Excisées à cinq ans par des mutilatrices anonymes, au rasoir et sans anesthésie. Voilées de force de la tête aux pieds. Violées et battues à mort par leur époux. Séquestrées avec leurs bébés, abandonnées mourantes sur leur lit d'hôpital. Mariées mineures par leur mère à des inconnus de 40 ans leur aîné. Contraintes d'accepter la présence d'une seconde femme clandestine épousée à la mosquée, et de travailler pour elle. Brûlées à l'esprit de sel par leur frère pour avoir osé porter jupe et talons hauts. Egorgées par leur père pour être tombées amoureuses d'un non musulman. Esclaves du sexe pour leur vieille tante ou esclaves tout court, petites bonnes exploitées nuit et jour, affamées puis jetées dans des caves froides et obscures...Afghanes, Yéménites, Soudanaises ? Africaines des siècles passés ? Non. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, femmes et fillettes marocaines en 2010. Encore plus effarant, c'est sous le ciel italien que ces anachronismes, rarissimes faits divers au Maroc, se déroulent tous les jours. Tus par les victimes, dénoncés par une poignée de militants féministes, instrumentalisés par des politiques en mal de voix, et ignorés par la grande majorité de l'opinion publique italienne. Enquête sur une aberration marocaine en terre européenne. Misogynie meurtrière Commune de Milan. Agressée à deux reprises, en mai 2007 puis en juin 2009 par des islamistes radicaux, Dounia Ettaib, présidente de l'Association “Dari, Femmes Arabes d'Italie”, vit sous escorte policière. Ses gardes du corps ne la quittent jamais, tout comme son sourire chaleureux et son aversion pour l'injustice. Objet d'une fatwa, cette psychologue, casablancaise de naissance, a vu sa photo placardée dans les mosquées fondamentalistes de la ville et à la une de tous les journaux milanais. Dans son combat contre l'oppression des femmes au nom de la religion et des traditions, cette jeune mère a perdu le privilège d'une vie ordinaire et tranquille, mais certainement pas la volonté de continuer à lutter pour rendre leur dignité aux Marocaines et à toutes les femmes arabes, musulmanes et africaines d'Italie : «Les femmes représentent 48% de la communauté marocaine en Italie, estimée à 350 000 individus (soit près de 10% du total des étrangers en situation régulière dans tout le pays). Pour vous donner une ampleur du phénomène d'oppression dont elles sont victimes, dans la seule ville de Milan, pour la période de juin 2009 à juin 2010, 624 ont subi des violences domestiques et 54 des violences sexuelles», souligne Dounia. D'autres statistiques témoignent de l'horreur vécue par ces milliers de femmes immigrées. La polygamie a ainsi été imposée à 1700 femmes en Italie pour la seule année 2007 et tous les ans, 1500 fillettes sont excisées. Parmi elles, des dizaines de petites Marocaines, dont les parents ont été «inspirés» par les coutumes de voisins de quartier égyptiens, alors que cette mutilation barbare est inexistante au Maroc. «Les femmes marocaines ont un réel problème d'intégration, lié à une culture patriarcale très forte. Tout en vivant dans un pays libéral et laïque, elles restent enfermées dans un étroit carcan socio-religieux, ce qui rend laborieuse leur insertion. Il est ainsi très difficile pour une famille d'accepter que sa fille fréquente un non musulman», soulève pour sa part Giampaolo Landi di Chiavenna, Commissaire à la Santé à la Commune de Milan. Dernièrement à Brescia, une adolescente marocaine de 18 ans a ainsi été égorgée par son père car elle sortait avec un Italien, un acte cautionné par sa propre mère. Analphabétisme et dépendance économique, racines du mal Brimées dans leurs libertés fondamentales, celle de choisir leur habillement, leurs relations amicales ou amoureuses, de travailler, de se déplacer, de vivre librement, ces Marocaines en quête de fortune dans un Eldorado vite devenu enfer, sont en effet pour la plupart peu lettrées et sans qualification, l'analphabétisme concernant 65% des Marocains résidant en Italie. Venues dans les années 90 depuis le «Triangle de la mort» (Khouribga, Béni Mellal, Oued Zem, mais aussi Fqih Ben Salah ou Béni Meskine) rejoindre leur mari, leur père ou leur frère en Italie, ouvriers du bâtiment, travailleurs agricoles ou manutentionnaires dans le Nord, marchands ambulants, serveurs et petites mains pour la mafia dans le Sud. Elles seront recrutées essentiellement comme nourrices, auxiliaires de vie auprès de personnes âgées ou femmes de ménage. Celles qui n'ont pas «la chance» de décrocher un petit boulot de smicardes (soit environ 800 euros) ou un modeste job au noir, quand elles ne sont pas contraintes de faire le trottoir au profit d'une «mamma marocchina», n'ont d'autre choix que de rester chez elles, sous la coupe de leur père, frère, oncle ou mari. Elles sont d'ailleurs seulement 26% à avoir un travail, contre 84% de leurs compatriotes masculins. Or qui dit dépendance économique dit vulnérabilité psycho-sociale : «Nombre de Marocaines subissent des maltraitances intolérables. La plupart d'entre elles débarquent en Italie analphabètes ou illettrées, sans parler un mot d'italien, ni même savoir composer un numéro de téléphone. Elles se font battre, séquestrer, se voient imposer le voile, la burqa, le mariage forcé, la polygamie ou encore l'excision de leurs fillettes par des hommes radicalisés, effrayés de perdre le contrôle de leur «propriété» dans un Occident «impie et débaucheu». Cette situation est d'autant plus inadmissible que les femmes sont beaucoup plus libres au Maroc», s'indigne Daniel Santanché, secrétaire d'Etat au gouvernement Berlusconi et auteur du livre Le donne violate (les femmes violées). Discrimination… au nom de la tolérance Mais quels droits et quelle attention pour les femmes immigrées dans une société italienne considérée elle-même parmi les plus conservatrices et religieuses d'Europe ? Limona, à trois heures de Milan. Centro Interculturale delle donne di trama di terre. Tiziana Dal Pra, la fondatrice de ce foyer non gouvernemental d'aide aux immigrées fondé voilà 13 ans, reçoit chaque année plus de 600 femmes en détresse, de 14 nationalités différentes. Sur les murs extérieurs, la trace des affiches de la couverture de Femmes du Maroc, montrant Nadia Larguet nue et enceinte, arrachées par des islamistes. Des fous de la Chariaa qui accusent Trama de pervertir les femmes musulmanes en les encourageant à divorcer et à avorter. Parmi les pensionnaires du centre, nombre de Marocaines (voir encadrés témoignages) de 18 à 26 ans, qui viennent y trouver assistance juridique, administrative et psychologique, cours de langue ou aide à la recherche d'emploi. «Les Marocaines pensent à tort qu'ici la loi les protège dans toutes les situations. Or, il suffit à un homme en situation régulière de répudier son épouse et d'appeler la police afin que lui soit automatiquement retiré son titre de séjour provisoire, sans possibilité de renouvellement. Autre cas, quand une mère seule se retrouve longtemps au chômage et sans revenu, les services sociaux lui prennent ses enfants pour les placer dans une famille d'accueil. Plus grave encore : au nom du respect des coutumes et de la préservation des traditions du pays d'origine, nombre de juges statuent en défaveur des plaignantes, comme ce magistrat qui a refusé de condamner un époux qui battait sa femme car celle-ci ne récitait pas le Coran avant de dormir», relate Tiziana Dalpra. Ou encore le cas de cet hôpital public de Toscane qui pratiquait ouvertement l'excision avant que cette opération ne soit interdite par les autorités en 2006. Féministes, droite et gauche contre l'hydre intégriste «Le lobby islamiste en Italie, représenté notamment par l'Union des communautés et organisations islamiques en Italie (UCOII), proche des Frères Musulmans égyptiens, est très puissant. Ses membres, y compris féminins, vont jusqu'à nous taxer d'islamophobes et à défendre le niqab, la polygamie et le mariage des mineures en prétendant que celles-ci sont la règle au Maroc comme ailleurs dans le monde arabo-musulman. C'est pour cela que nous nous rendons au Maroc, pour apporter les preuves que leurs assertions sont des mensonges, moudouwana et presse locale à la main», raconte Tiziana Dalpra. Le but de cette ONG de gauche est d'aider toutes ces femmes à sortir de la léthargie inhérente à leur faible niveau d'éducation, à devenir autonomes et responsables, afin qu'elles puissent se faire leur propre place dans la société italienne indépendamment des hommes, et être à même de suivre la scolarité et l'éducation de leurs enfants. Même son de cloche du côté de la droite italienne: «Je demande aux Musulmanes d'Italie de trouver le courage de s'allier à nous dans le combat contre l'obscurantisme, car toutes les révolutions partent des femmes. Ensemble, nous devons faire cesser l'humiliation, la mutilation et le meurtre des femmes au nom de la religion, de toutes les religions. Mais aussi, du côté italien, arrêter la discrimination des femmes immigrées au nom de l'acceptation des coutumes du pays d'origine, et leur assurer les mêmes droits et la même protection que toutes les femmes à travers le pays. Afin que demain, cette triste période dans l'histoire des femmes en Italie ne soit qu'un mauvais souvenir pour nos filles », conclut dans la même veine Daniela Santanché. Un combat commun pour une Italie désormais multicolore. «Je ne suis pas islamophobe, je défends un Islam moderne et modéré» Daniela Santanché, Secrétaire d'Etat au gouvernement Berlusconi, Auteure de «La donna negata» et «Le donne violate» Entretien réalisé par mouna IZDDINE L'Observateur du Maroc. Vous avez dédicacé votre dernier livre «Femmes violées, la femme niée et au-delà » à votre fils Lorenzo, « avec le souhait qu'il puisse être un homme libre». Daniela Santanché. Oui, car ce livre est celui d'une mère italienne avant tout, soucieuse de laisser à ses propres enfants une Italie meilleure, sûre et sereine. Or l'intégration des immigrés constitue un problème très préoccupant et grandissant en Italie, surtout avec les communautés musulmanes. Contrairement à certains, je refuse de me voiler la face. Le 11 septembre 2001 a bouleversé l'équilibre mondial, changé les rapports de l'Occident avec le monde islamique, et vice-versa. Aujourd'hui, en Italie comme partout ailleurs en Europe, nous en subissons les conséquences. Or, je suis profondément convaincue que pour vivre en harmonie avec ces nouveaux arrivants, nous devons libérer les Musulmanes d'Italie de l'oppression, car les femmes détiennent entre leurs mains l'éducation des générations futures et partant, l'avenir de la coexistence civique dans notre pays. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d'islamophobie et de carriérisme? Les femmes musulmanes maltraitées que j'ai rencontrées sont paralysées par la peur, celle des hommes et du jugement de leur communauté, à tel point qu'elles ne parlent jamais en public de leurs souffrances. Certaines viennent me voir en aparté, je ne leur refuse jamais mon écoute et mon aide. Avoir été la première Italienne à dénoncer la polygamie, imposée à 1700 femmes dans notre pays pour la seule année 2007, puis à manifester contre la burqa, m'a valu deux côtes brisées, des menaces de mort quotidiennes, une fatwa, et une escorte policière permanente. Qui mettrait son existence en danger par pur opportunisme politique? Je ne suis pas islamophobe, je défends juste un Islam moderne et modéré qui, hélas, ne semble pas avoir droit de cité en Italie. Pour simple exemple, lorsque j'ai manifesté contre la lapidation de l'Iranienne Sakineh, aucun imam d'Italie, officiel ou non, n'a donné sa position là-dessus. Pensez-vous que votre voix portera davantage maintenant que vous êtes membre du gouvernement ? J'ai longtemps milité seule aux côtés de Dounia Ettaib, l'une des rares femmes arabes italiennes à faire montre d'un courage sans faille dans son engagement en faveur de la liberté et de la dignité de ses semblables. Aujourd'hui, notre travail commence à porter ses fruits, mais il reste énormément à faire, notamment au niveau de la lutte contre l'excision, subie par 1500 petites filles tous les ans en Italie, dont 400 en Lombardie. Le gouvernement Berlusconi est quant à lui est très sensible à la thématique de l'immigration. Les mesures controversées prises à l'encontre de l'immigration clandestine ne sont pas racistes, mais destinées à protéger les immigrés en situation régulière de cette même xénophobie dont on nous accuse, en amenant notamment tout arrivant à respecter les lois du pays. Contrairement à la gauche, nous refusons d'accueillir des files de bateaux de migrants qui, faute de travail, se retrouveront à la rue à voler, agresser, vendre de la drogue ou se prostituer. «Oui à une immigration respectueuse des valeurs et des lois du pays d'accueil» Giampaolo Landi di Chiavenna, Commissaire à la Santé à la Commune de Milan L'Observateur du Maroc. Que pensez-vous des violences subies par certaines Marocaines à Milan ? Giampaolo Landi. Il est important pour nous de préserver la culture et les traditions du pays d'origine de chaque migrant, mais on trouve intolérable de limiter la liberté de penser, d'agir, de se vêtir, de fréquenter les personnes de son choix ou de pratiquer son culte comme on l'entend, que certains communautés immigrées imposent aux femmes. Milan a une grande tradition d'hospitalité. Nous croyons beaucoup en l'utilité sociale et économique de l'immigration quand celle-ci est fondée sur le respect, la légalité et tous les principes nécessaires à la vie commune dans une société démocratique, garante des libertés individuelles et collectives. Lorsque vous étiez à la Commission Européenne, vous avez travaillé contre l'immigration clandestine, en collaboration notamment avec vos homologues marocains. Oui, tout à fait, et je poursuis mon activité dans ce sens. Milan connait un phénomène inquiétant de ghettoïsation, à l'image des banlieues françaises. L'immigration clandestine est pour beaucoup dans les tensions croissantes entre étrangers et Milanais, les migrants illégaux s'adonnant pour la plupart à la délinquance et au crime en tous genres. Cette situation nourrit les discours politiques populistes, et annule, hélas, les efforts d'intégration des immigrés en situation régulière qui pour la majorité, aspirent à avoir une vie honnête, tranquille et sûre. Quels sont les principaux projets de votre département ? A la Commune, nous avons monté de la sorte un grand projet baptisé «Immigration sereine» auquel a été consacré un budget de 300.000 euros, dédié à des consultations et des soins médicaux gratuits pour les communautés immigrées. En outre, prochainement, nous mettrons en place un observatoire de la prostitution des femmes immigrées, de même que je milite pour le vote d'une loi sur la réglementation de cette profession à Milan. Par ailleurs, nous participons activement au débat actuel sur le projet d'une grande mosquée dans notre ville. Je suis favorable au dialogue interreligieux et à la liberté de culte garantie par la constitution italienne, mais pour des questions de sûreté du territoire et de lutte contre le fondamentalisme, je préfère la construction de mosquées de dimensions plus petites, pouvant recevoir tout au plus 300 fidèles et dirigées par des imams reconnus, autorisés par les autorités italiennes et aptes à faire leurs prêches dans la langue de notre pays. Nous pensons enfin à un jumelage avec une ville marocaine, les avancées démocratiques réalisées par le Royaume constituant à nos yeux une bonne base pour le renforcement de la coopération bilatérale entre le Maroc et l'Italie.