant ? Les parents qui font porter le voile à leur petite fille lui inculquent, quelque part, cette culpabilité d'être née femme. Son sexe est un fardeau qu'elle porte depuis son jeune âge. Cette petite fille finit par croire que son corps et ses cheveux peuvent à tout moment faire perdre aux hommes leur contrôle. Ces parents qui imposent le voile à leur enfant considèrent que ce petit corps est sexuellement désirable, qu'il est obligatoire de le cacher pour ne pas provoquer l'envie des hommes. Cela revient à reconnaitre comme normaux des fantasmes, voire des pratiques pédophiles, en faisant porter à des petites filles un signe empêchant un désir sexuel adulte. Aux yeux de ces parents, elles sont coupables de susciter chez autrui ce désir impur que le garçon a ouvertement le droit d'éprouver. Lorsque cette enfant ne met pas ce voile, elle porte la responsabilité des violences sexuelles dont elle pourra être victime. Comment la société perçoit-elle une petite fille voilée ? Cela dépend de l'entourage. Si la petite fille est au sein d'une communauté toute voilée, elle sera certainement acceptée, félicitée et reconnue pour être une bonne musulmane que «les anges du paradis accueilleront à bras ouverts». C'est une fierté pour cette famille qui, à ses yeux, ne fait que protéger son enfant de la débauche et de la mécréance selon les recommandations de l'Islam. Pour une société «normale», voir une petite fille portant un foulard est toujours choquant. Son enfance se limitera entre voile, culpabilité et «hchouma» tandis que d'autres petites filles auront plutôt un quotidien de poupées, de jeux et de dessin. Le voile est un signe sexuel qui installe chez l'enfant cette culpabilité d'avoir un corps, des cheveux et surtout un sexe féminin pouvant probablement attirer «laâr» (la honte) aux yeux de ses parents. A cause de sa différence, cette petite fille voilée ne sera jamais intégrée ni dans son école ni ailleurs. C'est malheureux. Maux voilés noura mounib En feuilletant les pages de certains manuels d'éducation islamique, dès les premières pages, il apparait que le voile des petites filles fait partie intégrante des illustrations qui accompagnent les leçons. Tandis que le père de famille et le fils prennent l'air devant le perron, la maman et la fille, toutes deux voilées, sont noyées dans les tâches ménagères. Foulards sur la tête et tenues amples, l'allure de ces deux dernières ne ressemble en rien à celle du père et du fils, habillés de façon très décontractée. En 2005, plusieurs mères de familles se sont insurgées contre ces livres. Elles ont adressé des missives au ministère de l'Education nationale et ont lancé une pétition sur le net pour le retrait de ces manuels du programme scolaire. Face au léger débat suscité, seule l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH) réagit, et pas de n'importe quelle façon. Elle renforce la polémique en publiant un rapport sur la portée des valeurs des droits de l'Homme dans le livre scolaire. Malgré les grands progrès notés en la matière, le résultat est flagrant : ces manuels scolaires prônent souvent l'apologie de la vengeance et du Jihad envers les non-musulmans. Un détail, et pas des moindres, qui laisse la société civile de marbre malgré l'importance de l'information. Manuels sous influence Confiner la jeune fille à des rôles traditionnels tandis que le garçon profite de sa liberté ne concerne pas que les manuels d'arabe ou d'éducation islamique. D'autres matières sont concernées et certains manuels de français présentent les mêmes archétypes sociaux avec des jeunes filles, les yeux baissés, soumises mais surtout voilées. Qu'en sera-t-il alors de l'avenir de cet élève marocain auquel le système éducatif apprend dès son jeune âge que la femme est assignée aux travaux ménagers tandis que le garçon jouit de sa liberté en opprimant sa mère, sa sœur et sa conjointe ? Ce dérapage n'est pas sans contrôle. Depuis la réforme de l'enseignement, le ministère de l'Education nationale ne se charge plus de l'élaboration des manuels scolaires, mais il reste chargé d'établir les cahiers des charges et de lancer les appels d'offres selon ses critères, l'aspect religieux en faisant partie. A partir de là, les maisons d'édition n'ont d'autre choix, pour remporter les marchés, que d'obéir strictement au cahier des charges du ministère, quelles que soient leurs considérations ou leurs méthodes pédagogiques. Fulla, un succès voilé Depuis son lancement en 2003, Fulla fait l'unanimité chez les familles conservatrices du monde arabe. Le succès est au rendez-vous pour cette poupée au teint mat et aux grands yeux marron. Preuve de son succès incontestable : deux millions d'exemplaires auraient été vendus en deux ans dans le monde arabe. Produite en Chine, la jolie Fulla se présente en deux versions : celle du Golfe et la nord-africaine. La première porte une «Abbaya» noire (Jellaba du Moyen-Orient) tandis que la deuxième est vêtue de longues robes couvrantes. Si la version du Golfe se vend comme des petits pains, celle du nord de l'Afrique n'a pas le même succès. Bien qu'il y ait une demande importante, les petites filles marocaines sont toujours fans de leur «Barbie» dont la garde-robe concurrence celle des plus grandes stars du monde. En revanche, les familles les plus religieuses préfèrent Fulla avec son imagine de petite musulmane moderne, sans paillettes ni vêtements dénudés. Ceci dit, il faut reconnaitre que cette copie de Barbie est bien moins onéreuse et que les accessoires sont très limités : quelques tenues mal finies et un tapis de prière pour les Fulla les plus pieuses. Reste à se demander si comme son homonyme hyper sexy, la Fulla aura aussi un jour le droit d'avoir sa voiture, de se balader, de faire du sport ou les magasins. La version masculine de cette effigie n'existant pas, nul doute que Fulla n'a pas, contrairement à Barbie, le droit de fréquenter de garçon… du moins pas avant le mariage, ben entendu. «Le voile forcé des enfants est une injustice flagrante, une violation de leurs droits.» CHEIKH ABDELBARI ZEMZMI, Député islamiste - Ancien prédicateur de la mosquée «Al Hamra» à Casablanca. Entretien réalisé par n.m. L'Observateur du Maroc. Que dit la religion sur le voile des petites filles ? CHEIKH ABDELBARI ZEMZMI. Au sujet du voile, l'islam exempte les enfants de toute obligation. C'est une vraie maltraitance à l'égard des petites filles. Ces parents qui imposent le port du foulard à leurs enfants ne mesurent pas l'ampleur de leur acte. Cela pourrait mener à de graves troubles psychologiques et causer ainsi une haine vis-à-vis de toute la société. Le voile forcé des enfants est une injustice flagrante, une violation de leurs droits, contrairement à ce que pensent leurs parents. La «Chariaâ» est catégorique sur la question et ce n'est pas l'ignorance de ces familles qui changera les préceptes de la religion. Ce père qui voile sa fille à l'âge de cinq ans, a-t-il pensé aux répercussions de sa décision à l'avenir ? La réponse est simple: sa fille ôtera ce voile avant de sortir de la maison et le remettra à son retour. Elle pourra même songer à se venger de ce père, violeur de son enfance. Comment définissez-vous une bonne éducation religieuse ? Il y a quelques années, un prédicateur marocain très connu m'avait dit : «Si je ne faisais pas partie d'un mouvement religieux, j'aurais été le premier athée au Maroc». J'étais étonné face à des propos venant d'une personne pareille. Il m'explique ensuite qu'à l'âge de quatre ans, son père venait le réveiller chaque jour pour la prière de l'aube. Juste pour vous dire que la religion ne peut jamais être imposée. Le rôle des parents est d'expliquer l'islam à leurs enfants, de leur faire aimer la prière et de les convaincre des bienfaits de l'aumône. Au sujet du voile, si le Coran et les hadiths exemptent les enfants de toute obligation, pourquoi un parent se permettrait-il d'imposer le voile à sa fille ? C'est un embarras vis-à-vis d'elle-même, de ses copines, de la société… Comment pourrait-elle accepter cette religion qui l'exclut de la communauté et qui la dégrade pour en faire un objet sexuel depuis son jeune âge ? Il faut qu'elle seule prenne sa décision et qu'elle soit convaincue par son choix. Pourquoi transformer la religion en corvée ? C'est une erreur.